Publié le 23 novembre 2014 à 21h47 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h29
Le 28 novembre sera débattu à l’Assemblée Nationale, à l’initiative du groupe socialiste, la reconnaissance de la Palestine par la France qui donnera lieu à un vote solennel le 2 décembre. La volonté affichée est celle de contribuer à l’effort de paix au Proche-Orient et «de mettre partout en échec les discours de haine». En effet, qui de sensé ne voudrait pas voir la fin de ce conflit ? Cependant, le projet de résolution qui circule actuellement comporte d’étranges imprécisions et de troublantes lacunes. Si ce texte n’était pas rééquilibré, il est à craindre que cette initiative soit au mieux inutile ou au pire contribue à jeter de l’huile sur le feu, alors que les attentats meurtrier reprennent en Israël et que l’on pourrait assister à un regain de violence en France tel que celui que l’on a connu cet été.
Une intention louable, mais un texte comportant de troublantes lacunes
Malgré leur intention louable, les rédacteurs du texte (exposé des motifs et proposition de résolution), en voulant synthétiser l’histoire mouvementé de cette région, omettent des faits importants qui leur font porter des conclusions erronées et diminue d’autant la portée de leur action. Ce faisant, Ils rendent Israël seul responsable de l’impasse actuelle et voient dans ce conflit la cause majeure de la déstabilisation régionale ce qui est contredit à l’épreuve des faits. Prenons quelques exemples.
Ainsi, lorsqu’ils affirment que depuis la résolution 181 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1947 de créer deux États, «les conflits successifs, n’ont fait que retarder la reconnaissance de l’État palestinien», cela sous-entend que puisque seul Israël a vu le jour et qu’il est en conflit depuis lors avec ses voisins, il porte la responsabilité de cette non reconnaissance. Les rédacteurs passent sous silence le fait que les pays membres de l’ONU pouvaient fort bien, comme il en est de la présente initiative, appeler à la reconnaissance de cet État dont les territoires furent occupés jusqu’en 1967 par l’Égypte (Gaza) et la Jordanie (Cisjordanie). Alors, pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Ou encore, ils font un savant amalgame entre les guerres israélo-arabes et les réduisent au seul conflit israélo-palestinien, alors que cela s’inscrivait dans le cadre général de la «guerre froide» opposant l’Est à l’Ouest, le camp arabe étant alors soutenu par l’URSS et Israël par les USA principalement. Mieux encore, en citant la campagne de Suez, ils oublient que la France, la Grande Bretagne et l’État Hébreu étaient alliés contre Nasser qui venait de nationaliser le Canal. Et cerise sur le gâteau, ils font une erreur en citant l’année, 1957 au lieu de 1956. Est-ce un lapsus révélateur, faisant plutôt référence à la bataille d’Alger ?
Peu ou prou, ils font s’arrêter les efforts de paix du côté israélien avec l’assassinat d’Itzhak Rabin en novembre 1995 et ne mettent l’accent que sur la poursuite de la «colonisation». N’ont-ils pas connaissance, du sommet de Camp David II et des pourparlers de Taba avec Ehoud Barak et ses concessions sans précédent, du retrait de Gaza par Ariel Sharon ou des accords d’Hébron avec Netanyahu ?
De plus, seuls quelques mots sont dévolus aux violences faites aux israéliens et aux exigences sécuritaires. Et lorsqu’il est abordé le sujet « des attaques [qui] ont été menées contre le territoire d’Israël et sa population civile» on ne cite pas les auteurs. En revanche, dans la construction du texte cela est immédiatement suivi d’une référence au conflit de cet été avec le Hamas. Les rédacteurs omettent là encore de rappeler que les israéliens ont quitté Gaza en 2005 et que la milice islamiste a pris le pouvoir par la force en 2007 créant de facto un État indépendant de l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas qu’elle a cherché à renverser à plusieurs reprises. Ils n’insistent pas non plus sur les intervenants extérieurs qui donnent à cette confrontation une dimension régionale puisque le groupe terroriste est armé principalement par l’Iran, entrainé par le Hezbollah chiite libanais, soutenu par la Turquie et financé par le Qatar. Rajoutons à cela que l’Égypte a également à souffrir des exactions de la milice islamiste qui avec les groupes salafistes du Sinaï commettent régulièrement des attentats sanglants.
Ensuite, ils donnent à ce conflit une centralité qu’il n’a pas en affirmant que «L’impasse des négociations entretient un foyer d’instabilité et affecte dangereusement la paix dans toute la région.» Ce n’est pas rendre service aux palestiniens et aux israéliens que de donner à penser que leur différend est à l’origine de l’instabilité régionale. Les causes sont toutes autres, à commencer par la guerre acharnée que se livrent depuis 13 siècles au sein de l’islam, les chiites et les sunnites, les dissensions au sein du monde sunnite lui-même avec la rivalité entre le Qatar et l’Arabie saoudite, les menées djihadistes, la quête nucléaire iranienne, les ambitions de ressusciter l’Empire Ottoman du président turc Erdogan et, les justes aspirations à l’autodétermination des Kurdes pour n’en citer que quelques-unes. Face à tout cela, le conflit israélo-palestinien n’est qu’un paravent souvent employé par les dirigeants de la région pour obtenir un semblant d’unité, voire pour détourner l’attention de leur population. Ce n’est donc pas la racine du problème mais qu’un symptôme.
Aider à la paix ou affaiblir Israël qui lutte contre le djihadisme et l’Iran ?
Enfin, constatant l’échec des négociations et afin de préserver la solution à deux États menacée, d’après les rédacteurs, par la seule colonisation, ils préconisent «la reconnaissance de l’État palestinien qui doit s’accompagner d’un retour salutaire et immédiat à la négociation.» Il s’agit plus d’un acte de foi que d’une déclaration politique. En effet, une fois la Palestine reconnue, aucun mécanisme n’est prévu pour favoriser la reprise des négociations et empêcher la surenchère des revendications. Rien n’est dit non plus au sujet de la division de fait de la Palestine entre Gaza et la Cisjordanie. Imagine-t-on un instant que sans désarmer le Hamas, ce processus pourra s’engager et que ce dernier ne cherchera pas à prendre le pouvoir également à Ramallah ? Il n’est qu’à penser à la série d’attentats qui viennent d’être commis en Israël et dont se réjouissent les éléments radicaux palestiniens éloignant d’autant la perspective de la paix. Tant que ces conditions ne seront pas remplies, il ne faut pas attendre des israéliens qu’ils s’engagent dans un processus aussi incertain que celui qui a conduit au désarmement de l’Ukraine, pour la livrer aux appétits russes, et qui attend toujours un soutien actif de l’Europe. Ce drame se passant à ses portes comment l’UE pourrait-elle garantir la paix sur un autre continent ?
Ce dangereux précédent, ainsi que la désastreuse intervention occidentale en Libye, ayant mené au chaos que l’on sait, et plus largement la menace d’effondrement des pays du Proche et du Moyen-Orient devant l’avancée des groupes djihadistes, conjuguée à la politique hégémonique iranienne, devraient inciter les occidentaux à plus de prudence. Certes des erreurs ont certainement été commises. Il ne s’agit pas pour autant d’affaiblir Israël qui combat ces deux dangers existentiels, au nom de grands principes bien éloignés de la réalité du terrain. Ces mêmes dangers représentent également des défis sans précédent pour le monde libre. Il est essentiel, au contraire, de faire en sorte d’accompagner conjointement palestiniens et israéliens vers les négociations et de les aider équitablement sur le chemin de la paix qui sera encore long et difficile. Mais surtout, la résolution du conflit passe par la neutralisation des éléments radicaux et par le traitement de sa dimension régionale. Sans cela rien de concret ne pourra être accompli.
Le texte qui vient d’être voté au Congrès espagnol va dans ce sens en affirmant que la reconnaissance de la Palestine doit être «la conséquence d’un processus de négociation entre les parties qui garantisse la paix et la sécurité pour les deux et le respect des droits des citoyens et la stabilité régionale».
Suivre l’exemple espagnol ?
Si tel est le but des parlementaires français, alors leur tâche est immense et ils auront grand besoin de l’aide de toutes et de tous dans cette entreprise. Même si le vote à l’Assemblée Nationale n’a qu’une valeur symbolique, cette prise de position aura des conséquences qu’il ne faut pas sous-estimer, ici et ailleurs. Raison pour laquelle, ils n’ont pas droit à l’erreur s’ils veulent contribuer utilement à la paix.