Publié le 1 juillet 2023 à 19h18 - Dernière mise à jour le 22 août 2023 à 10h21
Le satellite Euclid, de l’Agence Spatiale Européenne, a été lancé avec succès le 1er juillet 2023 depuis Cap Canaveral par une fusée Falcon 9 de SpaceX. Il emporte le spectrographe infrarouge NISP fabriqué au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille.
Euclid est un télescope spatial doté d’un miroir de 1,20 m de diamètre qui sera placé au point de Lagrange L2, un des points d’équilibre des forces entre la Terre et le Soleil, où il retrouvera d’ailleurs dans un mois le télescope spatial James Webb qui s’y trouve depuis déjà un an et demi. Euclid va permettre d’étudier la distribution des galaxies dans l’Univers, c’est pourquoi on lui a donné le nom du célèbre mathématicien de la Grèce antique considéré comme le père de la géométrie.
L’Univers est composé de dizaines de milliards de galaxies dont chacune contient des centaines de milliards d’étoiles. Euclid va permettre d’établir avec précision la carte de leur répartition en 3D sur un tiers de la voute céleste, englobant environ deux milliards de galaxies. Les galaxies lointaines observées permettront de remonter le temps jusqu’à une dizaine de milliards d’années en arrière, le temps qu’a pris leur lumière pour nous parvenir. On espère ainsi mieux comprendre deux composantes fondamentales de l’Univers que sont la matière noire et l’énergie noire.
Matière noire et Énergie noire
La première a été découverte il y a presque un siècle, en observant le mouvement des galaxies, on a constaté qu’elles étaient maintenues en paquets (baptisés amas de galaxies) par une force gravitationnelle supérieure à ce qu’indique la somme de leurs masses individuelles. De la même façon, on a noté que les galaxies tournent sur elles-mêmes plus rapidement que ne l’indique la masse totale d’étoiles, de gaz et de poussières qui les constitue, ce qui suggère qu’il y a de la matière que l’on ne voit pas mais qui agit par sa force gravitationnelle, d’où le nom de matière noire qu’on lui a donné. On ne connait toujours pas la nature de cette matière noire mais la physique des particules pourrait apporter la solution et il est amusant de noter que l’explication d’un phénomène observable à si grande échelle pourrait ainsi résider dans une minuscule particule difficile à détecter.
La matière noire pourrait constituer 85% de la masse de l’Univers, la matière ordinaire formée des atomes qui nous sont familiers n’en constituerait donc que 15%. On a même pensé que cette énorme masse amènerait à ralentir l’expansion de l’Univers créée par le Big Bang, au point que celle-ci s’arrêterait et que l’Univers s’effondrerait ensuite sur lui-même sous l’effet de sa propre gravitation, l’amenant à se concentrer en un point, on a baptisé cela le Big Crunch. On pouvait ainsi imaginer une série d’expansion-contraction pour notre Univers, avec une sorte d’histoire sans cesse recommencée.
Paradoxalement, alors que l’on cherchait à mesurer le taux de ralentissement de l’expansion de l’Univers, on a découvert en 1998 que l’expansion s’accélère !… Pour expliquer ce phénomène inattendu on a introduit le concept d’énergie noire qui vient compliquer un peu plus la tâche des cosmologistes qui étudient la structure et l’évolution de l’Univers. Dans les modèles mathématiques qu’ils ont développés ils essaient de trouver le dosage de matière noire et d’énergie noire qui est le plus à même d’expliquer la distribution des galaxies que l’on observe. L’Univers à grande échelle a une structure en éponge, avec de vastes zones vides entre les galaxies qui semblent se répartir à la surface de gigantesques bulles contigües. Les zones vides ne sont cependant pas des trous isolés, comme dans un gruyère, mais il y a une continuité entre elles, exactement comme dans une éponge.
Les instruments d’Euclid
Pour observer au mieux la répartition des galaxies dans l’Univers, Euclid est équipé de deux instruments, VIS qui fonctionnera dans le visible, et NISP (Near Infrared Spectrometer and Photometer) qui fonctionnera dans l’infrarouge.
VIS a été construit au Royaume-Uni et fera des images de galaxies lointaines. Lors de son trajet pour arriver jusqu’à nous la lumière de ces galaxies peut être courbée par la masse de galaxies plus proches (c’est l’effet de lentille gravitationnelle) et leur image s’en trouve déformée, ce qui nous renseigne sur la distribution de la matière à grande échelle dans l’Univers, en particulier la matière noire.
NISP a été construit au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille. C’est un spectro-imageur dont le détecteur, fourni par la NASA, est composé d’une mosaïque de 16 capteurs sensibles au rayonnement infrarouge proche (1 à 2 μm) et comporte 65 millions de pixels qui couvrent un champ de vue d’un peu plus d’un demi-degré carré dans le ciel, soit à peu près le diamètre apparent de la Lune. NISP peut fonctionner comme photomètre, en mesurant le flux lumineux de l’image observée au travers de trois filtres différents, ou comme spectromètre, en décomposant la lumière au travers de quatre grisms (combinaison de réseau et de prisme).
Le photomètre permettra d’estimer le décalage vers le rouge de la lumière résultant de l’expansion de l’Univers, et donc d’obtenir la distance de milliards de galaxies par la photométrie multi-couleurs. Le spectromètre permettra quant à lui de décomposer la lumière infrarouge afin de mesurer de manière plus précise la distance de millions de galaxies. Il ne pourra pas observer autant de galaxies que le photomètre mais il fournira leur distance avec une précision dix fois meilleure. Une telle précision est requise pour estimer correctement la quantité d’énergie noire présente dans l’Univers, en effet celle-ci a pu agir juste après le Big Bang pour influencer la distribution des galaxies en 3D que l’on observe aujourd’hui, notamment la distance de séparation moyenne entre deux galaxies.
Suite de la mission Euclid
Après dix années de développement où le LAM a joué un rôle de tout premier plan, avec la maîtrise d’œuvre de l’instrument NISP, le satellite Euclid ira se placer au point de Lagrange pour commencer ses observations et nous envoyer ses données pendant au moins six ans. Le travail sur Euclid au LAM est donc loin d’être terminé mais, si ce sont surtout les ingénieurs et techniciens qui ont été mis à contribution jusque-là, ce sont maintenant les chercheurs qui vont se retrouver en première ligne. Il faudra en effet travailler sur le traitement des données et, d’ici quelques mois, sur leur exploitation et leur analyse scientifique proprement dite. La carte en trois dimensions de l’Univers que va fournir Euclid constituera une énorme quantité de données qui sera rendue publique pour que l’ensemble de la communauté scientifique puisse y accéder, à la suite des 2 600 chercheurs membres du consortium Euclid qui regroupe une quinzaine de pays. Les chercheurs du LAM impliqués dans ce projet sont impatients de se pencher sur ces données qui vont fournir des informations inédites et cruciales sur la matière noire et l’énergie noire dans l’Univers.
Michel MARCELIN
Directeur de recherche émérite CNRS au LAM
Membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille