Dès le 23 août 1944, la libération de Marseille est entreprise par la résistance et l’armée d’Afrique. De rudes combats ont lieu pour neutraliser les quelque 17 000 soldats allemands présents sur place. Marseille, ville martyre, respire enfin. Retour sur cette période avec l’historien Robert Mencherini.
Le concours de deux forces
Sitôt le débarquement de Provence effectué le 15 août 1944, une partie des troupes de l’armée d’Afrique, baptisée armée B, se dirigent vers Toulon et Marseille pour libérer les ports. Les forces militaires arrivent le 23 au matin aux abords de la cité phocéenne. C’est une place forte allemande. Plusieurs milliers d’hommes et de la grosse artillerie répartie dans des lieux fortifiés et les îles environnantes. Un travail de sape a déjà été mené par la résistance. «A partir du 19 août une grève insurrectionnelle est lancée par la résistance», relève Robert Mencherini. On arrête tous les services, toutes les entreprises productrices et en même temps on commence à attaquer les troupes allemandes ».
Les Allemands se rendent
Cela va permettre de fractionner les troupes allemandes. Pour éviter tout débarquement les nazis détruisent les quais. « Ils vont même couler un paquebot à l’entrée du Vieux port « Le cap Corse » et dynamiter le célèbre pont transbordeur. La combinaison de ces deux types d’action, celui de la résistance et celui des troupes de libération va permettre une reddition rapide des Allemands après 5 jours de rudes combats. La libération de Marseille est essentielle pour la suite du conflit. La récupération du port en eau profonde de la ville va permettre de faire débarquer en nombre troupes et matériels alliés.»
Une armée d’Afrique oubliée
Le prix de la libération de Marseille est assez lourd, en particulier pour les troupes de l’armée d’Afrique. Une armée française formée de soldats dits «indigènes» qui viennent de débarquer aux côtés des Américains en Provence. « Elle est composée de soldats de l’Empire : Africains, Maghrébins ou européens d’Afrique du Nord. Sans l’armée d’Afrique, Marseille n’aurait pas pu se libérer seule», affirme Robert Mencherini. Tirailleurs algériens et Tabors marocains vont partir à l’assaut des places fortes allemandes au prix de leur vie. Mais cette action de l’armée de libération a été occultée pendant des décennies. On a bien l’équipage d’un char Sherman à qui on rend hommage au pied de Notre-Dame de la Garde mais seuls sont mentionnés les 3 victimes avec des noms bien français».
Faire oublier Vichy
Une plaque, un peu décrépie, rue Jules Moulet à 100 mètres à vol d’oiseau de la Basilique mentionne l’action du 7e RTA, guidé par un résistant. RTA, comme Régiments de tirailleurs algériens, mais encore faut-il le savoir. « Pendant tout un temps cette mémoire-là a été occultée », confirme Robert Mencherini. Après la Libération ce qui va être valorisé, à la fois par la résistance et par le Général De Gaulle, c’est surtout l’action des Français. Cela fait partie de la stratégie de De Gaulle de faire reconnaitre la France comme puissance victorieuse et résistante pour faire oublier la capitulation de Vichy».
Marseille, ville martyre
Tout le monde a en mémoire la célèbre phrase du Général après la libération de la capitale. « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.» Au-delà du lyrisme, Paris n’a pas été la plus martyrisée. « Le Havre, Caen ou Marseille ont été bien plus meurtries. Marseille fait partie des villes martyres. Elle a subi deux types de destruction. En premier lieu, le quartier Saint-Jean, près du Vieux port. Après la rafle opérée en janvier 1943 où 1 650 personnes sont livrées à la Gestapo par la Police française et plusieurs centaines sont exterminées dans les camps, 1 500 logements sont détruits à l’explosif le mois suivant. Cela a profondément marqué les Marseillais, on trouve ça dans les rapports de police, dans les rapports d’opinion », relève Robert Mencherini. Tous les Marseillais sont inquiets. A qui le tour maintenant ? Ils ont commencé par le quartier du Vieux port, ils vont certainement élargir les destructions et les rafles ».
Bombardements américains
Pour affaiblir l’ennemi et éviter qu’il ne puisse acheminer des forces les Américains vont bombarder massivement les gares de la Blancarde et Saint-Charles le 27 mai 1944. Mais ils «arrosent » assez large et rasent des maisons bien au-delà du périmètre ferré. Le cœur de la ville est à nouveau touché notamment la Canebière. «Il faudra plusieurs années pour que Marseille retrouve une situation normale. Pour le ravitaillement, les tickets de rationnement ne disparaîtront que dans les années 50 alors que les Marseillais s’attendaient à une amélioration rapide. En revanche le Port va être rapidement remis en l’état grâce une intervention dynamique et massive des Américains qui surprend les habitants par l’ampleur du chantier».
Reprise en main politique
Pas question en revanche de laisser les Américains intervenir dans la politique de la cité. « La volonté du Général a été de ne pas laisser de vide dans lequel l’administration américaine aurait pu s’engouffrer. La consigne qu’il donne à Raymond Aubrac, qui est le premier commissaire régional de la République, est de ne pas ouvrir la porte de la société civile aux Américains. Les Français doivent diriger. Il va désigner des résistants comme préfets et la délégation municipale de Marseille va être aussi composée de résistants avec à sa tête Gaston Defferre ».
La Résistance
La Résistance n’a plus guère de secret pour Robert Mencherini. Il a commis un ensemble d’ouvrages sur la période. Pour l’historien il y a deux types de résistance dans le Sud. «Une résistance rurale très importante. On le voit en juin 1944. Les maquis mobilisent très largement dans l’arrière-pays aixois et en Haute-Provence. La résistance est souvent le fait de salariés agricoles qui peuvent être Italiens ou Espagnols». Plusieurs dizaines de résistants y laisseront leur peau. «Et puis il y a, poursuit-il, une résistance urbaine très importante. On le voit lors des grandes grèves en mars et mai 1944. Lors de ces grèves du pain, des milliers de personnes sont dans la rue. Tout un tissu syndical qui agit dans les entreprises».
Marseille a été martyrisée, a été résistante. Alors pourquoi Marseille est-elle restée très en retrait dans l’après-guerre dans les livres d’histoire ? Robert Mencherini a une explication. «Bien souvent le Sud est sous-estimé en France, Marseille a l’image de vacances, de soleil, de bains de mer et assez peu une image de combats, de rafles et de déportation alors que c’est effectivement le cas. C’est une image qui colle à Marseille. Et puis le débarquement de Provence est écrasé par celui de Normandie plus important au niveau des combats et des soldats engagés».
Reportage Joël BARCY
1944-2024 – Commémoration des 80 ans de la libération de Marseille
Programmation des 27 et 28 août 2024
Le mardi 27 août
► Vieux-Port – Quai du Port – Hôtel de Ville
- 10h à 16h30 : présence de l’Achéron, bâtiment-base militaire de plongeurs démineurs de la Marine Nationale, et exposition de véhicules historiques militaires.
- 16h : concert par Divin’Gospel.
- 17h : parade de la Libération : avions historiques, patrouille de France, musique de la Légion Étrangère.
- 18h à 22h30 : grand bal populaire, ambiance guinguette, sardinade, concert de la Libération.
Le mercredi 28 août
► Palais du Pharo
- 17h : huit coups de canons tirés depuis deux chars.
- 17h30 : concert de la Marine Nationale.
► Place du refuge
- 21 heures : L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville, dans le cadre du Ciné Plein-Air Marseille