Publié le 16 mai 2013 à 10h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h49
A l’occasion de l’assemblée générale du Crédit Coopératif, un forum, ouvert au grand public, était organisé ce mercredi soir, au Ballet national de Marseille, sur le thème : « La culture : une chance pour la Provence, la France et l’Europe ? Un moyen d’inventer le futur ? ». L’occasion de s’interroger sur l’apport et l’impact de Marseille-Provence 2013 et de tenter d’imaginer l’après année Capitale.
« La culture : une chance pour la Provence, la France et l’Europe ? Un moyen d’inventer le futur ? » : c’est sur ce thème qu’un panel de grande qualité était amené à plancher, ce mercredi 15 mai dans les locaux du Ballet national de Marseille, 20, boulevard de Gabès dans le 8e arrondissement. Un forum ouvert au grand public, dans le cadre de l’assemblée générale du Crédit Coopératif PACA marquant les 120 ans de la banque coopérative, dont l’ambition était de s’interroger sur la foi, la force et l’intelligence du projet culturel à l’heure où Marseille-Provence 2013 bat son plein. Pour introduire les débats, Jean-Pierre Mongarny, secrétaire général de la Fondation du Crédit Coopératif, évoque « l’effet musée Guggenheim » de Bilbao. Ce musée d’art moderne et contemporain, qui a ouvert ses portes en 1997, a régénéré la cité basque alors touchée de plein fouet par le déclin de la sidérurgie. Un effet comparable à celui du Louvre-Lens, baptisé « Louvre II », un établissement autonome lié au musée du Louvre parisien par une convention scientifique et culturelle, fondé par le conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Symbole de la reconversion des bassins miniers, il a été inauguré le 12 décembre dernier.
Jean-Pierre Mongarny ne manque pas non plus de citer Glasgow en Ecosse et Lille, deux capitales européennes de la Culture – respectivement en 1990 et 2004 – où ce titre a déclenché « une dynamique ». Et de s’interroger : « Marseille-Provence a un double atout : des équipements nouveaux et le titre de Capitale européenne de la Culture, une chance qu’elle a su saisir alors que statistiquement dans l’Europe des 27, il n’y aura pas une nouvelle capitale française avant 15 ans. Est-ce un moyen d’inventer le futur ? »
Avant toute chose, Jean-François Chougnet, directeur général de Marseille-Provence 2013, est revenu sur le sens d’une phrase de Bernard Latarjet, son prédécesseur à la tête de l’association Marseille-Provence 2013, qui a tourné en boucle durant des années. Cheville ouvrière de la candidature du territoire, il avait indiqué, suite à la désignation de Marseille-Provence en 2008 face à ses concurrentes Toulouse, Bordeaux et Lyon, que Marseille était « la ville qui en aurait eu le plus besoin ». « Ce que Bernard Latarjet voulait dire c’est que nous étions à Marseille en pleine conjonction d’un effort de rénovation urbaine, lancée à partir des années 1990 avec Euroméditerranée, et d’un besoin de cohérence territoriale, avec une réflexion en cours sur la manière de retrouver une cohérence entre Marseille et son arrière-pays. Marseille en avait le plus besoin car cela tombait à un moment charnière », explique Jean-François Chougnet. Mais d’observer que l’interprétation qui fut la plus répandue est que Marseille en avait le plus besoin car elle souffre d’une « image dégradée ». « Ce n’était pas la pensée de Bernard Latarjet, mais elle a souvent été véhiculée comme ça. Ce deuxième volet est un peu illusoire : il ne faut pas s’y attarder », tranche le directeur général de Marseille-Provence 2013.
« Un souffle nouveau »
D’ores et déjà, il se félicite que l’événement ait permis, « malgré le départ de Toulon », d’« associer un large panel d’institutions publiques, 90 communes, 1,9 million d’habitants ». « A travers Jacques Pfister (NDLR : président de la CCI Marseille-Provence), président de l’association Marseille-Provence 2013, les élus ont demandé au monde économique de jouer un rôle important et de tenir une place importante en termes de financement. Il représente 20% du budget contre 13 à 15% à Lille en 2004. Nous avons réussi à mobiliser des financements au-delà du financement public traditionnel », rappelle Jean-François Chougnet. S’il juge qu’il serait « absurde » de se hasarder à tirer un bilan au bout de seulement quatre mois, il note que « quantitativement, la fréquentation est plus que satisfaisante » avec « 2,2 à 2,3 millions de visiteurs avant même que l’été ne commence ». « Les salles sont pleines, les événements se remplissent très bien. Mais on manque encore d’enquêtes sur le taux de récurrence ou pour savoir s’il s’agit de personnes du territoire ou d’ailleurs », relève le directeur général de Marseille-Provence. Quant aux professionnels du tourisme, si « beaucoup ont souffert en début d’année », il assure que « les chiffres sont bien meilleurs que la tendance nationale en mai-juin ».
Au-delà du quantitatif, il juge que « la capitale européenne de la culture a tendance à favoriser l’événementiel ». « Il y a une soif de rassemblement, de vivre ensemble et de phénomènes hors normes. La capitale européenne n’a pas laissé de côté la création, la Comédie française a fait salle comble pendant 10 jours, mais il y a aussi une demande d’événements qui ne se reproduisent pas », analyse Jean-François Chougnet. Et de s’interroger : « Est-ce que l’événementiel culturel prend la vedette dans des événements de ce genre ? ».
Stéphan Brousse, président du Medef PACA, tient quant à lui à saluer « une des grandes décisions de Jean-Claude Gaudin qui s’est dit : « on ne va pas concentrer tous les pouvoirs » ». « Il a fait appel à Jacques Pfister qui représente le monde économique et ce n’est pas Marseille contre le reste du monde. La majeure partie du département des Bouches-du-Rhône est associée en respectant les territoires : c’est un exemple que nous donne la culture », souligne-t-il. Il rend également hommage au « pessimiste réaliste » Bernard Latarjet. « Alors que les gens sautaient de joie (NDLR : suite à la désignation de Marseille-Provence), il a dit : « C’est maintenant que les emmerdes commencent ». ». Même si « la communication n’était pas bonne au départ », Stéphan Brousse n’hésite pas à parler d’« un souffle nouveau : on parle plus de la capitale européenne que de l’OM. Le monde va venir, notre saison, c’est l’été. » Et il se réjouit que le monde économique ait « répondu présent » pour contribuer à cette réussite en apportant 15 des 90 M€ de budget de l’événement.
« Nous changeons l’image de la ville »
Pour évoquer l’avenir, le président du Medef PACA n’hésite pas à faire un parallèle avec le monde de l’entreprise en soulignant que c’est la question que se posent tous les salariés : « Est-ce que mon entreprise a un avenir ? ». Et de s’appuyer sur la notion de « salariés heureux ». « Il y a les boulots de chacun dans l’entreprise, mais ce sont également des vies d’hommes et de femmes tout aussi importantes. On paye 70% du chiffre d’affaires entre les charges et les salaires, mais si on joue sur la motivation, on obtient beaucoup plus en productivité. Et la culture y contribue. C’est pour ça que Marseille-Provence 2013 va changer l’image de Marseille. Le monde économique le devra au monde culturel », assure-t-il.
Toujours au rayon des anecdotes, Daniel Hermann, adjoint au maire de Marseille délégué à l’Action culturelle, rappelle que la prison des Baumettes, où des détenus faisaient de la poterie, est le premier endroit où Jean-Claude Gaudin avait emmené le jury chargé de désigner la Capitale européenne de la culture, afin de montrer que « même à la prison, il y avait un terreau culturel à Marseille ». Il rappelle également que l’« un des critères » d’attribution du titre de Capitale européenne de la Culture est d’aider « les villes en difficulté », ce qui était le cas de la cité phocéenne sur le plan économique. « Cela nous permet d’ouvrir des musées et d’entreprendre une restauration urbaine sur le Vieux Port ou le front de mer. Et c’est parce qu’on a la Capitale européenne de la Culture qu’on a eu le Mucem, sinon ça aurait été la double peine. Or, l’arrivée du Mucem change la dynamique de Marseille, cette synergie-là change la ville. Marseille a attiré des investisseurs et, grâce à 2013, nous changeons l’image de la ville », juge-t-il en évoquant un effet semblable à celui du musée Guggenheim à Bilbao.
Une confiance qui est également de mise à l’heure d’évoquer l’avenir. « Sur Marseille se sont déversés 660 M€ en quatre ans de restaurations urbaines et culturelles, dont 220 M€ par la Ville, ce qui est énorme. Si aujourd’hui ce capital on n’arrive pas à le faire fructifier, c’est à désespérer de cette ville. Il y aura fatalement un après Marseille-Provence 2013 », assène Daniel Hermann.
Un avenir qui pourrait être de dimension européenne et mondiale si l’on se fie à l’expérience du Festival d’Aix-en-Provence, dont toute la programmation est labellisée, et certains projets financés, par Marseille-Provence 2013. « Nous sommes différents des grands festivals européens, comme celui de Salzbourg en Autriche, car au cœur du festival d’Aix, il y a une académie de jeunes chanteurs. Nous nous sommes penchés sur cette période délicate de la fin de la formation et du début de la vie professionnelle. Alors à côté des grandes stars, il y a au festival d’Aix de jeunes artistes et chanteurs qui font leurs premières armes. Nous sommes ainsi ancrés sur le territoire, tout en ayant une ambition européenne et mondiale. Ce qui nous amène à prospecter pendant un an pour repérer les jeunes chanteurs », explique François Vienne, directeur général adjoint du festival.
« Capitaliser sur les projets publics privés, un vrai apport de Marseille-Provence 2013 »
Aix est ainsi devenue « la tête de pont de 12 académies qui travaillent avec nous ». « Nous sommes en train de devenir un lieu de production où l’on produit ensemble avec une dimension d’échanges », poursuit-il. Et si le festival était historiquement tourné vers l’Europe du Nord, il regarde aujourd’hui vers la rive Sud de la Méditerranée et « des pays où il n’y a pas de tradition d’opéra ». « On a fait au Maroc une tournée d’ »Enfants et sortilèges ». Nous ne sommes pas seulement là, pour amener nos traditions mais pour découvrir des traditions orales pour réinventer des formes nouvelles d’opéra », souligne François Vienne.
Or, aux yeux de Pierre Sauvageot, directeur de l’association « Lieux Publics », « le seul intérêt des artistes, c’est justement d’inventer le futur ». Et « leur terrain de jeu, c’est l’Europe ». « A partir de cette logique artistique, sortir de la dimension nationale était une évidence », raconte celui qui s’est inscrit dans cette dimension européenne en créant l’association « In Situ ». « Nous avons vu notre regard sur la création changer. Beaucoup de jeunes avaient envie de créer dans les lieux publics sans forcément s’inscrire dans les arts de la rue. Ces derniers sont presque devenus un passé et aujourd’hui, nous sommes dans une création dans les lieux publics. C’est une envie générale des artistes et des publics d’aller vers l’exceptionnalité », témoigne-t-il.
Et de rappeler qu’aux prémices de la préparation de Marseille-Provence, là où « Bernard Latarjet était attentif aux projets où des gens allaient s’impliquer », il était pour sa part « un peu inquiet ». Pourtant, « sur un projet de construction de ville éphémère, on a déjà 3 000 personnes qui sont inscrites », relève-t-il aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas Pierre Sauvageot d’exprimer des craintes sur « Marseille 2014 ». « Les collectivités travaillent ensemble, mais on sent que chacun a envie de reprendre ses billes. Elles se disent : « vivement fin 2013 que je puisse développer mes propres projets ». Aix et Arles étaient ainsi des villes bien plus unies au départ qui ont repris beaucoup d’autonomie », juge-t-il. Il estime pourtant qu’il faut « capitaliser sur les projets publics privés, un vrai apport de Marseille-Provence 2013 ». « On a pu créer ensemble des projets culturels qui ne sont pas des projets de communication », se félicite-t-il.
Aux yeux de Macha Makeïeff, directrice du Théâtre de la Criée qui figure dans la programmation de Marseille-Provence 2013, « le théâtre est le conservatoire des gestes de l’universalité », il « s’inscrit dans un itinéraire, dans une perspective d’invention ». Et de dresser un parallèle : « Marseille-Provence 2013 rejoint notre problématique d’artiste de créer des itinéraires d’art dans cette ville singulière. Les artistes, comme Rudy Ricciotti l’architecte du Mucem ou comme le cabinet international Foster pour le Vieux Port, transportent nos corps dans cette ville. Par la beauté et l’élégance, c’est quelque chose qui va contre la désespérance », souligne-t-elle en émettant le vœu que « la Criée soit une caisse de résonnance ».
La culture, « une réponse au cynisme, à la désespérance »
Le théâtre, c’est aussi « la relation chimique entre l’intime et l’universel ». « Je crois à la force politique d’un théâtre mais aussi à sa force poétique, poursuit Macha Makeïeff. Nos artistes vous prennent pendant une heure et vous mettent dans un autre temps. Le théâtre ne se fait jamais seul, on a tous besoin les uns des autres. Et on ne peut pas regarder un spectacle seul, comme un film. Le théâtre c’est à la fois le corps fumant de l’acteur et des spectateurs anonymes. Alors ouvrir cette maison à des artistes différents, à des publics différents, est une réponse au cynisme, à la désespérance, et à quelque part, la barbarie, car le théâtre est le lieu de l’expression et de la liberté artistique. »
Alors elle ne s’étonne pas de la dimension événementielle de Marseille-Provence, car, comme le théâtre, « c’est l’école de l’étonnement ». « Le soir, à chaque représentation, l’étonnement est nouveau. Cela comble notre besoin d’enthousiasme », insiste-t-elle. Avant d’exprimer sa confiance en l’avenir. « Nous sommes Marseille-Provence 2013 et nous savons tous qu’il y a derrière tout ça un après. On va tous prendre de bonnes habitudes. On peut travailler avec les entreprises et ce flux d’argent peut aller vers le plus grand nombre », affirme Macha Makeïeff.
Et Stéphan Brousse de dresser un parallèle entre le théâtre et le monde de l’entreprise. « Le chef d’entreprise doit preuve d’imagination, d’enthousiasme, de créativité pour créer un projet collectif. Il y a un objectif financier qui n’est pas le premier : ce qu’on partage avec les salariés, c’est le projet d’entreprise. Et il faut que chacun voie ce que ça peut lui apporter. C’est la même chose au théâtre où, à partir de profils différents, il faut aller vers une satisfaction personnelle et que le spectateur ressorte comblé », image le président du Medef PACA.
« C’est une chance pour l’Europe d’avoir choisi Marseille »
Enfin, pour Hortense Archambault, co-directeur du Festival d’Avignon, la seule intervenante extérieure au territoire de l’année Capitale, « la culture est un pari Pascalien ». « Les artistes, la création s’inscrivent dans un futur. L’artiste est tout le temps en train d’inventer l’avenir. Et il y a aussi l’art d’être spectateur, le regard que l’on pose sur une expérience qui nous transforme », analyse-t-elle. Alors bien entendu, l’apport de tout ceci « est difficilement visualisable ». Mais en s’appuyant sur son regard extérieur à Marseille-Provence 2013, elle relève cependant d’ores et déjà deux apports majeurs de l’événement. « Tout d’abord, cela a permis de nouer des relations entre des secteurs, économique, culturel, politique, qui s’ignoraient et qui désormais s’interrogent pour savoir « comment on peut travailler ensemble ? » », souligne-t-elle.
Hortense Archambault pointe aussi l’influence majeure que pourrait avoir cette année Capitale dans une Europe qui connaît une « crise de la représentation de soi-même ». « Il y a aussi une sorte de basculement entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord. Donc c’est une chance pour l’Europe d’avoir choisi Marseille. Qu’est-ce que l’Europe du Sud peut apporter à l’Europe ? Qu’est-ce que cette notion d’ouverture à la Méditerranée peut apporter à l’Europe ? Cela nous permettra d’être moins timide dans la façon d’envisager l’avenir », poursuit-elle.
Et de souhaiter que « l’Europe saisisse la chance d’investir dans la culture ». « Aujourd’hui, c’est l’Asie, les pays qui ont le plus confiance en eux, qui investissent dans la culture. Il faut que l’on ait confiance en nous en notre capacité à inventer l’avenir en investissant dans la culture », appuie-t-elle. Avant de conclure : « Pour moi, effectivement, l’Europe avait besoin de Marseille-Provence au moment où elle se cherche, où elle est satellisée dans son rapport au monde. Il est possible de rebondir sur cette dimension-là. »
Serge PAYRAU