Publié le 6 février 2015 à 21h16 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h37
Alors que l’Iran négocie avec le « groupe des 5 + 1 » au sujet de son programme nucléaire controversé et doit donner des gages de bonne volonté, cela n’empêche pas Téhéran de souffler sur les braises ailleurs. Il suffit de citer son soutien auprès du groupe chiite « Ansar Allah » au Yémen. Ou, plus inquiétant, le réchauffement du front nord d’Israël à partir de la Syrie et du Liban, via le Hezbollah, sa milice supplétive. Cet activisme devrait être pris très au sérieux par les négociateurs occidentaux car il démontre l’ambivalence de la théocratie chiite et pourrait aggraver davantage l’instabilité régionale.
Reprise des hostilités sur le front Nord d’Israël ?
L’État hébreu a subi récemment, en l’espace de quelques heures, trois attaques sur son territoire, une à partir de la Syrie et les deux autres depuis le Liban. La dernière a bien eu lieu en Israël, et non dans la « zone contestée des fermes de Chebaa » contrairement à ce qui a été précédemment rapporté. Elle a causé la mort de deux soldats de Tsahal et plusieurs blessés dont certains dans un état grave. Ces violences ont été revendiquées par le chef du Hezbollah lui-même, Hassan Nasrallah, en réponse à une attaque présumée d’Israël en Syrie le dimanche 18 janvier qui a vu la mort de hauts responsables iraniens et du Hezbollah. Téhéran n’a pas manqué de faire de la surenchère verbale en menaçant directement « l’entité sioniste ».
Alors que depuis la deuxième guerre du Liban, la frontière est restée relativement calme, on assiste à une reprise des hostilités. S’agit-il de combats sporadiques ou est-ce le prélude d’une prochaine conflagration? Pour l’heure, la milice chiite a fait savoir qu’elle n’était pas intéressée par une surenchère avec l’État hébreu. De son côté, Israël, malgré les déclarations de son Premier ministre de protéger sa population et de maintenir une politique de dissuasion efficace, n’a pas encore procédé à des représailles d’envergure. Pour bien comprendre ce qui se trame, il faut revenir sur cette attaque mystérieuse en territoire syrien qui n’a pas été formellement reconnue par le gouvernement hébreu, ce qui n’est pas inhabituel en de telles circonstances.
Des Iraniens à la frontière nord d’Israël
De ce raid aérien contre un convoi dans le Golan syrien, la première chose que l’on découvre, c’est que des membres du corps d’élite de l’armée iranienne -les pasdarans ou Gardiens de la révolution islamique- ne se trouvaient qu’à quelques kilomètres seulement de la frontière israélienne. Ensuite, la composition du commando intercepté interpelle au plus haut point. Ont été éliminés plus d’une douzaine de membres, comptant des militaires iraniens et des miliciens chiites libanais du Hezbollah, dont de très hauts gradés. En effet, le général iranien, Mohammed Ali Allahdadi, figure parmi les victimes. Il appartenait à l’élite de l’élite, « la Force al-Qods », responsable des opérations extérieures, y compris en Europe et aux États-Unis, et dont il était l’un des principaux commandants. A ses côtés, un autre personnage clé, le colonel Ali Tabtabaï, spécialiste des opérations commandos, a également trouvé la mort.
En ce qui concerne le Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah peut déplorer la disparition de Jihad Moughnieh. Il était non seulement le fils d’Imad Moughnieh, ancien commandant général de la milice islamiste, éliminé en 2008 à Damas dans un attentat jamais revendiqué. Ce dernier était surtout l’un des principaux responsables de l’attaque du camp Drakkar ayant fait 58 morts parmi les soldats français en 1983 au Liban. Mais surtout, Jihad occupait des fonctions très importantes au sein de la branche militaire de l’organisation et était appelé, le moment venu, à prendre la direction du mouvement. A ses côtés, se trouvait également le commandant des troupes envoyées combattre en Syrie, Mohammed Issa.
Que s’est-il passé le 18 janvier en Syrie ?
Cet événement sans précédent soulève plusieurs interrogations: Quel était le but de l’Iran? On ne met pas en place une organisation aussi complexe, si proche de la frontière israélienne, sans avoir un objectif stratégique majeur. Embourbée dans le conflit syrien et aux prises avec Daech (acronyme en arabe de l’Etat islamique) en Irak, Téhéran voulait très probablement entraîner l’État hébreu dans une escalade qui l’aurait conduit à prendre part de manière active au conflit. Il est aisé d’en imaginer les conséquences. Tout d’abord, desserrer l’étau djihadiste sunnite, car ces derniers s’en seraient pris à Tsahal, considérant, au même titre que la théocratie chiite, qu’Israël est un ennemi qui doit être détruit. Ensuite, cela aurait détourné l’attention de la communauté internationale du dossier nucléaire qui serait ainsi passé au second plan.
Comment l’État hébreu a-t-il été informé de l’opération en cours?
Pour déjouer l’attaque et mener à bien une telle opération, cela suppose de détenir des renseignements de premier plan, à la fois en termes de surveillance satellite et autres drones, mais également et surtout, d’avoir des agents proches des sources de décision. Domaine dans lequel Israël s’est déjà illustré à maintes reprises par le passé. La découverte récente d’une taupe appartenant aux plus hautes instances du Hezbollah, ayant permis l’élimination d’Imad Moughnieh, hante encore tous les esprits. On ne peut exclure également l’intervention d’autres services de renseignement et l’implication des forces d’opposition syrienne. Tous ces éléments rassemblés donnent une tout autre lecture de la situation, plutôt qu’une « simple provocation de la part de l’État hébreu » comme l’a martelé l’axe Téhéran – Damas – Hezbollah. Il s’agirait en définitive d’une opération préventive en vue d’empêcher une attaque majeure en territoire israélien.
Et maintenant, on va-t-on?
Pour en revenir à l’attaque sanglante du Hezbollah contre Israël, l’État hébreu n’a pas besoin d’une réponse spécifique à la mort de ses soldats pour restaurer sa force de dissuasion. Celle-ci a été considérablement renforcée avec le succès de l’opération en Syrie, même si la paternité n’en a pas été revendiquée officiellement. Aussi, le cabinet de sécurité ne devrait pas engager de représailles à grande échelle dans l’immédiat. Par contre, sans perdre de vue le front nord, on peut anticiper un rehaussement de la coopération avec l’Égypte, aux prises avec le Hamas et l’État islamique dans la péninsule du Sinaï. D’autant plus qu’un rapprochement s’est opéré entre Gaza et Téhéran. Si de l’autre côté, le Hezbollah a considéré que « le dossier était clos », ce n’est pas le cas de l’Iran. Par la voix du président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Parlement, l’Iran a fait savoir que « les comptes avec Israël ne sont pas encore réglés« . En effet, devant des pertes d’une telle ampleur, les Mollahs perses ne peuvent en rester là. Cependant, ils savent pertinemment que, désormais, leur dispositif offensif est considérablement affaibli et qu’il leur sera très difficile d’agir efficacement à partir de la Syrie ou du Liban. En conséquence, il ne leur reste que deux options: réchauffer le front sud à partir de Gaza et coordonner la réalisation d’attentats à l’étranger via des supplétifs contre les représentations israéliennes et des cibles civiles juives et non-juives, comme l’a connu la France dans les années 70 à 80.
Aussi, il est plus que nécessaire que les pays occidentaux, et en particulier la France qui vient d’être durement éprouvée, se préparent désormais à faire face à un double front terroriste, celui des djihadistes sunnites et celui instrumentalisé depuis Téhéran.