Publié le 22 juillet 2015 à 10h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h29
En lançant l’initiative French Tech en novembre 2013, Fleur Pellerin, Secrétaire d’état aux affaires numériques, a réussi un pari loin d’être gagné d’avance, même s’il est encore prématuré d’en tirer des enseignements définitifs; le sujet est d’ailleurs resté dans l’agenda ministériel après qu’Axelle Lemaire ait succédé à Fleur Pellerin quelques mois plus tard.
Qu’on se le dise pourtant, le numérique n’est plus un sujet original en lui-même car omniprésent dans notre vie comme le sont l’eau et l’électricité, sauf qu’il diffuse de l’intelligence à l’infini, et qu’il se réinvente vite porté par quelques leaders mondiaux charismatiques cf. Google, APPLE, Facebook… Il endosse à ce titre plusieurs vertus: il dénoue les tentatives conservatrices de la société française en idéalisant un futur, il devient un outil de reconquête du leadership Parisien versus Londres et la Tech City, il renoue avec un affectif collectif grâce au made in France, il fait naitre des anticipations de richesse illimitées auprès des jeunes, cf. discours de E. Macron, bref! Il est un anti dépresseur et le nouvel héros, dans les cités comme dans les laboratoires. A vrai dire et depuis le début de cette aventure French Tech, la bonne nouvelle est que tout se passe mieux que prévu, avec une feuille de route qui ne cesse pourtant d’évoluer au fil des adaptations successives et des opportunités de terrain, à l’image d’un petit coin de ciel bleu qui ne cesserait de grandir au milieu d’un environnement dépressif sévère, réussissant malgré cet handicap à éloigner, neutraliser voire convertir les masses nuageuses en un immense champs anticyclonique. Si cette initiative nationale fascine autant qu’elle interroge, c’est parce qu’elle s’appuie sur un marketing superbement orchestré, invitant l’imprévu et se permettant même quelques pointes d’amateurisme sans grande conséquence. Emmanuel Macron et son équipe seraient devenus des hommes politiques normaux avec un fan club et des codes très éloignés de leurs prédécesseurs, on se tutoie, on s’envoie des emails et des selfies, on partage les mêmes valeurs. L’entrepreneuriat du 21e siècle n’est-il pas le reflet de ces contradictions, à l’heure où les projets de long terme ont pour noms, trans-humanisme, immortalité, smart objects, Smart cities, e-tourisme, etc…? Les possibilités de fondre plusieurs vies (physique et digitale) n’ont jamais été aussi permises qu’aujourd’hui, illustration d’une french Tech qui bouge les lignes et qui décomplexe. Prise de risque, liberté, responsabilité, entrepreneuriat, solidarité, sont les mots fétiches de cette génération Y qui capitalise tout sur son passage. La French Tech se voulait patrimoniale et Parisienne, la voici intangible et patriotique. La French Tech se voulait être «High», la voici Tech majuscule avec ses déclinaisons Med, clean, agro, culture, sport… Dans cette atmosphère privée publique acquise à la cause du «everything is possible», peut-on déjà faire un bilan, autour des indicateurs d’emplois, d’investissements ou d’image? L’emploi sera vraisemblablement le dernier étage de cette réaction en chaîne, mais il sera le plus observé car étant l’objectif prioritaire de la French Tech, au-delà de dynamiser la création d’entreprises et d’accélérer les sociétés en hyper-croissance. Moins d’un an après le lancement de l’opération, le bilan image est largement bénéficiaire, avec un impact média en France et à l’international exceptionnel, pour une initiative aussi jeune sans réelle modèle de référence. Le coût pour l’État et les métropoles candidates ? Pas un centime dépensé jusqu’à ce jour, sinon des dispositifs antérieurs relookés. Preuve est faite que lorsque l’État et les ministères (l’Économie et des Finances en l’occurrence) se mettent à faire du marketing, nous (la France) sommes capables d’impressionner le monde.
Aix/Marseille fut la métropole française labellisée dès le premier tour car disposant d’une antériorité dans la maîtrise d’ouvrage supérieure aux autres, mais surtout parce qu’ayant réussi à consolider une petite dizaine d’accélérateurs privés d’Aix et de Marseille, autour d’une ambition commune et d’un projet exceptionnel avec «The Camp». Sur les seules critères du cahier des charges initial de l’appel à projets French Tech, certains points manquaient à l’appel dont l’unicité d’un site totem, la gouvernance privée, la stratégie commune d’accélération, l’animation, mais la French Tech étant tout sauf un modèle top-down, la volonté et l’engagement des entrepreneurs ont permis de rapprocher les lignes privées-publiques mais aussi et surtout les lignes publiques-publiques entre Aix et Marseille. La feuille de route proposée devrait garantir l’exécution du programme Aix/ Marseille, mais des écueils menacent :
-De maturités et de thématiques différentes, les programmes d’accélération ne convergent pas suffisamment vers une destinée commune, e-tourisme, smart city, le NFC et hébergement de données, comment construire cette couche marketing commune au bénéfice de la lisibilité numérique d’une métropole qui en manque cruellement ?
-Si l’accélération privée est née, c’est forcément parce que des « trous dans la raquette » de la chaine d’accompagnement publique perduraient au niveau de la détection, de l’accompagnement, du mentoring/ coaching, etc. mais quid de l’articulation entre les acteurs publics de l’accélération et les acteurs privés ? les complémentarités sont- elles identifiées ? Les passerelles instituées ?
-La french Tech est née d’une ambition de rehausser le niveau de jeu national face à la concurrence internationale, et le «Club Aix Marseille French Tech» doit assumer son rôle de détection, d’entrainement de haut niveau (accélération) et d’animation au bénéfice du pot numérique commun. Le haut niveau impose le professionnalisme et le respect de règles et d’objectifs communs en l’occurrence quantitatifs, qualitatifs et de notoriété, quelles sont- elles ?
-Dotée d’une dimension marketing originale par ses créateurs, Aix/ Marseille ne peut rester regarder passer la caravane du French Tech tour sans y accrocher ses meilleures cylindrées entrepreneuriales. Pour cela, elle doit convaincre encore de l’intérêt des nouveaux acteurs d’y entrer, notamment ceux évoluant dans les clean Tech, les Med Tech ainsi que les nombreux électrons libres non dénués d’ingéniosité.
Nous étions en France habitués à travailler de l’amont vers l’aval, en réponse à une culture scientifique prédominante, structurée autour d’un environnement de recherche exigeant. Le numérique a fait opérer une bascule plaçant l’aval (l’usage et le marché) au cœur de la réussite entrepreneuriale. Cette mutation immense interpelle et bouleverse forcément les comportements privés/ publics; Aix /Marseille, 2e pôle public de R&D français, n’avait pas anticipé ce changement de paradigme, et sous-estimée la puissance du marketing. Le projet Aix/ Marseille French Tech est en ce sens, un accélérateur de prise de conscience, une idée originale peut aujourd’hui davantage qu’hier aller au bout, fut ce menée par un acteur lambda ne disposant pas d’un background scientifique singulier. La French Tech signe le retour en force du marketing parmi les grands indicateurs et facteurs clefs de succès. Aix/ Marseille serait bien inspirée de faire la course en tête !