Publié le 4 novembre 2020 à 16h27 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h29
Après les attentats de Conflans Sainte-Honorine et de Nice, le Président de la République, Emmanuel Macron s’est adressé le samedi 31 octobre, au monde musulman en accordant une interview au journal qatari Al-Jazeera. Dans le climat de défiance, attisé par certains dirigeants étrangers, politiques ou religieux et devant les actuelles réactions très vives de pays musulmans contre la France, il a souhaité lever certains malentendus.
Ainsi, Emmanuel Macron a tenu à rappeler l’attachement de la France à la liberté de culte, «et ce qu’on appelle souvent la laïcité» qui est «la liberté de croire ou de ne pas croire», en précisant que chaque citoyen en France, devait avoir les mêmes droits politiques et civiques «quelle que soit sa religion». Et si «la transcendance» à une place dans notre société, c’est à «L’État de garantir ce droit à chacun». Il insiste sur le fait que, contrairement à ce qui a été dit ou relayé ces derniers jours, l’islam n’est pas stigmatisé sur notre territoire. «La France est un pays dont la vocation universelle est d’être attaché à la paix, à la capacité d’y vivre quelle que soit sa religion», a-t-il précisé. Si le Président de la République a délivré un message de fermeté contre le terrorisme et contre tous les extrémistes violents, il a aussi adressé «un message de paix, d’unité et de restitution d’une certaine vérité» envers les Français de confession musulmane, «comme d’ailleurs des citoyens du monde entier dont l’islam est la religion». Il s’est longuement expliqué sur les caricatures, source de nombre de malentendus mais surtout trop souvent, «de manipulations». Il a rappelé que l’Histoire de notre pays a la particularité d’avoir construit la chose publique «en l’extrayant de la religion». Expliquant que «c’est ça ce qu’on appelle aussi la laïcité». Le Chef de l’État français souligne encore: «Nous avons bâti nos lois, qui sont le fruit de l’esprit des Lumières, nos lois sont l’émanation de la volonté du peuple français, de ce peuple souverain (…)»
Il y a la liberté de culte il y a aussi la liberté de conscience et la liberté d’expression
Et si dans les lois, les droits français, il y a la liberté de culte «il y a aussi la liberté de conscience et la liberté d’expression». Et donc, la liberté de dessiner ou de caricaturer en font partie. D’ailleurs «depuis la fin XIXe siècle» tous les Gouvernants, tous les dirigeants politiques, toutes les religions, l’ont été tour à tour. Il insiste sur le fait que ce n’est pas la France qui caricature la religion musulmane, ni son Président de la République mais qu’en France, la Presse est libre de s’exprimer quelle que soit sa forme d’expression et que cela est un droit fondamental auquel les Français sont culturellement profondément attachés même s’ils n’en partagent pas toujours la forme ou le fond. En revanche, il est tout à fait compréhensible que les musulmans puissent être légitimement affectés par ses caricatures et ce sentiment doit être respecté.
Il n’est donc pas question pour le Président de la République, de laisser supposer, comme ont pu le dire certains médias étrangers et parfois certains dirigeants politiques ou religieux, que ces caricatures seraient une émanation du gouvernement ou du peuple français contre l’Islam, comme il n’est pas question que puissent être justifiées toutes formes de violence exprimées de manière directe ou indirecte au nom de cette fausse affirmation. Emmanuel Macron avance: «Je crois à ce qui est le projet des Lumières, des valeurs que nous portons, qui n’est pas simplement de coexister côte à côte, mais qui est d’accepter de nous commenter les uns les autres dans le calme, dans le respect auquel je crois, de parfois nous moquer les uns des autres, quelle que soit notre religion ou notre philosophie, mais d’accepter de le faire dans un cadre de respect et un cadre pacifique». Répondant aux menaces de boycott de produits français, Emmanuel Macron les considère indignes et les condamne vivement parce qu’elles reposent, insiste-t-il, sur des mensonges, notamment sur ceux liés aux caricatures qui, encore une fois, résultent d’une liberté de la Presse qui n’est sans doute pas admise dans la plupart des pays qui appellent aujourd’hui au boycott. Il considère que les dirigeants politiques et religieux qui ne condamnent pas avec la plus grande clarté cette forme de violence à l’égard de la France prennent une responsabilité directe ou indirecte sur certaines violences qui seraient émises à l’égard des Français en France ou à l’étranger. Il a rappelé que depuis plusieurs années la France combat le terrorisme «qui a coûté la vie à plus de 300 de nos concitoyens». Mais ce terrorisme est aussi un fléau pour les musulmans du monde entier car «sur les 40 dernières années, plus de 80% des victimes du terrorisme fait au nom de l’islam, sont des musulmans».
Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de combattre l’islamisme radical
Emmanuel Macron a réaffirmé : «Non la France ne mène pas un combat contre l’islam». Mais aujourd’hui, insiste-t-il, «au nom de l’islam et détournant cette religion, des extrémistes violents font le pire. Et ils ne sont pas terroristes. Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils déscolarisent des enfants, ils les endoctrinent et ils justifient la violence.» Réduire leur emprise c’est protéger les Françaises et les Français et en particulier ceux dont la religion est l’islam et ce sera tout l’objet du projet de loi qui arrive, «qu’on a appelé séparatismes mais je veux lever les ambiguïtés, qui est un projet de loi pour lutter contre ces groupes et ces personnes extrémistes violents qui agissent au nom de l’islam», indique le Chef de L’État français. Sur la laïcité française qui pourrait apparaître sensible au fait religieux et à certains aspects de l’Islam, notamment sur le port du voile, le Président de la République a tenu à préciser que la laïcité est une loi de liberté, donnant «la possibilité de croire ou de ne pas croire» sans que cela ait de conséquences sur la citoyenneté.
La laïcité c’est le principe de séparation de l’Église et de l’État
La laïcité c’est le «principe de séparation de l’Église et de l’État», explique Emmanuel Macron qui précise que «l’État est neutre et ne s’occupe pas de religion. Il ne les finance pas, il ne les réglemente pas, et celles et ceux qui servent l’État, qui sont fonctionnaires, ont un principe de neutralité, ne doivent pas avoir de signes apparents de religion pour accueillir tout le monde.» Il est donc normal qu’il y ait, comme dans les écoles par exemple, des espaces de neutralité «quand l’État est présent». En revanche dans les rues, en France, les gens portent librement le foulard, la croix, la kippa … «En tant que citoyens nous devons avoir un dialogue permanent pour bâtir ensemble les lois qui sont les nôtres et on ne peut pas au nom de la religion, sortir de la citoyenneté et ce n’est jamais au nom de la citoyenneté que l’on peut combattre une religion. C’est le message que porte la France ». Concernant les relations internationales avec la Turquie, Emmanuel Macron a rappelé sa croyance en l’amitié et au respect réciproque avec la Turquie mais a dénoncé les velléités impériales de son Président Erdogan et la violation unilatérale des accords internationaux avec les alliés de l’Otan, fragilisant ainsi la stabilité dans cette région de la Méditerranée. Il regrette son comportement belliqueux envers la France, précisant que le Conseil Européen avait, à l’unanimité de ses 27 membres rappelé la Turquie à ses devoirs et clairement soutenu la France dans les attaques qu’elle subit. En conclusion de cet entretien, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de consolider les liens de civilisation en renforçant la connaissance mutuelle entre les peuples. Revenant sur les liens de civilisation entre les deux mondes il a insisté sur la volonté de la France d’investir dans l’enseignement supérieur, la recherche académique et culturelle afin de créer des Chaires Universitaires sur le Maghreb, le Proche et Moyen-Orient, sur les échanges entre la civilisation musulmane et la civilisation européenne, sur les Lumières, sur la philosophie et la culture française, afin d’ouvrir de nouvelles voies de connaissance, de raison, de coopération scientifique, académique, d’éducation etc … Pour Emmanuel Macron ce qui nourrit la peur c’est l’incompréhension, ce qui nourrit la haine c’est l’ignorance. Et donc l’arme la plus efficace contre les extrémistes dans la durée, c’est la connaissance.
Daniel BOCCARDI
L’intégralité de l’interview du Président de la République, Emmanuel Macron accordée à Al-Jazeera est consultable sur le site elysée.fr