Publié le 15 janvier 2015 à 22h45 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h36
Après les terribles événements qui ont secoué la France, il faut saluer, l’action des forces de l’ordre qui ont été remarquables, le gouvernement qui est resté ferme à la barre, les français qui ont fait preuve de courage, d’unité et de solidarité et tous les démocrates du monde entier qui ont été touchés par cette tragédie comme si elle s’était produite à leur porte. Mais après l’électrochoc, c’est désormais le temps des bilans et de proposer des actions concrètes. Si l’on veut trouver une réponse à la mesure du danger qui menace le monde libre, il convient d’avoir une lecture des événements dépourvue de tout parti pris idéologique et d’aborder les choses au plus près des faits quitte à ce que cela révèle des réalités dérangeantes. Faute de quoi nous serions condamnés à revivre ce drame.
Malgré une unité affichée, des dissonances inquiétantes !
Il ne s’agit pas ici de faire une liste exhaustive, mais de donner à penser à travers des exemples précis. Tout d’abord, on ne peut passer sous silence ce refus de certains élèves dans les écoles de la République de participer à la minute de silence qui devait unir la France en signe de solidarité avec les victimes et de rejet de la barbarie. Cela s’était déjà produit lors des tueries de Toulouse et de Montauban et c’était prémonitoire. C’est le terrible aveu de la faillite de notre système éducatif qui n’est plus en mesure de transmettre ce socle de valeurs communes indispensables au vivre ensemble. Il est terrifiant de penser que des enfants, ici en France, peuvent s’identifier non aux victimes, non aux forces de l’ordre mais à leurs assassins ! Ce constat implacable doit nous pousser à agir au plus vite car ces jeunes sont autant de cibles faciles pour les fanatiques de tous bords. L’école doit redevenir ce lieu essentiel d’apprentissage de la différence et de socialisation. Ce ne sont pas des élèves en pertes de repère ou des principes idéologiques dévoyés qui doivent dicter leur loi. L’école doit pouvoir assumer librement sa double fonction d’enseignement et d’éducation afin d’«éviter que ceux qui n’ont pu donner un sens à leur vie ne tentent de donner un sens à leur mort ».
Ensuite, il y a eu cette polémique déplacée sur les réseaux sociaux, autour du hashtag #JesuisCharlie qui a réuni dans un même élan fraternel des millions de personnes. Certains ont cru voir une instrumentalisation du drame et d’autres une sorte de diktat escamotant le débat sur la liberté de penser autrement, d’où le contre-hashtag #JenesuispasCharlie. Pourtant, la priorité n’était-elle pas d’abord de condamner les attentats, les assassins et leurs commanditaires qui ne s’embarrassent pas de telles considérations et qui nous ont déclaré la guerre sans distinction ?
Lorsqu’il y a mort d’homme, mettre en avant le fallacieux prétexte «des caricatures irrespectueuses envers l’islam et le Prophète», ou que l’on ne partage pas la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, revient à cautionner ceux qui considèrent qu’il est légitime de tuer au nom d’une divergence d’opinion. Cela conduit ni plus ni moins à rétablir le délit de blasphème pourtant aboli depuis des lustres. Et comme l’a déclaré le Premier Ministre Manuel Valls, suite à l’ouverture d’une enquête pour apologie du terrorisme à l’encontre de Dieudonné qui a posté sur sa page Facebook « je suis Charlie Coulibaly» en associant le djihadiste aux victimes, «il ne faut pas confondre liberté d’opinion avec l’antisémitisme, le racisme, le négationnisme ».
Ceux qui empêchent de penser librement, ce sont les tyrans qui arment des enfants, lapident des femmes, crucifient les chrétiens d’Orient, massacrent les kurdes, tuent les juifs partout où ils se trouvent et qui appellent au djihad, pas ceux qui les condamnent même à la pointe d’un crayon !
Enfin, si au niveau national on a comptabilisé jusqu’à 4 millions de personnes dans les rues lors des rassemblements qui ont suivi les attentats, à Marseille, la deuxième ville de France, pourtant réputée pour son ouverture sur la diversité et où le vivre ensemble est une tradition, la mobilisation n’a pas été à la hauteur de l’événement, avec moins de 150 000 manifestants. Serait-ce le résultat de deux appels distincts, le samedi pour « les forces de gauche » et le dimanche correspondant à l’action nationale ou la traduction d’un malaise profond qui pourrait encore empirer, ce que semble traduire les scores régulièrement à la hausse du FN dans la région Paca ?
Pourtant, la Cité Phocéenne a été pionnière dans le dialogue interculturel avec «Marseille Espérance» rassemblant les responsables des principaux cultes sous l’égide de la Mairie, ou encore avec le Collectif «Tous Enfants d’Abraham» constitué de centres culturels chrétiens d’Orient et d’Occident, juif et musulman. Ce constat est si préoccupant que l’on ne devrait pas faire l’économie d’une analyse approfondie.
Et comme pour confirmer cette déliquescence du lien social et du recours systématique à la violence, cet autre drame, au lendemain de la grande mobilisation nationale, où Mikaël un lycéen de 16 ans a été assassiné par un autre jeune à peine plus âgé que lui devant son établissement scolaire du 11e arrondissement de Marseille, le secteur où je suis élu.
Désigner le mal par son nom !
Le mal est constitué de tous les extrémismes. Tout d’abord, les islamistes qui se servent de la religion à des fins politiques et non pas les musulmans dans leur ensemble, sans oublier ceux qui instrumentalisent la situation à des fins personnelles.
Longtemps, la tyrannie du politiquement correct ou une culpabilité postcoloniale, ont empêché de dire les choses. Il existe des radicaux parmi les musulmans et les modérés «sont les premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme, de l’intolérance» comme l’a souligné le chef de l’État, François Hollande. Il faut condamner sans réserve les premiers et soutenir les seconds. Trop souvent encore, on offre des tribunes aux radicaux pourtant minoritaires au détriment de la majorité. Pourtant, la population musulmane en France est diverse. Aussi bien en termes géographiques, qu’elle soit d’origine maghrébine, arabe ou kabyle, comorienne, turque pour ne citer que quelques exemples, que sur le plan socio-culturel. Dans un pays laïque et républicain comme le nôtre, l’identité ne se résume pas à la religion. Il existe des universitaires, des avocats, des médecins, des chefs d’entreprises, croyants ou non, bref une société civile, pas que des imams. Il ne s’agit pas de rejeter le fait religieux mais de permettre la pluralité d’expression. Et comme l’a souligné l’ancien Garde des Sceaux, Robert Badinter, la solution viendra des musulmans eux-mêmes. Aussi, ne parlons pas à leur place, mais aidons les à s’exprimer librement et à dénoncer ceux qui ont inspiré, financé ou armé les assassins.
Dans le cas contraire, les mouvements populistes, l’extrême droite en tête, sous prétexte de défendre la nation en danger, seraient les premiers à monter au créneau en stigmatisant une population toute entière avec les risques d’escalade que cela pourrait engendrer. Et déjà, l’on décompte plus de 50 actes islamophobes perpétrés depuis les attaques contre Charlie Hebdo et l’HyperCacher.
Le djihadisme avec en toile de fond la guerre entre radicaux sunnites et chiites
La participation de la France à la Coalition contre DAESH (acronyme de l’Etat Islamique en arabe – EI), le groupe islamiste ultra-radical, ainsi que son implication dans la lutte contre les mouvements djihadistes en Afrique, ne sont certainement pas étrangers aux attaques de ces derniers jours. Cependant, les djihadistes n’ont besoin d’aucun prétexte pour agir comme l’ont confirmé les leaders d’al-Qaeda et de l’EI. Le combat contre «les croisés, les hérétiques et les mécréants » fait partie intégrante d’un plan d’ensemble de conquête planétaire visant à imposer leur croyance dévoyée.
La lutte contre l’islamisme sera une entreprise longue et difficile où aucun compromis n’est possible. Nous sommes confrontés à une multitude d’organisations avec de nombreuses ramifications, ayant des affiliations changeantes et une différenciation plus ou moins fictive entre branche politique et militaire. A cela, se rajoute une grande porosité entre ces groupes, les combattants pouvant passer de l’un à l’autre sans grande difficulté. Aussi, l’on aurait tort de se focaliser sur tel ou tel groupe djihadiste, l’agenda des islamistes, ainsi que leurs alliances pouvant varier en fonction du moment et du lieu. Et surtout, ils ne constituent qu’une partie du problème. Derrières ces milices armées, il existe des États qui les soutiennent et financent leur action. Ainsi l’on a accusé la Turquie d’Erdogan, ainsi que le Qatar d’en faire partie. Sans action ferme et déterminée au niveau politique international rien ne changera.
Mais il existe une autre dimension qu’il ne faut pas négliger. En effet, se déroule un conflit sanglant vieux de 13 siècles au sein même de l’islam, entre les radicaux de ses deux courants principaux, le sunnisme et le chiisme. Cette guerre a pris un nouvel essor avec l’implication de l’Iran chiite dans le conflit syrien et en Irak. Les visées hégémoniques de Téhéran et sa politique prosélyte ont été un catalyseur très puissant pour les djihadistes sunnites du monde entier. Ces deux radicalités, sont les deux faces d’une même pièce et s’alimentent l’une l’autre, voire convergent. Le meilleur exemple étant le mouvement islamiste Hamas au pouvoir à Gaza qui bien que d’obédience sunnite est soutenu à la fois par le Qatar, parrain des Frères musulmans, et par l’Iran Chiite.
S’attaquer à la racine du mal et non pas choisir entre radicaux sunnites ou chiites
Si les récentes attaques ont été perpétrées par des djihadistes sunnites, n’oublions pas les assassinats, les enlèvements et les vagues d’attentats qu’a connu la France sur son territoire et au Liban dans les années 70 à 80 qui étaient le fait de Téhéran et de ses bras armés tels le Hezbollah. Il ne faut pas se leurrer, si la République islamique d’Iran nous fournit pour l’heure des informations sur les groupes djihadistes sunnites, ce n’est pas que les Mollahs perses ont opté pour des visées plus pacifiques, mais par pur calcul. Cela leur permet de se débarrasser à moindre frais d’adversaires sérieux s’opposant à leur plan de conquête. Ils espèrent également un assouplissement du « groupe des 5+1 » sur leur programme nucléaire controversé. Aussi, il n’y a pas à choisir entre les radicaux sunnites et les radicaux chiites. Il est indispensable de s’attaquer à la racine du mal et non à l’une de ses composantes. Car si DAESH est extrêmement dangereux sans armée moderne, imaginons ce que serait un Iran nucléaire dont l’idéologie messianique n’a rien à envier au premier, cela donnerait à terme une sorte de synthèse entre al-Qaeda et la Corée du Nord !
La volonté d’agir et une lueur d’espoir
Pour relever les défis posés aux démocraties par le danger existentiel que représente le terrorisme islamiste, seule une approche globale et internationale est envisageable, avec des échanges d’information entre services de renseignement, un accroissement des contrôles aux frontières et d’internet. La série de mesures envisagées au niveau européen, ainsi que celles annoncées par le Premier Ministre Manuel Valls vont dans ce sens. La commission d’enquête parlementaire sur la surveillance des filières Djihadistes, diligentée avant les tragiques événements et dont le rapporteur est le Député des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci, aura pour difficile mission d’explorer toutes les dimensions du problème afin de dégager les solutions les plus appropriées, tout en restant fidèle à la tradition républicaine, ce qui est l’honneur de la France.
Si je ne devais retenir qu’une seule image de ces derniers jours, ce serait celle où l’on voit en première ligne du rassemblement parisien parmi les chefs d’États et de gouvernements, l’israélien Benjamin Netanyahou et le palestinien Mahmoud Abbas. Il s’agit d’un message clair envoyé à tous que, ce qui s’est passé en France n’a rien à voir avec le conflit israélo-palestinien et que les modérés quel que soit le camp sont toujours la cible des radicaux. D’ailleurs, le Raïs palestinien a subi en retour les critiques acerbes du Hamas qui n’a pas apprécié, loin s’en faut, cette promiscuité. Et ce symbole porteur d’espérance, c’est à la France frappée dans sa chair qu’on le doit.
Aussi, contrairement à l’objectif recherché, les terroristes n’auront pas réussi à nous diviser et à nous affaiblir. Mais cela ne pourra durer qu’à deux conditions. Ne faire aucun compromis avec ceux qui cherchent à nous détruire car, toute trêve ne serait que temporaire. Et surtout, il est impératif de recréer le lien social, le volet répressif ne suffisant pas à assurer la concorde républicaine sur le long terme. Cela passe obligatoirement par la reprise d’un débat franc et approfondi sur l’identité nationale et la laïcité durement mis à l’épreuve de la radicalité.