Publié le 11 juin 2013 à 2h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h39
L’exercice est complexe, rendre compte de l’exposition « Le Grand atelier du midi », tant celle-ci est riche, dense. Avec cette manifestation, incontestablement Marseille Provence 2013 frappe un grand coup. Conçue comme un diptyque, cette exposition se déroule à Aix-en-Provence, au musée Granet et à Marseille, au palais Longchamp. Elle réunit près de 200 chefs-d’œuvre de la peinture entre 1880 et 1950-1960. A partir de deux figures tutélaires de la modernité, Vincent Van Gogh et Paul Cézanne, les œuvres présentées cherchent à expliciter comment le Midi, au sens large, du nord de l’Espagne au nord de l’Italie, avec quelques incursions en Afrique du Nord, a été un fabuleux laboratoire pour l’élaboration de la modernité en peinture.
C’est au Palais Longchamp que se tient la première inauguration, Marie-Paule Vial, commissaire de l’exposition, directrice du musée de l’Orangerie à Paris après avoir dirigé les musées de Marseille exprime, avant toute chose, le bonheur qui est le sien « de voir Longchamp aussi merveilleusement rénové, aussi beau que lors de son inauguration, avec, en plus, tous les équipements nécessaires pour lui permettre d’accueillir les plus grandes collections ». Un musée qui ouvre avec une exposition prestigieuse, « un livre écrit en deux grands chapitres avec Bruno Ely. Une exposition qui commence par une prophétie de Van Gogh : « Je crois donc qu’encore, après tout, l’art nouveau est dans le Midi. Une exposition qui invite à une réflexion sur une question qui touche le monde de la peinture depuis la fin du XVIe siècle. Est-ce le dessin qui porte l’idée de raison qui est premier ou la couleur qui véhicule l’idée d’émotion ? L’époque que nous présentons dans le Grand Atelier, la région : le Midi, montre des artistes qui vont être tentés tantôt par l’un tantôt par l’autre ».
On pénètre dans le musée et une sculpture s’offre aux regards, « Elle est une allégorie de l’exposition puisqu’il s’agit de « La Méditerranée » de Maillol, prêté par le Musée d’Orsay qui soutient le projet depuis le premier instant ». Marseille porte de l’Orient se dévoile aux artistes, occasion aussi pour eux de trouver là une vision d’une antiquité heureuse. « L’ensemble de l’exposition est une invitation à un voyage heureux dans la lignée de Puvis de Chavannes ».
Après la première sculpture, immédiatement, un choc, le souffle est coupé, un Van Gogh, « La chambre », puis « La Méridienne », « Champ de blé vue sur Arles » et « L’Arlésienne, Madame Ginoux », en face, un hommage de Claude Viallat « la haute note contre ».
« Occuper l’espace à la fois de façon forte et élégante »
Marie-Paule Vial, avec passion, explique : « La question s’est posée de savoir comment présenter cette exposition. Il fallait occuper l’espace à la fois de façon forte et élégante ». Un travail accompli par Pierre Berthier et Jean-Paul Camargo (Saluces Design) et Loretta Gaïtis, architecte, scénographe. Portiques, fenêtres, ouvrent des perspectives, des passages, entre les œuvres, un vrai plaisir.
Van Gogh et la couleur donc, Van Gogh qui rêve de créer un atelier du Midi, les artistes pouvant s’y rencontrer, débattre, confronter leurs points de vue. Gauguin vient ainsi à Arles. La rencontre se passe mal, « Pour Van Gogh la couleur sert à traduire ses sensations et peint dans de forts empâtements de matière et de couleurs. Alors que pour Gauguin, elle doit être en harmonie avec la forme pour produire un sentiment poétique ». C’est la dispute, tragique, Van Gogh se coupant le lobe de l’oreille. C’est la fin de son idée d’atelier.
« Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite »
« Mais, avec l’installation de Renoir à Cagnes, les séjours de Matisse à Collioure, la présence de Cézanne à Aix, le Midi devient une terre d’exception, non seulement un grand atelier à ciel ouvert, mais aussi un territoire de l’imaginaire ». Et sur ce littoral « les artistes ne cessent de se déplacer, de se rencontrer, de s’écrire ». Sur ce chemin de la lumière, de la couleur, le visiteur est guidé par des phrases qui révèlent des enjeux, des états d’esprit, des facettes de la confrontation à la lumière. Ainsi Monet : « C’est si beau, si clair, si lumineux ! On nage dans l’air bleu. C’est effrayant ! ». Monet qui installe l’impressionnisme sur la Côte d’Azur, Signac et Cross le néo-impressionnisme. C’est Derain, en 1905 qui écrit : « Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite ». Et c’est la naissance du fauvisme. La commissaire explique : « Depuis Van Gogh on est plus là pour imiter la nature. C’est la couleur qui devient le motif de la peinture ». Dans cette épopée de la couleur, le palais Longchamp, outre les grands noms, offre à découvrir des artistes moins connus tels Emile-Othon Friesz ou Théo Van Rysselberghe, pour de vrais moments d’émotions. Et que dire de Soutine ?
Dans ce débat sur la couleur et la forme, on trouve à Marseille Matisse, on le retrouvera à Aix-en-Provence. « Tout au long de l’exposition on s’interroge sur la manière dont une génération d’artistes a regardé tantôt du côté de Cézanne, tantôt du côté de Van Gogh, et les deux en même temps, passant de l’un à l’autre en quelques mois parfois, pour finalement apporter des réponses qui résoudront la dichotomie. Et, encore une fois, les artistes échangent beaucoup pendant cette longue période, c’est cela qui m’a guidé et j’espère que les textes au mur permettront aux visiteurs de tisser ces liens, de construire cette aventure, cet Atelier du Midi ».
Et Marie-Pierre Vial de conclure : « Mes collègues des Musées qui nous ont prêtés des œuvres sont tous émerveillés par ce Musée, par cette ville ».
Vient le temps des discours. Jacques Pfister, le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie attend « l’admiration du monde entier pour cette exposition ». Une exposition qui, indique le directeur du Musée d’Orsay, plus important prêteur de cette manifestation « voit, pour la première fois, la sortie de la Méridienne ». Jean-Claude Gaudin rappelle que 660 millions d’euros ont été engagés dans des réhabilitations, des constructions, dans la cité phocéenne pour cette année Capitale. Puis de se réjouir du Silo «L’Olympia sur mer de nos murs », le Fort Saint-Jean réhabilité par l’État « suite à un accord passé avec Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, par lequel nous nous engagions, la ville, a réhabilité Longchamp et l’État le Fort. Au final, une réussite spectaculaire ».
A Aix-en-Provence, Maryse Joissains Masini, maire d’Aix, avancera pour sa part : « Ce Grand atelier du Midi, c’est la rencontre entre la beauté naturelle d’un paysage qui, selon le mot des commissaires : « s’offre au regard comme une œuvre d’art » ; et des génies confrontés au débat autour de l’opposition, ou de la complémentarité ente la forme et la couleur que cette exposition réconcilie ».
« la femme à la cafetière, un des cinq Cézanne fondamentaux »
L’après-midi, il s’agit de mettre les formes à Aix-en-Provence. Et là encore le spectateur va passer par toute une palette d’émotions. Bruno Ely précise que des artistes sont aussi bien présents à Marseille que dans la cité du Roy René « car certains vont connaître ici des évolutions, sans parler de Matisse qui, aura sa façon de résoudre l’équation avec ses pages de gouache, découpées, collées ». Comme sa collègue phocéenne Bruno Ely remerciera les prêteurs et notamment le Musée d’Orsay pour « la femme à la cafetière, un des cinq Cézanne fondamentaux, alors que de Russie nous viennent deux autres chefs-d’œuvre : « le Marocain vert » de Matisse et une « Sainte-Victoire » de Cézanne. Nous voyons des peintres se rencontrer, même Cézanne que l’on dit secret, recevra avec plaisir de jeunes artistes. Et puis il y a Céret, où André Masson ira se reconstruire dans tous les sens du terme au sortir des horreurs de la 1ère guerre mondiale, il y a Collioure, Cannes. Et nous proposons là, en mettant en lumière ces liens, une compréhension au grand public et mieux, un élargissement de leur compréhension. Car, en mettant côte à côte des œuvres, c’est une histoire qui se raconte ».
Alors, une scénographie parfaite, entraîne le public. C’est un nu de Cézanne, pour ouvrir une histoire, un travail de jeunesse. « C’est de l’expressionnisme quarante ans avant l’expressionnisme ». Puis viennent Renoir, une série de Sainte-Victoire de Cézanne, la femme à la cafetière. C’est Braque qui vient sur les pas de Cézanne pour dépasser le fauvisme et qui commence à géométriser les formes, à en faire des cubes. Tandis que Dufy simplifie également les formes tout en faisant le choix de couleurs cézaniennes. «Face au soleil du Midi, élément qui découpe les formes, les ordonne dans un équilibre harmonieux, les préoccupations des artistes les conduiront à l’invention d’une écriture abstraite, lyrique ou géométrique, sublimée par la lumière d’un Nicolas de Staël ».
« le noir, une couleur lumière chez Matisse »
Enfin, si le Midi est, souvent, un paradis retrouvé, il peut se faire aussi sombre, tragique, en tant de guerre. Ainsi un Matisse inquiet, séparé de sa famille, travaille, une nouvelle fois sur des fenêtres. Mais, au lieu de s’ouvrir sur un paysage extérieur, elle ne s’ouvre, dans cette composition quasi-abstraite, que sur du noir « le noir, une couleur lumière chez Matisse ». Ce peut être un lieu aussi, un refuge, comme Vauvenargues, pour Picasso, où il retrouve un peu du tragique espagnol. Une exposition qui, de salle en salle, capte, le public, le conduit plus loin. Avant cette dernière image, un immense portique, devant soi, laisse voir « La pêche au thon », une des œuvres maîtresses de Dali, magistrale. Sur les colonnes du portique, dans le même champ de vision, d’un côté une œuvre de Léger, éclatante de naïveté, et, de l’autre, la force de l’évidence, Matisse, derrière soi, la vérité du trait, Picasso. Une histoire de la peinture et il faut se forcer pour quitter ce moment d’éternité.
Michel CAIRE