La Tribune de Pierre Distinguin : L’image de Marseille passe par le point mort

Publié le 17 juillet 2015 à  12h55 - DerniÚre mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h29

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Le point mort est un terme Ă©conomique et financier qui reprĂ©sente le seuil Ă  partir duquel les recettes compensent les dĂ©penses dans un environnement donnĂ©. Ce point d’équilibre serait le niveau minimal Ă  partir duquel l’activitĂ© serait dite «acceptable», pour une entreprise, une famille, une ville ou un pays.
Le point mort (appelĂ© aussi Point de Vie) rythme sans que l’on s’en rende compte, l’actualitĂ© macroĂ©conomique, (cf. sujet de la dette grecque ou française), mais aussi notre environnement pratique, (cf. nos arbitrages sur la scolaritĂ© des enfants), le budget des vacances, les soins de santĂ©, etc. Sur ce dernier point par exemple, les mĂ©decins estiment rigoureusement le point mort avant de prescrire un mĂ©dicament Ă  un patient, se posant la question du niveau de contrainte face Ă  l’espoir optimal de guĂ©rison. Le raisonnement est identique pour ce qui relĂšve d’un choix concernant l’immigration avec l’évaluation du niveau tolĂ©rable d’accueil de migrants en fonction du ratio contraintes/bĂ©nĂ©fices.
Bien dĂ©licat et Ă©minemment risquĂ© serait de vouloir modĂ©liser chacun de nos actes en sociĂ©tĂ© sur la base du calcul prĂ©alable du point mort mais force est de reconnaitre que ce seuil est Ă  la croisĂ©e de toutes nos dĂ©cisions individuelles et collectives de façon rationnelle ou intuitive. Plus le point mort est bas, plus le niveau collectif d’acceptabilitĂ© se dĂ©prĂ©cie et plus l’effort sur l’image est nĂ©cessaire. Une fois atteint un certain seuil de notoriĂ©tĂ© ou Ă  l’inverse un certain seuil de dĂ©prĂ©ciation, l’effort d’investissement marginal est moindre pour conserver le niveau d’image initial. Quand l’image est relevĂ©e, elle est facile Ă  maintenir en l’état, mais l’inverse est vrai, c’est pourquoi il est toujours plus difficile de gravir les marches de la notoriĂ©tĂ© que de se maintenir Ă  un rang.
L’image que l’on se fait d’une ville est toujours influencĂ©e par l’image collective qui est vĂ©hiculĂ©e sur la ville en question. Prenons le cas de Marseille, qui souffre d’un dĂ©ficit collectif d’image Ă  l’extĂ©rieur comme Ă  l’intĂ©rieur, la ville est plĂ©biscitĂ©e (ou dĂ©fendue) par ses habitants lorsque la question renvoie Ă  une apprĂ©ciation personnelle tandis qu’elle est critiquĂ©e (ou attaquĂ©e) en rĂ©ponse Ă  une question de portĂ©e plus collective. Cet Ă©cart est bien normal car nous nous sentons concernĂ©s par ce qui touche un collectif mĂȘme si nous n’en subissons pas directement les consĂ©quences. La question par exemple autour de la sĂ©curitĂ© lorsqu’elle est isolĂ©e au niveau de l’individu, est bien moins nĂ©gative que lorsqu’elle est traitĂ©e de façon gĂ©nĂ©rale, car en prise avec une apprĂ©ciation collective. Le « Bashing » autour de Marseille est ainsi d’autant plus destructeur qu’il est d’abord un fait exogĂšne qui introduit le ver dans le fruit, neutralisant systĂ©matiquement toute vellĂ©itĂ© endogĂšne de se rĂ©gĂ©nĂ©rer, selon le syndrome bien connu «des sables mouvants», qui paralyse voire qui amplifie nĂ©gativement toute rĂ©action, en ramenant l’image de la ville en deçà de la zone de flottaison (point mort). En d’autres termes, la rĂ©ponse individuelle ne peut en l’état restaurer une image «acceptable» de la ville car souffrant d’un dĂ©ficit collectif d’image trop bas et d’une pression exogĂšne disproportionnĂ©e.
En Ă©conomie, on agit de deux façon pour atteindre le point mort, soit on baisse les coĂ»ts rĂ©currents (fixes), soit on augmente les recettes, mais l’image d’une ville ne rĂ©pond fort heureusement pas Ă  une Ă©quation de premier degrĂ©; L’intangible, c’est-Ă -dire la somme des peurs, des craintes, des passions que consolident une population, est omniprĂ©sente et c’est le rapport entre le tangible (l’économie) et l’intangible qui crĂ©e de l’image positive ou nĂ©gative dans une ville, ou Ă  fortiori un pays, avec ce rapport toujours actif entre l’exogĂšne et l’endogĂšne.
Admettons en premier rideau, que le point mort (ou point de vie) «acceptable» Ă  Marseille ne serait pas le mĂȘme qu’à Bordeaux, Lyon, Lille ou mĂȘme Nice, car comparaison n’est pas raison, pas la mĂȘme histoire, culture, gĂ©ographie, sociologie, etc… mĂȘme si depuis 20 ans nous restons influencĂ©s aux discours des modĂšles Lyonnais, Bordelais, Lillois ou Niçois,
 une erreur de mĂȘme nature que le salut souvent Ă©voquĂ© et thĂ©orisĂ© du modĂšle Allemand, NorvĂ©gien ou Canadien Ă  l’échelle nationale
l’entreprise selon moi restant une exception car plus mondialisĂ©e que jamais.
DĂ©barrassĂ©e de ses pressions mimĂ©tiques, et compte tenu du niveau d’étiage relativement bas concernant son image, Marseille ne peut faire l’économie de jouer simultanĂ©ment sur les deux leviers principaux impactant son point de vie: le volontarisme public et l’initiative individuelle. On aurait tort de s’en remettre exclusivement au premier compte tenu du niveau de seuil Ă  franchir. Le secteur public joue son rĂŽle mais ne peut seul corriger le dĂ©ficit d’image, cf. les efforts pour insuffler collectivement un courant d’adhĂ©sion collectif porteur, cf. les labels 2013, 2017, la French Tech, les JO 2024, la Smart city, le programme M Ambassadeurs
 En ce sens, il est de la responsabilitĂ© de chacun, Ă  sa vitesse et Ă  son niveau de compĂ©tence de mener campagne contre la dĂ©gradation de l’image de sa ville, en s’engageant, Ă  valoriser ce dont il jouit ou bĂ©nĂ©ficie chaque jour. Les «trous dans la raquette» Ă©tant dans cette ville certainement plus nombreux qu’ailleurs, ce sont autant de nouvelles opportunitĂ©s d’expression et d’actions qui sont accessibles ici plus qu’ailleurs via l’économie solidaire, le numĂ©rique, les services Ă  la personne, etc. Chacun dans son rĂŽle !
La recherche du point d’équilibre est un objectif nĂ©cessaire mais pas suffisant s’il ne conduit pas Ă  relever qualitativement et simultanĂ©ment les deux vĂ©hicules d’image collectifs et individuels indissociables. Les clichĂ©s ayant la dent dure Ă  Marseille, remplaçons dĂ©finitivement dans notre jargon le point mort par le point de vie, et agissons davantage que nous rĂ©agissons. C’est par la restauration de l’image endogĂšne de notre ville et en relevant le niveau d’estime collectif et individuel que nous retournerons peu Ă  peu les clichĂ©s exogĂšnes en notre faveur.

Pierre Distinguin est spécialiste sport et attractivité territoriale Marseille

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