LES GRANDES RENCONTRES DE L’UNIVERSITÉ

Publié le 30 mars 2013 à  3h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h12

Identités et religions dans un monde sans frontières

Loin des caricatures, des simplifications et des idées reçues, la cité phocéenne, dans le cadre de Marseille Provence 2013, poursuit une série de débats sur le fait religieux. Ainsi, les grandes rencontres de l’université ont proposé, ce 19 mars une rencontre entre Raphaël Liogier, Pascal Boniface et Franck Fregosi. Elle a mis en lumière à la fois que le fait religieux existait toujours et que nous étions bien loin d’un éventuel choc de civilisations.

Raphaël Liogier, professeur de l'IEP d' Aix-en-Provence , dirige l'Observatoire du Religieux  PHOTO DR
Raphaël Liogier, professeur de l’IEP d’ Aix-en-Provence , dirige l’Observatoire du Religieux PHOTO DR
Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (PHOTO DR)
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (PHOTO DR)
Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'Islam (PHOTO DR)
Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’Islam (PHOTO DR)

Raphaël Liogier, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix, dirige l’Observatoire du Religieux. Ses recherches portent sur l’évolution des croyances dans un monde globalisé. Il s’interroge, en premier lieu sur la notion d’identité : « On emploie le mot identité en faisant référence à la singularité alors que c’est le contraire. L’identité c’est : à quoi je ressemble, à quel territoire j’appartiens. L’identité est narrative, c’est à dire que c’est se raconter des histoires. D’ailleurs ce qui caractérise l’humain c’est celui qui raconte des histoires et d’abord sur lui-même. Lorsqu’il s’habille, ce n’est pas seulement pour ne pas avoir froid mais pour dire ce qu’il est. Et il ne peut exister sans un sol mythique qui le stabilise.Une des caractéristiques de l’humain est donc de construire son identité par la narration et cela passe par de l’exhibition. Et il s’agit d’être le même un jour sur l’autre, de lutter contre la dissolution du sens et de ressembler à l’Autre qui fait partie de la même communauté que moi. Ce phénomène est tendu par le désir d’être encore et toujours. D’où l’existence d’entreprises spécialisées dans la gestion des sols mythiques que sont les religions et qui sont spécialisées dans l’avant-avant et l’après-après, d’où l’au-delà ».

Mais qu’en est-il des identités dans un monde de plus en plus mondialisé, sécularisé ? « Alors que certains pensaient que la sécularisation avancerait comme un rouleau compresseur ce n’est pas ce qui se produit. La globalisation produit une intensification de la circulation symbolique, de croisements des sols mythiques et trois phénomènes permettent de critiquer la thèse de la sécularisation de nos sociétés ».
Le premier phénomène, selon l’universitaire, résiderait dans le fait « que de nouveaux mouvements religieux, voire spirituels, se développent. Certains appellent cela des sectes, mais, comme cela a pris une certaine connotation, on distingue maintenant sectes et sectes dangereuses, car, par exemple, on peut dire que les personnes qui s’inscrivent dans une logique écologique radicale appartiennent à une secte. Aujourd’hui de tels mouvements, inspirés du Bouddhisme, inspiré du Soufisme, etc… fleurissent dans les sociétés les plus sécularisées ».

« 10 000 conversions par jour en Chine au mouvement évangélique »

Le deuxième phénomène « réside dans les mouvements évangélique et néo-évangélique. En Chine, par exemple, on assiste à 10 000 conversions par jour à ce courant qui connaît la plus forte croissance religieuse que l’humanité ait jamais connue. Il prend particulièrement de l’ampleur en Asie, en Afrique Sub-saharienne ainsi qu’en Amérique latine. Et ce n’est pas un hasard si le pape François vient d’une partie du monde où l’église catholique est en concurrence avec ces mouvements qui la contraignent à repenser ses stratégies ».
Le troisième phénomène concerne « le développement du fondamentalisme, notamment islamique, qui lui aussi se développe dans certaines zones ».
Pour Raphaël Liogier : « Le développement de ces trois phénomènes fait système d’autant que les trois sont globalisés, fonctionnent à travers des réseaux globaux. Ils ont donc à la fois une forte emprise locale et une forte adaptabilité. Ils ont chacun, une forte causalité économique et sociale.
Ainsi les nouveaux mouvements, type New-Age, ne se retrouvent que dans les sociétés les plus riches. Le pentecôtisme et autres évangélistes se développent dans les zones les plus pauvres de la planète et, dans les sociétés industrialisées, ils touchent les populations en plus grande précarité ».
Concernant l’ islamisme « il s’agit d’un mouvement de reconnaissance de soi qui se construit sur des blessures narcissiques telles que la chute de l’empire Ottoman ou encore le colonialisme ».

« Point de choc des civilisations »

L’universitaire met en lumière le fait que ces mouvements ne peuvent s’inscrire dans une logique de choc des civilisations, d’affrontement des religions, puisqu’ils sont à l’œuvre au sein même de chacune d’entre elles. « Les nouveaux mouvements religieux cherchent une nouvelle construction de sol mythique, on parle d’hygiène de vie, de nourritures bio, de néo bouddhisme. Dans le christianisme il s’agit de faire différemment des pèlerinages, de les effectuer dans le but de se chercher soi-même. Bref, on cherche un supplément de bien-être. Mais, face à la compétition imposée par le Pentecôtisme, on trouve dans le catholicisme le développement du mouvement charismatique, que l’on retrouve aussi dans l’Islam. Et qui, quelle que soit la religion, s’appuie sur une émotion collective l’idée que le divin va apporter une réponse immédiate à tous les besoins. Donc point de choc des civilisations et un catholique charismatique va se trouver plus proche d’un Pentecôtiste que d’un catholique bourgeois qui va à la messe tous les dimanches, lequel sera plus proche d’un protestant luthérien ».
Pascal Boniface revient sur la notion d’identité : « L’État Nation reste pour moi, l’élément central des relations, y compris à l’heure de la globalisation. D’ailleurs c’est une erreur de croire qu’il y aurait un effet domino en matière de « Printemps arabe », nous sommes là face à des récits différents dans chaque pays. Une fois cela dit, il est vrai que les religions n’ont pas de frontières. Mais il faut alors aussi rappeler que les États se sont créés sur le dos des religions et que, selon les nationalités, on est doté d’une religion ».
Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques poursuit : « Après le 11 septembre nombreux sont ceux qui sont allés acheter le Coran comme si la réponse aux attentats se trouvait là, ce qui est faux. Lorsque l’on parle de religion deux erreurs sont à éviter. La première c’est la posture de Staline : le Pape combien de divisions ? Le mépris absolu. L’autre erreur est de croire que c’est Jean-Paul II qui, par la puissance de son verbe, a renversé le communisme. C’est oublié que Gorbatchev a joué un bien plus grand rôle que lui en ce domaine. De même c’est une erreur de faire une lecture religieuse du conflit israélo-palestinien, d’abord parce que c’est oublié qu’il y a des palestiniens catholiques, et parce que les israéliens n’entendent en rien convertir les palestiniens. Nous sommes là simplement devant un conflit politique et territorial ». Selon lui : « En Europe la pratique religieuse est en déclin. Et le 11 septembre montre que, hors Europe, des forces religieuses se construisent sur les décombres du nationalisme, le déclin des idéologies. Je pense d’ailleurs qu’avec le Pape François l’église voit un marché énorme s’ouvrir devant elle en Chine. Le discours réactionnaire sur le plan sociétal mais alter mondialiste pour le reste devrait être pertinent ».

« une prophétie auto-réalisatoire »

Concernant le choc des civilisations, l’orateur se révéle moins optimiste que Raphaël Liogier : « Il n’a certes pas de fondements, mais nous pouvons nous trouver face à une prophétie auto-réalisatoire, à force de la répéter elle peut devenir réalité, permettre des affrontements. Mais il n’y a là rien d’inéluctable ni de religieux d’ailleurs, tout dépendra des décisions politiques qui seront prises ».
Franck Frégosi, directeur de recherche aux CNRS, spécialiste de l’Islam, considère pour sa part être totalement d’accord avec Raphaël Liogier sur le New-Age, ne l’être que partiellement sur le charismatisme et le fondamentalisme.« Pourquoi le réduire à l’islamisme ? De même, vous parlez de nouvelles formes religieuses mais le départ d’un Pape, l’élection d’un nouveau, prouvent que les systèmes traditionnels continuent de fasciner. Ensuite, en matière de charismatisme ou de fondamentalisme, ce qui inquiète c’est l’usage qui peut en être fait. Il ne faut d’ailleurs pas mépriser l’émotion, elle doit être prise au sérieux. Le fondamentalisme inquiète, certes, mais il ne faut pas oublier que ce mouvement est né aux USA dans les années 20 et qu’il comprend des courants libéraux. Il faut donc prendre en compte la dynamique historique de chaque pays.
« Certes-rétorque Raphaël Liogier-mais l’Islam radical n’a pu se construire que dans un rapport à l’Occident. De même l’intégrisme catholique s’inscrit en réaction , plaide un retour en arrière ».

Luc CONDAMINE

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