Publié le 2 juin 2015 à 18h40 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h16
Changer le logiciel de notre croyance collective
S’il est un domaine obscur pour le citoyen lambda c’est celui de la politique internationale des collectivités qui accompagnent une partie de sa vie quotidienne. Qui sait, aujourd’hui, quelles politiques internationales mènent les Villes de Marseille, d’Aix ou d’Aubagne ? Qui imagine que le Conseil Départemental a une politique méditerranéenne importante et que demain la Métropole Aix-Marseille aura à faire rayonner son territoire sur Mare Nostrum ? Quant à la Région Paca qui a fait de la Villa Méditerranée son emblème, qui pourrait décrire l’ensemble de ses actions ?
Quelle importance, nous rétorquera-t-on, à une époque de chômage, de difficultés de vivre au quotidien ? Quelle importance encore, alors que des guerres réelles déchirent une partie de l’humanité à nos portes en Ukraine, en Syrie et en Libye ? Quelle importance, enfin, quand les migrants s’entassent par milliers toutes les semaines dans nos fragiles centres d’accueil, quand une partie d’entre eux n’a pas été engloutis dans le ventre de la mer ? La réponse est simple comme cette phrase de Victor Hugo dans l’Homme et la Mer : «Dehors, c’est dedans !».
La troisième étape de la mondialisation qui uniformise en même temps qu’elle singularise, élimine la frontière entre problèmes intérieurs et problèmes extérieurs pour toute entité et personne. Et dans ce grand chamboulement géopolitique, l’État ne peut plus tout. Les sociétés civiles ainsi que les collectivités territoriales sont devenues des «acteurs» internationaux comme les autres dans un monde qui va désormais connaître le clivage tranchant entre les mobiles et les immobiles.
Cependant faire un état des lieux global des politiques des relations internationales entre nos autorités locales et régionales en Méditerranée est impossible à faire à ce jour. Seuls quelques pays du Nord permettent, sans jamais être à jour de leurs données de connaître approximativement l’état de leur coopération institutionnelle non étatique. Les données des pays du Sud et de l’Est, quant à elles, n’existent pas toujours et lorsque c’est rarement le cas, sont peu communiquées pour rester un maximum attractif aux yeux de toutes collectivités territoriales sur leurs territoires. A cet état des lieux inexistant, un changement radical du contexte de coopération est aussi à signaler, depuis 2011, qui a fait apparaître autant d’aspirations que de lignes de fractures nouvelles.
Le rôle des Autorités Locales et Régionales (ALR) mérite donc d’être actualisé à un moment où l’on s’interroge, au sud comme au nord, sur la réforme de l’État, sur la déconcentration et la décentralisation des pouvoirs centraux et sur le rôle des territoires et des acteurs territoriaux dans les processus de développement. Les ALR ont montré leur flexibilité et leur capacité à réagir par des actions concrètes aux demandes de leurs partenaires. Leurs rôles et leur légitimité commencent à être connus mais restent fragiles. Elles ont également montré toute la pertinence d’une approche du développement centrée sur les territoires car «le lieu fait le lien» comme l’écrit le sociologue Maffesoli.
Elles peuvent être seules en passe de faire réussir le pari de transformer les modes de coopération en Méditerranée par la participation progressive des acteurs territoriaux. Politiquement, elles sont aussi les seules à porter une éventuelle survie et réussite concrètes des Accords de Barcelone et de l’Union pour la Méditerranée pendant ces temps troublés. En ces vingt ans des Accords, il conviendrait de s’en souvenir. Toutefois, nombreuses et sans concertation véritable, elles favorisent l’approche bilatérale et frôlent la dilution de leurs moyens devant le manque de coordination qui n’est réalisé par aucune instance en Méditerranée. Or, si le territoire métropolitain qui couvre la quasi-totalité du département des Bouches-du-Rhône veut rayonner d’un seul tenant, il ne peut plus être représenté en morceaux.
Un cadre de la coopération euro-méditerranéenne à réinventer à l’aune des nouvelles donnes géopolitiques : pour une concertation étroite des politiques de relations internationales.
Pour une macro-politique des relations internationales – Méditerranée
Depuis une quinzaine d’années, la Méditerranée était devenue, en effet, le théâtre d’une multiplicité de «grandes politiques» européennes visant à transformer l’espace méditerranéen. Disposant de ce fait, de différents cadres que l’Union Européenne a elle-même proposés, Elle n’a pas tranché parmi eux : le Dialogue 5+5 depuis 1992, le Processus de Barcelone (PB) né en 1995, la politique européenne de voisinage (PEV) née en 2004, l’Union pour la Méditerranée (UpM) née en 2008.
Si le cadre de concertation traditionnel tend à concentrer l’action des États autour du Processus de Barcelone, les évolutions de ce cadre n’est pas toujours comprises par les partenaires du Sud et de l’Est.
Le projet d’une macro-politique entre collectivités territoriales différentes à l’échelle de la Méditerranée n’est toujours pas à l’ordre du jour, cependant l’avantage d’une telle stratégie serait de donner une plus grande visibilité aux questions méditerranéennes et d’améliorer la coopération territoriale grâce à un cadre nouveau. Elle impliquerait la participation et la collaboration de différentes collectivités territoriales ou Villes aux côtés de l’État. Rien n’empêche les collectivités de notre territoire de se mettre en ordre de marche comme si cette macro-politique existait. Initier un macro-territoire d’expédition des politiques de coopération décentralisée, par une concertation des politiques de relations internationales de chaque institution, serait un levier puissant de rayonnement stratégique. La métropole aura vocation à l’incarner aussi mais non pas seule. Cela permettrait enfin d’élargir le champ du bilatéral trop réducteur, et insuffisant à insuffler une dynamique méditerranéenne, en ouvrant, sans obligation, aux Collectivités territoriales une convention partenaire pour tous les projets de coopération; car, aujourd’hui, il s’agit, en périodes de crises et de mutations majeures d’inventer un instrument mobile, léger et proactif qui décuple cette stratégie et renforce multilatéralisme. La politique des relations internationales de nos collectivités ne pourra, demain, qu’être partagée pour gagner en efficience et peser pour rayonner.
Alain CABRAS, spécialiste des questions euro-méditerranéennes. Consultant. Chargé d’enseignement à Aix Marseille Université et Sciences Po Aix