Publié le 6 juillet 2015 à 21h25 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h19
Le «Non» de nos concitoyens d’Europe et d’Éternité que sont les Grecs résonnent plus profondément qu’il n’y parait, derrière la question complexe de la dette hellénique.
Quel camp de la Troïka ou de l’État (et maintenant du peuple) grec a raison ? Tout le monde sait que la Grèce fut invitée à entrer dans la Communauté européenne par intérêt géostratégique majeur pour les Français et les Allemands dans cette partie de l’Histoire qui s’appelait encore la Guerre Froide.
Tout le monde sait que les Grecs avaient et ont toujours une conception de la fiscalité et de sa territorialité pour le moins déconcertante. Pas de cadastre, pas d’impôt pour le premier propriétaire terrien du pays, à savoir l’Église orthodoxe, qui sait bien rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à Dieux ce qui est à César… Enfin que peu de gens fortunés paient l’impôt dans un pays pauvre. Tout le monde sait que le FMI et la future Union européenne fermèrent les yeux devant des comptes trafiqués pour correspondre aux critères d’entrée dans le Club de l’Europe libérale et démocrate.
Alors est-ce que Monsieur Tsipras est un «traître» comme le laisse entendre Monsieur Junker lorsqu’il a dégainé son referendum? Est-ce que les Grecs sont de grands enfants comme le laissa entendre Christine Lagarde, Directrice du FMI et que le temps de rendre compte et les comptes était advenus pour ce peuple trop sûr de son passé et inconscient de son avenir ? La question mérite réflexion mais certainement pas la dramatisation médiatique des capitales européennes qui cherchent l’audimat alors que d’autres sujets sont bien plus brûlants à une heure d’avion de la … Grèce. Si «drama» il y a, il est méditerranéen. Ce qui rend encore plus terrible le manque d’initiative française et de son gouvernement qui a abdiqué tout politique d’envergure en Méditerranée. La dramatisation créatrice, celle de la mythologie se joue, plus profondément, à trois niveaux : souveraineté, fontaine de jouvence démocratique et sacralité du vote.
Un «Non» souverain mais pas souverainiste.
Les Grecs sans le savoir, viennent de nous inviter au réveil des mythes les plus fondateurs de l’Europe moderne et post moderne. Car si, comme le disait Mircéa Eliade, un mythe est un récit fondateur, alors un nouveau récit vient de s’exprimer par le Verbe d’un peuple, la plus vieille nation européenne; première en temps et en sens.
Le premier est de savoir quel est le nom qui se cache derrière le «non». Ce nom est souveraineté. Depuis les voyages d’Odysseus-Ulysse, jusqu’aux batailles des Thermopyles et de Troie, l’esprit de la Grèce repose sur la défense de la souveraineté de chaque Cité, de chaque île, au milieu des jeux des puissances et des Grands sans ne jamais sans défaire. Autrement dit, les Grecs ont dit un «Non» de culture souveraine, mais pas souverainiste. Oui à la souveraineté, à la volonté de puissance d’un peuple de dire «Non» car tel est son bon droit, mais «non» à la sortie de l’Europe, ni à la rupture avec les Enfants de la Grèce de toujours, aux Alliés d’aujourd’hui et de demain. Car ni la Turquie encore ennemie, ou la Russie Orthodoxe et Slave ne peuvent avoir les yeux d’Europa pour Zeus comme les Européens de 2015. Dans l’Europe actuelle, qui balaya les referenda irlandais et français d’une pichenette, ce coup de semonce grec annonce le retour des peuples souverains sur le Vieux continent.
Préférer avoir tort avec Périclès que raison avec la Troïka.
Le deuxième drame fécond qu’annonce le vote grec est la folle idolâtrie, irrationnelle et déjà condamnée des Européens pour la démocratie populaire profonde. Les élites politiques mais surtout financières effrayées par les réactions du corps collectif, comme elles haïssent la force du corps humain pour les seules joies cérébrales qu’elles louent, veulent repousser, tel un caprice, le recours à un referendum contre la loi des Marchés. Il n’est point question de refuser aux créanciers de réclamer leur juste droit d’être remboursés, mais quand un peuple doit payer pour des années d’incuries de ses élites et de celles de l’Europe en l’occurrence, le recours au vote démocratique par referendum, est donc son ultime arme pacifique.
Croyance contre croyance.
Croyance que la vox populi peut tout faire contre la loi matérialiste des financiers et des libéraux contre leur croyance que les règles rationnelles doivent tout régir.
La Grèce, à tort ou à raison, a choisi de recourir au referendum. Mais faisant cela, les Grecs ont remis au premier plan l’idée qu’un peuple se régénère lorsqu’il s’exprime massivement sur une question, comme jadis sous l’Athènes de Périclès, comme récemment sous la France gaullienne. La Grèce vient de donner un sacré coup de jeune à la Fontaine de Jouvence des peuples européens. Il est fort à parier que devant le vide idéologique et identitaire qui est celui des peuples européens, il s’agit là d’un symbole fondateur
Sacralité de l’identité confiante.
L’identité parlons-en justement. «Croisement d’une histoire, d’une géographie et d’une cause», selon Lévi-Strauss, l’identité d’un peuple ne peut se contenir dans les frontières et les limites spatio-temporelles de ceux qui le composent, c’est-à-dire ici les Grecs vivants. Une identité interpelle et secoue un peuple mais prend sa source et sa vision dans et pour une Nation. La nation grecque peut-elle se résumer aux dettes que ses élites d’un temps donné ont contractées ? La nation grecque «signifie»-t-elle autre chose ? A-t-elle encore une fierté, c’est-à-dire, une joie d’être ce qu’elle est, bien plus que ce qu’elle possède ou ne possède plus ? Ce peuple immense de par son histoire, hallucinant de par sa géographie, a-t-il encore une Cause à défendre, même pauvre, humilié à 60 euros par jour par personne ?
La nation grecque rappelle que dans la hiérarchie des causes de l’Humanité, les éléments d’identification à un système ou un process (taux de PIB, d’intérêts et d’intermédiation) peuvent en situation de crise passer après la dignité de tout un peuple. Car bien plus forts que des éléments d’identification collectifs, ce sont les sentiments d’appartenance qui l’emportent fort de leurs symboles et leurs imaginaires collectifs. Et, à ce jour, le sentiment d’appartenance le plus fort est la Nation. Elle est la seule à incarner ce mot en voie de disparition : la confiance entre les Hommes.
Alain CABRAS est Consultant Formateur en Intelligence culturelle et Management interculturel. Président d’Odysseus Formation. Chargé de conférences à Aix Marseille Université