Jean-Benoît Vion écrit à tour de rôle à tous les candidats aux municipales de Marseille. A tout seigneur, tout honneur, il ouvre cette rubrique épistolaire par cette missive au sénateur-maire UMP Jean-Claude Gaudin. Lundi prochain, nous publierons la lettre destinée à Patrick Mennucci, tête de liste socialiste.
Destimed
Cher monsieur le sénateur-maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin
Puis-je me permettre de vous envoyer cette courte missive en cette fin d’année 2013. Mais sachez que nous avons une année importante en commun, ce n’est pas 2014 ! Nous y reviendrons. Mais, pour vous et pour moi, il s’agit de 1995. Cette année-là, vous étiez déjà président du Conseil régional, sénateur, vous devenez maire de Marseille et, le 7 novembre, vous êtes nommé ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration. Je me suis toujours demandé comment vous pouviez absorber autant de fonctions et garder le sourire en embrassant toutes les dames et les enfants sur les marchés le samedi matin. Vous avez la bise facile et le verbe haut, une force que peu d’hommes politiques possèdent sauf bien sûr Jacques Chirac.
Le 2 janvier, j’arrive à Marseille, nommé par Messieurs Labro et Mazerolle, patrons de RTL, pour être responsable de la région Sud. Je découvre Marseille sous un angle nouveau. J’étais nommé pour un an, j’y suis toujours et 19 ans après, toujours heureux, et fier d’être Marseillais.
Pour cette campagne à venir, n’oubliez jamais les nouveaux arrivants, les néo-Marseillais qui aiment cette merveilleuse ville. Ce sont eux qui défendent le mieux la cité phocéenne et croyez-moi ce n’est pas toujours simple ! Vous le savez, il est très délicat d’expliquer à des Lyonnais, des Lillois et je ne parle même pas des Parisiens que nous habitons dans une ville où il fait bon vivre, que la lumière est la plus belle de France (les cinéastes le savent très bien) que les Marseillais sont accueillants et serviables. Ils sont les meilleurs ambassadeurs pour cette ville.
Bien entendu, il y en a beaucoup d’autres. D’ailleurs, tous vos futurs adversaires, quelles que soient leurs idées, aiment profondément leur cité. Vous allez défendre bec et ongles votre bilan, c’est votre droit et sur de nombreux points, vous avez raison, je ne vais pas vous les énumérer, vos adjoints s’en chargent, et plutôt bien d’ailleurs. Mais les marseillais attendent plus désormais…
Il est vrai qu’en 18 années de mandature, vous avez réalisé des projets remarquables. Seulement voilà, l’image du « maire bâtisseur » use nerveusement quelque peu les usagers. Il suffit d’écouter chaque jour les automobilistes bloqués deux heures pour se rendre à leur travail par des camions de chantier ou d’entendre encore des vieilles dames attendre leur bus qui ne passera pas pour cause de travaux. Elles râlent, grognent et précisent, à qui veut l’entendre, que tout cela est de la faute de Gaudin. Il est difficile de faire comprendre à ces mamies « grandes gueules » que MPM et la mairie ne sont pas tous rassemblés dans un même parti.
Il ne vous a pas échappé que votre âge fait jaser vos adversaires. Vous aurez 75 ans en 2014. Vous avez réfléchi durant de longs mois avant de vous décider à repartir dans cette rude bataille électorale. Mais, à mon très humble avis, monsieur le Maire, vous vous êtes décidé pour 2 raisons : D’abord, la politique est pour vous une réelle raison de vivre. Et, vous avez besoin de croiser le fer, de faire campagne et votre plus grand plaisir est de faire rire les foules dans les meetings de campagne des futurs Présidents, par exemple, Chirac et Sarkozy. L’un d’eux m’a confié un jour: « Gaudin est le meilleur chauffeur de salle qui soit, c’est le meilleur orateur, il dit des choses essentielles avec toujours les petites phrases qui font rire, jamais méchantes, toujours grinçantes. Des formules que j’aimerais sortir à la tribune mais c’est trop tard. Gaudin écrit ses textes mais il improvise très vite et là, tout le monde écoute ». Devinez l’auteur!
Ensuite, vous avez décidé de vous représenter pour éviter une guerre fratricide au sein de vos amis politiques. Je ne vous apprends rien mais je crois que les prétendants à votre succession sont aussi nombreux que les taxes du gouvernement reçues chaque jour dans les boites aux lettres des Français. Vous avez le cuir tanné et les petits mots assassins des uns et des autres vous blessent certes mais ne vous ne mettent pas à terre. Je me demande parfois si vous n’avez pas un sens aigu de la vengeance. Dans votre camp certains pensaient vous dévorer tout cru. Aujourd’hui, il en est qui s’en mordent les doigts.
Vous répétez sans cesse que vous avez été élevé dans l’eau bénite, moi aussi ( 3 oncles Bénédictins à Saint Wandrille!). Mes oncles m’ont toujours appris à pardonner et à aimer les autres et surtout ne jamais prononcer des répliques qui peuvent faire de la peine et humilier autrui. Vous avez suffisamment de relations auprès des responsables religieux de Marseille et du Vatican pour ne pas recevoir des leçons de morale de la part d’un journaliste qui habite les quartiers Nord. Je me permets de vous préciser que Marseille-Espérance est l’une des plus grandes réussites de cette ville. Lorsque je vois tous les hauts responsables religieux réunis dans une entente fraternelle et amicale pour parler de paix et de réconciliation, je suis fier, de plus en plus fier, d’être Marseillais. La ville la plus cosmopolite d’Europe a besoin des muftis, des rabbins, des évêques, des bouddhistes avec des hommes politiques de toutes couleurs pour apaiser les violences verbales et physiques dans nos cités. Les hommes et les femmes de cœur et de bonté sont toujours entendus mais malheureusement peu écoutés.
Revenons à cette campagne dans laquelle vous êtes entré tel un taureau dans l’arène. Vous avez vite compris que vous deviez vous entourer d’une garde rapprochée: Gilles, Moraine, Vassal, Lecaradec, Tian, Boyer, Pozmentier ( j’en oublie bien sûr). Ce sont des femmes et des hommes de talent qui vous sont parfaitement dévoués, qui vous admirent beaucoup, ils vous doivent tout. Mais, parfois ils ont la peur au ventre, peur de vos colères et de « faire ou dire une boulette!». Ils redoutent la réaction de celui que Marianne a surnommé « le vrai maire de Marseille, le Richelieu de Gaudin». Il s’agit, bien entendu, de Claude Bertrand, votre collaborateur, fidèle depuis 35 ans, votre ami, votre « gilet pare-balles ». Je fus surpris le 16 novembre dernier de voir sa photo dans un magazine. C’est un homme discret. On ne le voit jamais mais rien ne lui échappe. Il sait tout. Il connaît tous les secteurs de Marseille et il est capable de vous montrer dans un quartier ou une rue : Qui va voter pour tel ou tel candidat. Il a écrit un livre sur le sujet, il y a quelques années, passionnant mais bien loin d’un feuilleton télé. Je ne suis pas sûr que tous les candidats inscrits sur votre liste aient pris le temps de le lire.
Jean Pierre Foucault a été votre élève en Histoire-Géo durant plusieurs années. Il répète sans cesse qu’il est devenu amoureux de l’Histoire grâce à vous. « Il commençait par nous lire le livre », dit-il et très vite « il partait dans des explications incroyables et amusantes, dans des improvisations qui passionnaient même les plus nuls de la classe».
Vous n’avez pas changé. C’est un régal de voir la tête de vos collaborateurs lorsque que vous prononcez un discours. Ils deviennent vite tout pâles. Vous lisez les trois premières pages, soigneusement préparées, dans une chemise bleue en général et au bout de quelques minutes, vous refermez le dossier, vous desserrez votre veste et vous partez dans une allocution où vous vous adressez directement, avec de grands gestes, à votre auditoire en nommant plusieurs personnes de l’assistance, en évoquant leur quartier, leur quotidien. Cela fait toujours plaisir.
Vous êtes reparti en campagne pour votre plus grand plaisir. Vous avez dans les veines le combat politique, un devoir d’écouter vos concitoyens. « Lorsque le combat est rude et menaçant, il est le meilleur, le plus redoutable », me disait l’un de vos amis sénateur qui a de l’expérience, ajoutant même: « Sous son air bonhomme et jovial, il peut être un véritable tueur car il poignarde avec le sourire.»
Vos projets pour les années à venir sont alléchants : Le casino à Marseille, le téléphérique pour monter à Notre-Dame de la Garde, une passerelle géante pour relier le fort St Jean au fort St Nicolas, sans omettre la propreté et la sécurité.
Pour terminer, cette lettre que certains de vos collaborateurs issus des grandes écoles trouveront stupide et ridicule, j’aimerai vous préciser que mon petit doigt de paysan du Pays de Caux me dit que vous avez un plan secret si vous êtes réélu. A mi-mandat, vous allez céder votre fauteuil à l’un de vos adjoints, ainsi rester sénateur et continuer à surveiller les affaires courantes de votre ville.
Vous allez vivre de longues et rudes semaines d’ici le mois de mars mais après tout vous en avez vu d’autres depuis 1965, année où vous avez été élu pour la première fois, vous étiez alors le benjamin du Conseil municipal de Marseille.
Respectueusement Vôtre
Jean-Benoît Vion