Publié le 15 février 2021 à 18h01 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h36
La menace de fermeture qui pèse sur l’usine de pâte à papier de Tarascon risque d’impacter fortement l’ensemble de la filière forestière de Paca. Une réelle catastrophe.
Après un ultime délai accordé à l’usine Fibre Excellence Tarascon (FET) par le tribunal de commerce de Toulouse (où se situe le siège social de l’entreprise), il faudra désormais attendre le 23 février pour savoir ce qu’il adviendra de cette usine de pâte à papier, placée en redressement judiciaire le 8 octobre dernier, à la suite du dernier renvoi de l’audience prévue le 26 janvier.
Il faut dire que quelques jours plus tôt, l’État, qui avait déjà mis la main à la poche, avait annoncé le déblocage d’une nouvelle enveloppe de 1,6M€ pour prolonger la procédure de sauvegarde, tandis que le PDG, Jean-François Guillot, avait fait état d’un projet de reprise basé sur un nouveau contrat de vente de pâte à meilleure marge. C’est peu dire que cette aventure à rebondissements tient en haleine les acteurs de la filière bois régionale.
Pour mémoire, l’usine Fibre Excellence Tarascon, gérée par Fibre Excellence SAS, produit aujourd’hui 250 000 tonnes par an de pâte à papier. Selon les chiffres fournis par la Fédération nationale du bois (FNB), la société, qui emploie 280 personnes sur le site et induit environ 3 000 emplois locaux et régionaux, consomme annuellement jusqu’à 1,2 million de tonnes de bois et plaquettes, dont 1 million de tonnes de rondins frais (bois vert) et 200 000 tonnes de plaquettes de scierie, réparties sur les régions Paca, Occitanie, Aura et Bourgogne-Franche-Comté.
Toujours selon la FNB, « 150 transporteurs et 250 à 300 fournisseurs approvisionnent régulièrement FET, qui sont des exploitants forestiers et des scieurs employant eux-mêmes une multitude de sous-traitants entrepreneurs de travaux forestiers, soit plus de 600 petites et moyennes entreprises forestières ».
Aucun autre débouché pour sauvegarder les emplois
L’antenne de la FNB Provence-Alpes a réalisé, en un temps record, une enquête détaillant l’impact de la fermeture du site sur la filière forestière Paca, parue le 15 janvier et venant corroborer ce diagnostic. «L’arrêt éventuel de FET entraînerait sans conteste des conséquences dramatiques en cascade, à la mesure de son aspect structurant sur l’ensemble de la filière bois en Paca, et bien au-delà. Si cette éventualité venait à être confirmée, il est à craindre que de nombreuses entreprises ne puissent s’en relever, tandis que d’autres en seraient largement affaiblies et que l’ensemble des marchés régionaux existants à ce jour en pâtiraient », conclut l’enquête, qui estime à plusieurs milliers le nombre d’entreprises de la filière forestière qui seraient largement impactées par cette éventuelle cessation d’activité.
«Aucun autre débouché actuel n’existe sur le même type de produits dans des proportions équivalentes et concernant le secteur géographique envisagé. Des années seraient nécessaires à l’émergence de nouveaux débouchés susceptibles d’absorber de telles quantités de matière. Les entreprises ne pourront pas attendre», ont alerté, dans un courrier adressé au ministre de l’Agriculture et de l’alimentation Julien Denormandie le 15 janvier, les présidents des six fédérations concernées de la FNB, estimant qu’«il n’y a aucune alternative raisonnable à FET qui permettrait de préserver les emplois et les entreprises forestières et de transport/ logistique des régions Paca, Occitanie, Aura et Bourgogne-Franche-Comté qui en dépendent». « Sa fermeture serait une catastrophe incommensurable à de multiples titres », tranche le syndicat.
Un véritable «séisme» pour la filière
«Cette usine est le plus gros consommateur de bois de la région Sud-Paca et beaucoup d’entreprises travaillent pour son approvisionnement, résume Jean-Michel Rayne, conseiller forestier à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes et référent forêt régional. Si l’usine venait à fermer, on aurait 500 000 à 600 000 m3 qui ne seraient plus exploités en région Paca et on ne saurait pas où les envoyer. Le développement du bois-énergie et les bois destinés à FET nous permettait d’intervenir dans des peuplements forestiers où on ne pouvait pas intervenir avant parce que les prix étaient trop bas, et à vendre ces bois de qualité médiocre autour de 10€/t sur pied. Si Tarascon ferme, on ne le pourra plus. Même la production de bois d’œuvre sera impactée».
« À titre d’exemple, poursuit Jean-Michel Rayne, les forêts de mélèzes haut-alpines qui appartiennent à des propriétaires privés sont des forêts jeunes, et les premières interventions que l’on fait dans ces forêts produisent des bois destinés à 60 %, 70 % au bois industrie ou à l’énergie ». Dans les Hautes-Alpes, environ 30 000 m3 sont consacrés au bois-énergie pour une exploitation globale d’environ 150 000 m3 de bois.
Concernant le département des Alpes-de-Haute-Provence, qui génère moins de bois d’œuvre que le 05, la situation serait pire. «En plus des peuplements de pin sylvestre souvent médiocres, il y a toutes les forêts de pins d’Alep situées dans le sud du département qui, à l’heure actuelle produisent du bois destiné pour une très grande majorité soit au bois d’industrie, soit au bois énergie».
«Pour la filière, c’est un séisme, estime Jean-Noël Arlaud, adhérent à la FNB et exploitant forestier à Serres. Tout le monde va être impacté, que ce soit l’ONF, les communes, les propriétaires forestiers privés, les exploitants… On espère que l’usine présente suffisamment d’intérêt aux yeux de l’actionnaire actuel pour qu’il ne la laisse pas tomber. On croise les doigts… »
Stéphanie Martin-Chaillan pour L’Espace Alpin
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La chambre régionale d’agriculture mobilisée
Dans un courrier adressé au préfet de région en octobre 2020, le président de la chambre régionale d’agriculture André Bernard avait fait part de l’inquiétude de la profession au regard de l’impact qu’aurait la fermeture de l’usine sur la filière bois en Paca. «Cette industrie est un des maillons essentiels de la filière bois en Paca car elle permet d’assurer la commercialisation d’une part très importante de bois issus de nos forêts qui pourraient difficilement être utilisés dans le secteur de la deuxième transformation, alerte-t-il. Ces bois de petit diamètre issus des opérations d’amélioration forestière ou issus de coupes dans des peuplements de pins de qualité médiocre ne pourraient être absorbés que par la seule filière bois énergie. La récolte de bois en Paca qui est nécessaire au bon développement de nos forêts risque d’être fortement ralentie. Autour de cette industrie gravitent de nombreuses entreprises d’exploitation forestière et de transport de bois. Une grande partie de leur activité est consacrée à l’approvisionnement de cette papeterie. Déjà fortement touchées par la fermeture pour cause de travaux en 2019, de l’usine de pâte à papier de Tarascon, engendrerait la disparition de nombre de ces entreprises et de leur savoir-faire en matière d’exploitation forestière en zone méditerranéenne et montagnarde», a-t-il conclu en demandant au nom des chambres d’agriculture de la région que « tout soit mis en œuvre pour éviter l’arrêt des activités sur le site de Fibre Excellence Tarascon.»)]
[(L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin
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