Publié le 6 juillet 2013 à 3h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h50
L’emblématique président du RCT, éditeur de BD à succès, ne s’était jamais livré. Pour la première fois, ce fils d’immigrés algériens a accepté, avec humour, sincérité et franc-parler, de dérouler le fil de sa vie trépidante. Dans le livre « Mourad Boudjellal ma mauvaise réputation », écrit en collaboration avec le journaliste Arnaud Ramsay, il raconte ses racines, ses succès en BD, son rêve obsessionnel de Bouclier de Brennus, sans omettre de poser son regard acéré sur la société.
On le connaît pour ses coups de gueule qui secouent fréquemment la planète rugby, dont cette fameuse « sodomie arbitrale » qu’il avait dénoncée en janvier 2012 le soir d’une défaite à Clermont et qui lui avait valu quatre mois de suspension durant lesquels il fut interdit d’accès au terrain et aux vestiaires. Son nom évoque aussi ce tee-shirt noir, arborant désormais une immense étoile blanche symbole du titre européen glané par le Rugby Club Toulonnais (RCT) en juin dernier à Dublin, qu’il porte les jours de match où il se ronge les sangs, en faisant les cent pas sur le bord de la touche. Sans oublier les éditions Soleil, spécialisées dans la bande dessinée, dont il a fait la première entreprise de Toulon à partir de la petite librairie « Bédule », installée Place Puget, dont le nom lui fut inspiré par « un associé qui passait souvent par Marseille et la petite ville de Roquefort-la-Bédoule ».
Mais qui est vraiment Mourad Boudjellal, l’emblématique président du RCT, qu’il a mené sur le toit de l’Europe, l’éditeur de BD à succès, qui a notamment lancé en septembre 1994 les aventures de « Lanfeust de Troy », pionnier en France d’un nouveau genre, l’héroïc fantasy ? Pour la première fois, l’enfant de la rue Baudin, cette petite artère du « petit Chicago », surnom de la basse-ville de Toulon, près de la porte principale de l’Arsenal, se dévoile dans « Mourad Boudjellal ma mauvaise réputation », un livre écrit en collaboration avec le journaliste Arnaud Ramsay. Ce fils d’immigrés algériens y déroule le fil de sa vie trépidante, du quartier des immigrés, mal famé, de son enfance, l’endroit chaud de l’après-guerre à Toulon, « peuplé de bars à matelots et à hôtesses, de prostituées et de proxénètes, de trafics et de bagarres », à son incroyable réussite.
On y découvre son admiration pour Jacques Brel et Georges Brassens, deux hommes qui ont façonné la culture et l’esprit du jeune Mourad. C’est d’ailleurs après s’être recueilli sur la tombe du poète sétois, quelques minutes après une cuisante défaite du RCT à Montpellier en mai 2011, qu’il prend la décision de revendre sa maison d’éditions pour se consacrer à 100% au club au brin de muguet afin de se donner toutes les chances d’en faire « le plus grand club du monde ».
Le gamin de Toulon qui ne fait « pas de différence entre (ses) rêves et (ses) ambitions »
Mourad Boudjellal évoque aussi ses rapports avec son père, aux côtés duquel il écoutait les matchs de l’OM à la radio, sa relation avec sa mère, chez qui il se rend toujours plusieurs fois par semaine, son admiration pour son frère Farid, l’artiste puisqu’auteur de BD alors que lui n’était qu’éditeur, mais surtout celui avec qui il partageait enfant cette passion commune et peu banale, sa femme, ses filles, ou encore sa « mémé d’Arménie », « la seule chrétienne d’une famille de musulmans ». Il révèle aussi les dessous de son arrivée à la tête du RCT, ce club qui fit battre son cœur pour la première fois le soir d’une finale héroïque de championnat de France perdue en 1971 contre l’AS Béziers : c’est la première fois que le jeune Mourad, alors âgé de 11 ans, entend parler en bien de sa ville ! Un club qui, trois décennies plus tard, ressoudera une cité déchirée par six ans de gestion FN, un soir de remontée en Top 14 en mai 2005, bien mieux que les politiques de tous bords n’avaient su le faire. Sans oublier les rencontres qui ont marqué sa vie d’Uderzo à Jonny Wilkinson, d’Antoine Gallimard à Tana Umaga, en passant par Eric Champ, Mike Tyson, Philippe Saint-André, Serge Blanco ou Bernard Laporte.
Mourad Boudjellal est aussi « l’inventeur des 35 heures », puisqu’il les a appliquées dès la création de sa maison d’édition Soleil Productions en 1988, bien avant les lois Aubry, souhaitant ainsi « instaurer la qualité du temps » car le patron qu’il est « ne réclame pas du temps mais de la qualité ». Un personnage haut en couleurs, admirateur de Coluche, fasciné par Mohamed Ali, nourri à la culture « Canal+ », qui pose un regard acéré sur la société, de la politique au monde de l’Ovalie avec lequel il est rarement tendre, taillant de beaux costards aux agents véreux comme aux instances dirigeantes de la Fédération Française de Rugby (FFR).
Au final, de sa fierté d’avoir installé sa société dans les locaux de l’ancien siège du Front National à Toulon à ses rêves fous de Bouclier de Brennus, le portrait d’un personnage attachant, chef d’entreprise visionnaire qui est resté fidèle à ce gamin de la rue Baudin ne faisant « pas de différence entre (ses) rêves et (ses) ambitions ». L’histoire d’un homme à la personnalité bien plus complexe que les caricatures auxquelles le cantonnent parfois ses coups de gueule, rapportée avec humour, sincérité et franc-parler.
Marc BESAGNE
« Mourad Boudjellal ma mauvaise réputation » avec Arnaud Ramsay aux éditions de La Martinière.