Publié le 7 août 2013 à 19h21 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h07
En France, la question de la prostitution divise, y compris au sein de mêmes courants de pensée. L’été dernier, face à la volonté exprimée du gouvernement d’abolir la prostitution et de responsabiliser les clients, nombreuses furent les réactions, parfois vives, pour dénoncer l’intervention de l’État ou, à l’inverse, réclamer une légalisation de la prostitution. Ces mêmes voix se sont faites entendre en mars dernier lors des débats autour de l’abrogation du délit de racolage passif. Elles s’élèveront de nouveau lorsque la future loi sur la prostitution sera présentée à l’automne.
Pourtant, au-delà de tous les points de vue politiques, sociaux, éthiques ou philosophiques, la réalité prostitutionnelle et l’exigence de justice et d’égalité imposent l’abolition de la prostitution comme seule voie envisageable. Loin d’être une chimère (comme l’affirmait un groupe d’intellectuels et de féministes dans une tribune publiée par Le Nouvel Observateur le 23 Août 2012, ‘L’interdiction de la prostitution est une chimère’), elle est un devoir. Et il est de notre responsabilité citoyenne, démocrate et humaniste d’y contribuer.
Combattre une prostitution « vieille comme le monde » n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
La prostitution de plus de 40 millions de personnes dans le monde doit-elle être tolérée sous prétexte qu’elle se perpétue depuis la nuit des temps ? Faut-il également accepter la pauvreté et la violence puisqu’elles ont toujours existé ? La prostitution, comme la pauvreté, comme la violence, ne sont pas des fatalités.
Il n’est en rien illusoire de vouloir modifier un ordre historique – et non pas naturel, lorsqu’il bafoue les droits les plus élémentaires de l’homme. La chimère est dans l’abandon, la tolérance et la banalisation, et non dans le courage, la responsabilité et l’action. Arrêtons de cautionner cette réalité inadmissible. Car enfin, la seule façon de lutter contre l’exploitation des êtres humains n’est pas de la rendre plus tolérable en la réglementant, mais de l’abolir.
Refuser la banalisation de la prostitution n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
La sexualité humaine évolue selon les sociétés et les époques. Réaffirmons la liberté de chacun de pratiquer la sexualité de son choix et l’égalité entre toutes les sexualités. Veillons à ce qu’aucune intrusion ne soit permise dans cette sphère privée et qu’aucun regard inquisiteur n’ait pour ambition d’établir une normalité sexuelle.
Mais la prostitution n’est pas une sexualité comme une autre, aussi libre qu’une autre, aussi légitime qu’une autre, pouvant échapper au regard public et à la norme juridique. La prostitution est une sexualité marchande et dans la quasi totalité des cas, contrainte et violente. Gouvernée par l’argent, elle génère des profits considérables – en moyenne 100 000 euros par an par prostitué(e), elle est à plus de 80% aux mains de réseaux, et elle est accompagnée dans au moins 85% des cas de violence et de dommages physiques et psychiques souvent irréparables pour la personne prostituée. Il faut reconnaître la singularité de cette sexualité étroitement associée à la violence, aux milieux criminels, à la traite des femmes et des enfants, et à l’exploitation économique, psychologique et sociale.
Défendre la liberté individuelle par l’abolition de la prostitution n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
La sexualité est un miroir de « l’état de liberté » d’une société. Notre société serait-elle plus libre en légalisant la prostitution ? Certains présentent la prostitution comme la forme la plus aboutie de la sexualité, la plus respectueuse du droit à l’autonomie et de la liberté individuelle. Lutter pour la légalisation de la prostitution reviendrait à combattre pour la liberté sexuelle et contre un jugement social collectif. Mais c’est faux. La prostitution n’est pas un choix d’émancipation. Si un choix est exprimé, il n’est pas lié à la liberté sexuelle mais à un besoin économique. Le combat pour la liberté sexuelle se mène sur le terrain de l’interdiction de la prostitution et non de sa légalisation.
Condamner la prostitution, c’est mettre en place les conditions sociales, juridiques et politiques nécessaires à la libre expression du choix individuel, en particulier pour les plus pauvres et les plus vulnérables, et instaurer le droit pour tous de ne pas se prostituer.
Responsabiliser les clients n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
« Tous les clients ne sont pas des salauds », c’est une évidence. Mais « tous les clients sont responsables », c’est une autre évidence. Ce sont eux qui créent en premier lieu le marché du sexe tarifé et génèrent ou cautionnent le préjudice inhérent à la prostitution. Plusieurs études montrent que le client connaît la situation de la personne exploitée, mais donne la primauté à la satisfaction de son désir, légitimé par l’argent et l’absence de sanction. C’est donc ici, auprès des clients, comme des trafiquants et proxénètes, que doit commencer la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains, pour tarir les débouchés de l’industrie du sexe. Jusqu’à 70% des clients des futures générations renoncent à recourir à la prostitution lorsqu’elle est interdite, comme le montre l’exemple de la pénalisation en Suède.
Aucun citoyen responsable ne devrait plus se sentir le droit d’imposer son désir sexuel et d’accéder au corps d’un autre contre de l’argent, ou de penser qu’on peut trouver du plaisir à vendre des prestations sexuelles. Symbolique, la mise en cause du client doit être sans ambiguïté pour établir qu’il est le complice actif de l’exploitation sexuelle. Mais elle n’est pas suffisante, elle doit s’accompagner d’une véritable prise de conscience et d’un changement des mentalités. De plus, pour éviter de renvoyer la prostitution à la clandestinité et de renforcer l’arbitraire et les réseaux de proxénétisme, la pénalisation du client doit être envisagée comme le premier pas d’un large dispositif de prévention, d’éducation, de protection et de répression au plan national, européen et international, en lien avec les politiques économiques, sociales, de santé et d’immigration.
Abolir toutes les formes de prostitution n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
La prostitution recouvre une grande variété de situations. Tout le monde s’entend pour reconnaître des formes de prostitution « condamnables », comme la prostitution des mineurs, des victimes de la traite et du proxénétisme, ou la prostitution par précarité. Certains y opposent une forme de prostitution qui serait « tolérable », notamment celle des indépendantes ou escortes qui revendiquent la liberté de disposer de leur corps, régie par un consentement « éclairé ». Quelle que soit la valeur que l’on accorde à ce consentement, peut-on, sur le fondement de cette liberté fondamentale – mais pas absolue, légitimer la prostitution « consentie » et affirmer un « droit à la prostitution »? La réponse est non. Accepter la prostitution au nom du choix de quelques-uns, risque de développer celle de beaucoup d’autres plus vulnérables, et de renforcer sa banalisation.
La question de la prostitution n’est pas celle d’une minorité qui revendique une liberté, mais celle d’une majorité qui attend de la société qu’elle lui permette de faire d’autres choix et qui souhaite en sortir. La politique publique prostitutionnelle ne doit pas être dictée par cette forme de prostitution, qui bien que largement médiatisée, reste marginale. Néanmoins, celles et ceux qui font ce choix, doivent bénéficier d’un dispositif adapté pour un accompagnement réel et des alternatives sérieuses. Car il ne s’agit pas d’isoler, de condamner à la clandestinité ou de stigmatiser une partie de la population, mais de refuser la légitimation sociale d’un phénomène qui affecte négativement autant de vies humaines.
Politiser (enfin) la question de la prostitution n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
Le corps humain et la sexualité font l’objet d’une dialectique entre liberté individuelle et intérêt commun. Certaines questions sexuelles sont aussi des questions politiques, susceptibles de faire l’objet de lois ou de politiques sociales comme la majorité sexuelle, la sexualité dans le mariage, l’éducation sexuelle à l’école, le harcèlement, les violences sexuelles, l’avortement, la contraception, la procréation médicalement assistée… Pourquoi l’intervention de l’Etat est-elle questionnée lorsqu’il s’agit de prostitution, alors que cette activité économique ne relève pas de l’intime ? Aujourd’hui, la prostitution est considérée comme une activité privée. Mais il est grand temps de reconnaître clairement la nature publique des relations sexuelles marchandes.
L’Etat doit, sur la question de la prostitution également, assurer sa mission de protection de ses citoyens, en particulier des plus fragiles, et de garantie des droits de l’homme en France et ailleurs. Cela passe par un pacte social au service de tous. Cela passe par un arsenal législatif efficace, résultat, notamment, de la consultation de tous les protagonistes sur cette question restée trop longtemps taboue.
Lutter contre la prostitution pour une société plus juste n’est pas une chimère, c’est notre responsabilité citoyenne !
Le choix de la légalisation de la prostitution est impossible à faire car il reviendrait à rendre prostituable l’ensemble de la société – d’autant que ce choix, on le sait aujourd’hui, intensifie le phénomène. De plus, tous les facteurs sont aujourd’hui réunis pour une amplification redoutable de la prostitution à l’échelle planétaire : mondialisation, crise économique et aggravation de la précarité, écart croissant entre populations riches et pauvres, généralisation du tourisme sexuel, développement incontrôlable sur internet, hégémonie du libéralisme marchand, banalisation grandissante notamment chez les jeunes …
Le choix de l’abolition – même si la prostitution n’est pas éradiquée, constituera un progrès de civilisation. S’engager contre la prostitution, ce n’est pas seulement s’intéresser au sort des femmes et des hommes prostitués, c’est aussi construire un projet de vie partagée plus juste et plus égalitaire. Il est de notre responsabilité citoyenne de rompre avec le passé pour reconquérir une dignité et une humanité trop longtemps bafouées. Il est de notre responsabilité citoyenne de mener cette bataille progressiste.
Jean-Sébastien Mallet et Laurence Dell’Aitante
Coauteurs du blog tout n’est pas à vendre, et respectivement Ancien Délégué Général et Ancienne Chargée de communication de la Fondation Scelles.