Publié le 26 juillet 2021 à 8h32 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 19h21
C’est «Le Coq d’or» qui tire le rideau sur l’édition 2021 du Festival d’Aix-en-Provence. Une production initialement programmée l’été dernier et reportée pour les raisons que l’on sait. Après une sortie à l’Opéra de Lyon il y a quelques semaines, le gallinacé doré retrouvait ainsi son poulailler d’origine qui l’avait vu naître et débuter sa croissance il y a un an…
Rimski-Korsakov ne portait pas le Tsar Nicolas II dans son cœur ; c’est le moins que l’on puisse dire. Ce dernier venait de faire tirer sur des ouvriers qui voulaient lui remettre une pétition ; c’était le 9 janvier 1905 resté comme le «dimanche sanglant » ou «dimanche rouge». Alors le compositeur s’emparait du conte de Pouchkine «Le Coq d’or» pour tourner en dérision Nicolas II et son régime. L’astrologue du tsar Dodon lui offre un coq d’or capable de prédire les invasions. A chaque alarme Dodon envoie ses fils et son armée au combat. Mais tous s’entretuent et Dodon part lui-même au combat. Il va tomber sous le charme de la reine de Chemakha mais à leur retour au palais, l’astrologue demande la princesse en mariage comme rétribution pour le coq d’or. Dodon refuse et frappe à mort l’astrologue ; le coq tue le tsar et part avec la princesse…
Un univers fantasmagorique
Un conte exploité par le compositeur et son librettiste Vladimir Bielski pour mettre en scène un tsar oisif et égoïste entouré de conseillers falots. «Les bras croisés, il dirigeait son peuple couché au fond de son lit… », peut-on entendre pendant la pièce alors que le duel fratricide entre les tsarévitchs symbolise le dimanche rouge et que la reine symbolise la tentation de l’Orient qui a précipité la Russie dans de nombreux conflits… Barrie Koski signe ici une mise en scène tour à tour féérique et cruelle installant Dodon, couronne sur la tête et en habits de nuit maculés de sang et de sueur au cœur d’une lande où se dresse un arbre sec à la ramure torturée.
L’armée est constituée de chevaux affublés de bas et de porte-jarretelles, l’astrologue androgyne passe de la crinoline au frac, le coq porte talons hauts et longs doigts, les tsarévitchs sont deux bureaucrates, et la reine de Chemakha une séduisante, voire aguichante, orientale qui ne dissimule que très peu ses charmes physiques sous le lamé de sa robe. Dans cet environnement fantasmagorique, Barrie Koski organise les cavalcades, pend par les pieds les dépouilles des tsarévitchs décapités, propose un très sensuel striptease vocal de la princesse et un très gore massacre à la hache qui laissera l’astrologue sans vie.
Le top musical et vocal
La partition, somptueuse, met en avant la passion orientaliste de Rimski-Korsakov. Elle est servie, ici, à la perfection par l’orchestre de l’Opéra de Lyon et par un maestro qui aura vécu un remarquable été festivalier aixois, Daniele Rustioni. Ce dernier passe avec aisance des accents martiaux, parfois grotesques, à toute la sensualité aux saveurs de loukoum à la rose du chant de la princesse. C’est précis, coloré, puissant et prenant, tout comme les parties du chœur qui prennent ici une dimension parfois épique.
Puis il y a les voix des solistes au premier rang desquelles celle de la reine de Chemakha incarnée par la soprano arménienne Nina Minasyan. Une fois évoqués les charmes de la dame, il convient de mettre en avant ses indéniables qualités vocales qui lui permettent d’affronter de terribles suraigus avec autant d’aisance que les parties plus sensuelles évoquées plus haut. Dmitry Ulianov assume totalement le ridicule de son personnage, lui donnant une dimension scénique hors du commun tout en restant très précis vocalement. Du grand art. Acide et métallique, c’est le rôle qui le veut, la voix d’Andrei Popov donne à l’astrologue son côté étrange et irréel alors que depuis les coulisses, Maria Nazarova lance ses cocoricos (koukarekou en russe) avec aisance. Andrey Zhilikhovsky et Vasily Efimov sont d’efficaces tsarévitch Mischa Schelomianski un excellent Polkan et Margarita Nekrasova une Amelfa efficace. Un mot, aussi, pour le coq d’or perché sur son arbre, idéalement campé par le comédien Wilfried Gonon et pour un quatuor de danseurs échappés des ballets russes. Un idéal baisser de rideau pour un Festival d’Aix-en-Provence qui a tenu ses promesses cette année avec une programmation qui a fait, ou presque, l’unanimité.
Michel EGEA
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