Publié le 23 décembre 2021 à 8h13 - Dernière mise à jour le 3 novembre 2022 à 12h36
La fusée européenne Ariane 5 devrait lancer ce samedi 25 décembre 2021 le James Webb Space Telescope (JWST), un observatoire spatial qui est un magnifique cadeau de Noël pour les astronomes. Le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) a participé à la conception d’un de ses instruments, MIRI.
Un télescope pour observer dans l’infrarouge
Le JWST est un télescope spatial, fruit de la collaboration entre les agences spatiales américaine (NASA) européenne (ESA) et canadienne (ASC). Il porte le nom du deuxième administrateur de la NASA, James Webb, et va remplacer le télescope spatial Hubble (HST) qui portait le nom de l’astronome américain Edwin Hubble [[Edwin Hubble a découvert l’expansion de l’Univers en même temps que l’astronome belge Georges Lemaître entre 1927 et 1929.]]. Leurs noms ont été associés dans la constante de Hubble-Lemaître qui mesure ce taux d’expansion. . Son miroir de 6,50 m de diamètre lui permettra de collecter sept fois plus de lumière que son prédécesseur dont le miroir avait 2,40 m de diamètre. Mais sa particularité est d’observer le rayonnement infrarouge alors que le HST observait principalement dans le domaine visible.
Ce rayonnement, qui est absorbé par l’atmosphère terrestre, est particulièrement intéressant pour observer les objets lointains de l’Univers. Du fait de l’expansion de celui-ci, on voit les galaxies s’éloigner de nous d’autant plus vite qu’elles sont plus lointaines et leur vitesse amène à un décalage de la longueur d’onde de leur lumière, c’est l’effet Doppler-Fizeau [[On a tous expérimenté l’effet Doppler en acoustique, lorsqu’on croise un véhicule qui actionne son avertisseur sonore, on note alors un net changement de la fréquence sonore car le son parait plus grave après avoir croisé le véhicule, quand celui-ci s’éloigne de nous. Fizeau l’a appliqué ensuite à l’optique.]]. La lumière visible émise par les galaxies lointaines est ainsi décalée vers le rouge et même vers l’infrarouge pour les plus lointaines. Le JWST permettra donc d’étudier ces dernières beaucoup mieux que ce que l’on a pu faire jusque-là. Il sera aussi très performant pour observer les exoplanètes (planètes en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil [[Depuis la première détection d’une planète en orbite autour d’une étoile de la constellation de Pégase, en1995 à l’Observatoire de Haute Provence, les découvertes se sont multipliées et c’est près de 5000 exoplanètes que l’on a repérées à ce jour. Mais on sait qu’il y en a des milliards rien que dans notre Galaxie.]]) car leur éclat est noyé dans celui de l’étoile autour de laquelle elles sont en orbite; l’écart de luminosité entre l’étoile et ses planètes est en effet beaucoup moins grand dans l’infrarouge, ce qui facilite l’observation de ces dernières.
Un miroir segmenté et doré
Le miroir principal du JWST n’est pas aussi grand que celui des grands télescopes au sol, lesquels ont des diamètres compris entre 8 m et 10 m, mais c’est déjà trop grand pour aller dans la coiffe d’une fusée, il a donc fallu concevoir une structure pliable pour ce miroir, avec plusieurs segments. Ce sont 18 miroirs hexagonaux de 1,32 m de diamètre chacun qui composent le miroir principal du JWST, équivalent à un miroir unique de 6,50 m. Cela permet de plier la structure en trois parties pour la faire entrer dans la coiffe d’Ariane 5.
Pour améliorer le pouvoir réflecteur dans l’infrarouge, les miroirs du JWST sont recouverts d’une fine couche d’or, de plus il faut que le télescope soit le plus froid possible car le moindre échauffement de l’instrument se traduirait par une émission de rayonnement susceptible de parasiter le signal que l’on veut observer. À cet effet, le JWST est muni d’un système d’écran pare-soleil qui lui permet de rester en permanence dans l’ombre. Cet écran, de la taille d’un court de tennis, est constitué de cinq couches de matériau isolant (du Kapton) offrant un système de refroidissement passif très performant puisqu’il permettra à la température de descendre à -233°C du côté à l’ombre pendant que le côté au soleil sera porté à 85°C.
Le télescope tournera autour du Soleil en même temps que la Terre
Le JWST ne sera pas en orbite terrestre basse, comme son prédécesseur le HST, mais il sera placé au point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. En ce point, situé sur l’axe Soleil-Terre et au-delà de celle-ci, les forces d’attraction gravitationnelles du Soleil et de la Terre s’ajoutent et équilibrent parfaitement la force centrifuge liée à la vitesse orbitale. Le télescope tournera donc autour du Soleil en même temps que la Terre tout en étant situé un peu plus loin que cette dernière, cette configuration lui permettra d’observer l’ensemble du ciel sur une année.
L’inconvénient de cette localisation est que le JWST ne pourra pas être réparé en cas de panne car il ne sera pas accessible aussi facilement que l’était le HST. En effet, ce dernier a pu être réparé régulièrement par les astronautes qui sont allés le visiter à bord de la navette spatiale américaine, assurant cinq missions de maintenance entre 1993 et 2009. Il faut donc une fiabilité très élevée pour tous les éléments du JWST afin qu’il puisse assurer sa mission le plus longtemps possible.
Une participation française importante
Le JWST est équipé de quatre instruments, tous spécialisés pour observer dans le domaine infrarouge, dont MIRI (Mid InfraRed Instrument) fourni par l’agence spatiale européenne avec une participation française importante. Le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) d’Aix Marseille Université, le Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA) de l’Observatoire de Paris et l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) de l’Université Paris Saclay, ont œuvré sous la maîtrise d’œuvre du Département d’Astrophysique du CEA – Saclay, sous l’égide du Centre National d’Études Spatiales (CNES), à la conception et la réalisation de l’instrument MIRI qui comprend un imageur, quatre coronographes (instruments permettant notamment de masquer une étoile brillante pour déceler d’éventuelles planètes en orbite autour) et un spectrographe à basse résolution pour des observations qui seront effectuées dans le domaine de l’infrarouge thermique, de 5 à 28 microns de longueur d’onde.
MIRI est le seul instrument à bord du JWST qui observera dans cette fenêtre spectrale et, à cet effet, il dispose d’un système de refroidissement actif, avec un circuit réfrigérant permettant d’abaisser sa température à -266 °C, soit une trentaine de degrés plus bas que l’environnement du télescope.
MIRI va notamment permettre d’observer les premières galaxies qui se sont formées dans l’Univers, il y a treize milliards d’années (l’Univers avait alors tout juste un milliard d’années d’existence) mais il va aussi permettre, plus près de nous, l’observation des exoplanètes dans un domaine spectral très peu exploré jusqu’à présent, ce qui devrait donner accès à des molécules présentes dans leur atmosphère que l’on ne peut détecter qu’à ces longueurs d’onde du domaine infrarouge.
Les autres instruments du JWST sont NIRCam (Near InfraRed Camera) de l’Université d’Arizona, NIRSpec (Near InfraRed Spectrograph) fruit d’une collaboration entre ESA et NASA, et enfin NIRISS (Near-InfraRed Imager and Slit-less Spectrograph) fourni par l’agence spatiale canadienne.
Quelques mois d’attente avant les premiers résultats
Après son lancement par Ariane 5, le JWST devra attendre plusieurs mois avant d’être opérationnel. Il va mettre un mois pour arriver à destination, au point de Lagrange L2, et ses différents éléments seront progressivement déployés pendant ce voyage : en tout premier les panneaux solaires pour l’alimenter en énergie, puis l’écran pare-soleil, le miroir secondaire et, enfin, le miroir primaire et ses 18 éléments hexagonaux. La mise en service des quatre instruments d’observation (MIRI, NIRCam, NIRSpec et NIRISS) se fera ensuite progressivement, avec des phases de réglage et de tests, de sorte que le début des observations scientifiques n’est prévu que dans six mois.
Les chercheurs du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille qui sont impliqués dans les programmes de temps garanti sont impatients de voir arriver les premières données que fournira MIRI. On ne devrait pas être déçu car le HST avait permis des avancées considérables dans notre connaissance de l’Univers et le JWST, avec ses capacités supérieures, nous réserve certainement de bonnes surprises.
Michel MARCELIN
Directeur de recherche émérite CNRS au LAM