Publié le 20 novembre 2013 à 23h49 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h39
Laurent Mucchielli est sociologue, directeur de recherche au CNRS. Il travaille depuis une douzaine d’années sur les questions de sécurité. Il a créé en 2011 un Observatoire de la délinquance en Paca. Il est l’auteur de « L’invention de la violence » aux éditions Fayard. Il va publier dans les jours à venir un ouvrage sur la délinquance à Marseille, fantasme et réalité, à la fondation Jean Jaurès.
Son intervention, claire, documentée, se déroule en trois points : premièrement mettre à distance le discours médiatique et politique ; deuxièmement ne pas perdre la mémoire en cédant au refrain du « c’était mieux avant » ; troisièmement il s’impose de porter un diagnostic froid sur la réalité.
Il développe : « Dans le débat public tout le monde veut parler tout de suite sans rien savoir sur ce qui vient de se produire. Alors on plaque un discours préexistant sur quelque chose dont on ne connaît rien, car avec l’information à flux continu, il faut bien dire quelque chose. Et, ainsi, on a l’impression de confirmer des choses qu’on savait déjà puisqu’on ne fait que répéter ce qui a déjà été dit ».
Il en vient au fait que la jeunesse serait de plus en plus violente et de plus en plus jeune. « Le seul problème c’est que ce discours est en vigueur depuis le XIX e siècle. S’il était pertinent, à ce rythme il faudrait aujourd’hui se méfier des nourrissons qui, à tout instant pourraient braquer des banques ». Autre grand classique : « La faute aux immigrés. Cela devrait faire réfléchir à Marseille, rappeler les propos tenus à l’encontre des Italiens venus en nombre à Marseille puisque, à la fin du XIXe, un quart de la population phocéenne était italienne ».
Et c’est dans les années 30 que la mode Marseille-Chicago est lancée. « Donc ce qui serait extraordinaire, nouveau aujourd’hui, en fait, ne date pas d’hier ».
« Dans les années soixante les blousons noirs apparaissent »
Le sociologue en revient aux bandes de jeunes ce qui serait un phénomène neuf. « En juillet 1959 Paris Match a, pour titre de Une, les blousons noirs. On parle alors d’une jeunesse pervertie par la musique américaine, les bandes, la violence. Donc, il n’y a pas de nouveauté. Des groupes de jeunes sont en rupture sociale, en échec scolaire, ils sont exclus. Ils deviennent alors les terreurs de cour de récréation. Puis c’est une nouvelle exclusion, celle de l’établissement. Ils se retrouvent dans la rue, où ils trouvent d’autres jeunes aussi exclus, une bande se structure, avec ses violences. Le phénomène n’a pas changé, en revanche, il y a une différence avec les années soixante, elle réside dans le fait qu’à cette époque les jeunes, finalement, allaient à l’usine et se rangeaient. Aujourd’hui, les jeunes ne peuvent plus aller travailler ».
Concernant la cité phocéenne il indique qu’aucune donnée scientifique ne justifie le discours sur l’exception marseillaise et de mettre en garde : « Il existe ce qu’on appelle en sociologie des prophéties auto-réalisatrices. C’est à dire que si on passe son temps à dire à une personne qu’elle est ceci, elle aura tendance à le devenir. Il serait donc bon de se demander quelle image on envoie aux jeunes marseillais lorsque l’on ne cesse de dire, les concernant, qu’ils sont l’archétype de ce qui nous fait peur. On ne fait que renforcer le rôle de délinquant que des jeunes peuvent endosser lorsqu’ils n’ont pas autre chose à faire. D’ailleurs des policiers m’ont déjà indiqué qu’en interpellant des jeunes, il est arrivé que certains tentent de se justifier en disant qu’ils sont de Marseille. Ce à quoi les policiers rétorquent : Et alors ? ».
« Voilà quelques années, dans un lieu convivial, le bar du Téléphone… »
Concernant les règlements de compte à Marseille : « Bien sûr qu’il y en a. Bien sûr que c’est insupportable. Mais il n’y a rien de neuf. Voilà quelques années, dans un lieu convivial, le bar du Téléphone, quatre personnes sont entrées et en ont tué dix en quatre minutes. Que dirait-on aujourd’hui face à un tel événement ? Quels mots seraient employés ? Et le juge de l’époque, le juge Michel, deux ans plus tard, a été abattu dans la rue ? Que serait-il dit ? ».
Il est encore question de mémoire lorsqu’il aborde la question des trafics qui n’ont pas vu le jour aujourd’hui, en effet, précise Laurent Muchielli : « Depuis la fin du XIXe, Marseille est une plaque tournante de trafics. Et ce n’est pas dû à une fatalité, à la nature des gens, mais au fait que c’est un port étape entre l’Amérique et l’Asie. Le trafic commence par l’opium qui, à l’époque, rappelons-le, est produit légalement et consommé par les militaires. Entre les deux guerres les trafiquants apprennent à transformer l’opium, produisent de l’héroïne. Ils ont alors pour marché les Etats-Unis, c’est la French Connection. Puis les situations évoluent, aujourd’hui le marché n’est plus Américain mais Français et Européen et le produit qui se vend le plus est le cannabis ».
Mémoire donc, mais, pour Laurent Mucchielli, il s’impose aussi d’avoir de « la froideur » pour analyser les questions relatives à la violence.
Il en vient à ce propos aux enquêtes qui sont réalisées. Une, menée dans les cinq plus grandes villes de France révèle que Marseille n’est en tête que sur les vols de voitures.
Des enquêtes mettent aussi en lumière que loin des vols, des cambriolages, les français déplorent avant tout dans leur quotidien les agressions verbales et le vandalisme sur voiture. « Mais ces questions n’apparaissent pas dans l’espace public et ne sont pas traitées par les pouvoirs publics ».
Mieux poursuit-il : « lorsqu’on pose trois questions : Est-ce que l’insécurité est un problème prioritaire ? Vous arrive-t-il d’avoir peur dans la vie de tous les jours ? Avez-vous été victime d’agression ? A la première question les réponses sont oui à 85%. Mais concernant le fait d’avoir peur il n’y a plus que 5 à 15% de oui, et le pourcentage chute encore sur le nombre de personnes qui ont eu à subir des agressions ».
« Il ne s’agit pas pour autant de nier les peurs. »
Alors, pour Laurent Mucchielli : « Il ne s’agit pas pour autant de nier les peurs, elles existent dans notre société, les raisons sont à chercher ailleurs que dans les agressions. Il existe un ensemble de fragilités individuelles et sociétales : l’âge, la solitude, la précarité, l’exclusion. Le chômage est une violence sociale dramatique pour les personnes et les familles. Quelqu’un qui perd son emploi n’appartient plus au même monde. Et cette exclusion peut commencer très tôt. L’école c’est la société des enfants et l’échec scolaire la première exclusion. Tant que l’on n’a pas compris cela on court après une situations sans en comprendre ses raisons. Ensuite, les disparités économiques sont un autre facteur de violence. Lorsque tout le monde est pauvre il n’y a pas de violence mais lorsque, comme c’est le cas à Marseille, extrême richesse et extrême pauvreté se côtoient des tensions se créent. Enfin, la transformation trop rapide du paysage urbain accroît le sentiment d’insécurité, c’est vrai notamment lorsque l’environnement périurbain de petites commune se construit. Voit ainsi le jour des lieux anonymes, dans lesquels les gens qui y vivent travaillent de plus en plus loin de leur lieu d’habitation. Et les phénomènes de solidarité, d’inter-connaissance et de contrôle inter-social -qui peuvent exister pour le meilleur et le pire- disparaissent ».
Michel CAIRE