A quelques heures de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, difficile de saisir l’humeur et la température d’une capitale, certes habituée aux grands rendez-vous et événements internationaux, mais qui a pris, depuis quelques semaines, l’aspect d’un camp retranché.
Jusque là, rien qui ne saurait déjouer la réputation de « dernier village gaulois » dont nos voisins adorent nous prévaloir. A Paris, comme à Marseille – il faudra un jour cesser cette guéguerre de pacotille entre les deux plus grandes villes de France tant in fine elles se ressemblent -, on aime bien, il faut le dire, avoir le verbe haut et la critique aiguisée. Alors, comme avant chaque grand rendez-vous, les 68 millions de (gentils) organisateurs que nous sommes, y allons de nos sempiternelles récriminations et autres détestations.
Comme d’habitude, et la Méditerranéenne que je suis, exilée à Paris depuis 8 ans, n’a pas honte de s’inclure dans ce club très sélect, nous allons y aller de nos avis tranchés et grands questionnements: fallait-il décider, par péché d’orgueil, d’organiser la cérémonie d’ouverture sur une Seine certes dépolluée, mais ouverte aux quatre vents? Enfin, en l’occurrence, aux quatre pluies… Fallait-il effrayer suffisamment les Parisiens depuis des mois, voire des années, et ne pas les retenir dans leur propre ville? Fallait-il clôturer, dresser des barrières, fermer des grands axes, contraindre la population à subir une organisation démesurée plus que l’inviter au partage de la fête et des valeurs que nous sommes les premiers à défendre quand un « estranger » ose nous défier sur ce terrain…
Bon, pour être totalement honnête, il y a un petit peu de mauvaise foi et de mauvais esprit de part et d’autre, mais c’est ainsi, on ne refera pas un Français grognon. Pourtant, à bien y réfléchir, nos Jeux auront bien pour étendard, le bleu, le blanc, le rouge, ces trois couleurs magiques, ferment de notre identité, seules capables de nous réconcilier sous tous les cieux, du soleil de Provence aux tempêtes éprouvantes des côtes bretonnes.
Le bleu, à Paris cette année, ce n’est pas dans le ciel qu’il faut le chercher, mais dans les uniformes des 45 000 policiers déployés pour l’occasion dans la moindre rue de la capitale. Et là, pour le coup, c’est un peu comme être passé du désert de Gobi aux plaisirs de l’île enchantée. Depuis des semaines, les uniformes, quasiment absents traditionnellement des artères parisiennes, sont descendus à nouveau dans les rues, à pied ou en voiture, au contact des Parisiens et des touristes, rassurés de cette inhabituelle présence. Car si, bien entendu, la menace terroriste reste la plus vivace dans l’esprit des autorités comme des habitants ou des visiteurs, celle de la mauvaise réputation, de l’agression, du vol à la tire, de la délinquance à la petite semaine, peut être dévastatrice en termes d’image. Tout ce que le gouvernement, certes démissionnaire mais au front comme si de rien n’était, veut à tout prix éviter. Car si la saison touristique 2024 s’avère pour le moment plutôt en berne, la carte postale idéale que l’on espère faire parvenir à chaque foyer mondial pourrait, elle, avoir des retombées jusque dans les 10 années à venir. A en croire les dernières déclarations du ministre de l’Intérieur – désormais sans cravate -, Gérald Darmanin et du Préfet de police Laurent Nuñez- un autre Marseillais d’adoption tiens -, le dispositif porte déjà ses fruits puisque la délinquance parisienne serait en chute libre.
Plutôt en phase et visiblement heureux malgré la tension sous-jacente, les forces de l’ordre font tout pour mériter la médaille d’or, bien avant le début des compétitions. Alors, il y a certes les troupes d’élite, les héros des grands corps connus et reconnus, les snipers, les démineurs, les agents de la protection, les cortèges qui slaloment parmi des automobilistes dépassés et autres badauds qui tentent désespérément d’attraper un bus ou un métro qui fonctionne encore pour partir au travail ou rentrer à la maison. Il y a des renforts venus de l’étranger ou de province, ravis de découvrir Paris.
Et puis il y a ceux d’ici, plutôt heureux de retrouver le bitume parisien pour un moment festif, loin des grandes crises des dernières années, des Gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites. Comme un souffle avant une rentrée sociale et politique éminemment risquée. Car, comme dirait mon oncle, 30 ans de Police nationale dans les pattes : « Quand on décide de devenir policier, c’est pour protéger et servir, pas pour se transformer en Robocop« … Bon des Robocop, il y en a, forcément. Car ne soyons pas naïfs, le monde dans lequel nous vivons ressemble malheureusement à un monde de chaos, d’incertitudes et de menaces.
Paris, camp retranché? Oui, certainement, mais c’est aussi l’époque qui le commande. Il faut se rendre à l’évidence, notre monde n’a plus rien en commun avec celui de Pierre de Coubertin. L’esprit olympique, aujourd’hui, comme tout esprit de fête, ne peut aller sans un déploiement XXL de sécurité et de technologie. On peut le déplorer, mais force est de constater qu’il est difficile de faire autrement. En ce sens, les Jeux Olympiques de Paris sont aussi précurseurs en la matière. Comme me disait il y a quelques heures une de mes amies : « Je n’avais jamais pris conscience de cette réalité de façon aussi claire« . D’ailleurs, avouons-le franchement, si on vous rend bien volontiers le ticket de métro à 4 euros, on ne serait pas contre-garder du bleu sur nos trottoirs après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques.
Mais nos Jeux sont aussi blanc, bien entendu. Blanc comme un ciel de traîne qui ne laisse augurer rien de bon pour cette soirée d’ouverture que le chef de l’État, en personne, a voulu en plein air. Paris, ses monuments, sa beauté – si vous y collez la mer, ce serait presque aussi beau que Marseille -, sont l’écrin parfait, non seulement de la cérémonie du 26 juillet mais des compétitions à venir. Ce qu’Emmanuel Macron veut, ce sont des images à couper le souffle, signes de la grandeur et quelque part de la prétention française. Après une pluie quasiment incessante toute la nuit précédente, le blanc de l’incertitude va planer jusqu’à ce soir, tel un immense nuage, sur cette cérémonie que l’on nous promet inoubliable depuis des mois. La France aura-t-elle la baraka, ou faudra-t-il se reporter sur un plan B ou C comme le craignent les météorologues qui annoncent des pluies de 19 heures à minuit, soit pile poil au moment où s’élancera le défilé des délégations officielles du Pont d’Austerlitz au Trocadéro? Un scénario qui s’avèrerait plus catastrophique encore que l’attaque ciblée du matin contre les lignes TGV en France qui aura au moins eu le mérite de retenir à Paris les derniers habitants voulant fuir la capitale!
Car nos Jeux, au final, seront rouges : une fois passé le rouge des colères successives, les Jeux sont chers, élitistes, démesurés, éloignés, liberticides, en bons Français, nous serons les premiers à vibrer, nous réjouir, nous passionner pour les records et résultats de nos athlètes. Nous serons les premiers à être fiers d’avoir su, une nouvelle fois, accueillir le monde, et que ce monde puisse découvrir et aimer notre pays. Plus, parfois, que nous ne l’aimons et le respectons nous-mêmes. Alors bons Jeux et bons baisers de Paris ! Mi.
Paule COURNET