Publié le 26 avril 2023 à 9h30 - Dernière mise à jour le 6 juin 2023 à 13h10
La mer s’étire, au loin, autour de couleur mauve. Elle semble briller, immuable, près d’un récif où monte, parfois, des torsades de lierre. En ces heures imprécises, un très beau contre-jour cache un peu le visage de Mathilde Groselle. La jeune esthète sourit. Ses yeux fixent le paysage. Carry-le rouet ressemble à un tableau figé.
«J’ai commencé à écrire assez tôt», débute, alors, celle dont la passion pour l’Art est palpable. «Je dois avouer qu’il est plus facile de m’exprimer par la plume que par la parole». Mathilde Groselle est pourtant une artiste totale. Musicienne, chanteuse, poétesse et infatigable aventurière, elle livre un recueil de nouvelles «Le dernier ours» paru aux éditions Lazare et Capucine.
«Certains passages sont composés presque sous hypnose», souffle calmement l’auteure. «C’est le cas par exemple de la nouvelle « j’irai voir la mer ». Je me suis inspirée de la neige à Barcelonette. Le calme était assourdissant. Marcher dans la forêt est toujours une expérience. On ne devine plus les reliefs, on ignore ce qui se cache sous la glace. C’est très particulier. J’ai l’impression de léviter».
La lecture de l’ouvrage prouve combien Mathilde cherche à renouer avec des sensations perdues. «Le dernier ours» s’impose, à première vue, comme une série de fables écologiques. La plus grand récit, celui qui, d’ailleurs, donne le nom au livre, plonge au cœur d’un univers en ruine. L’environnement est comme brûlé. Les branches sont noires, les villes sans fin, les relations de travail marquées par le sceau de la médiocrité. Le contact avec la nature est dès lors inexistant. Il transparaît à travers des écrans et des reportages, voir carrément une loterie, où précisément, le dernier ours polaire est mis en jeu. Dans ce monde « post-moderne » la vie devient cassante. Ne reste que la nostalgie. Et l’éblouissement devant les fragments du passé…
«J’ai presque réalisé le tour du monde», explique Mathilde Groselle. «En l’espace de six mois, j’ai parcouru l’Australie, la Nouvelle Zélande, les Philippines, le Japon et l’Ouest américain. En rentrant en France, c’est la grosse claque. Le confinement nous immobilise. Un membre de ma famille est malade. La planète entière à l’arrêt.» La jeune femme se tait. Des vapeurs de thé vert dansent avec la lumière. Mathilde respire. Tourne un peu la tête. Son regard s’attarde sur la mer.
«Ce fut un tournant», continue-t-elle. «Quelque chose qui n’allait pas nous laisser indemne. Voilà pourquoi on ressent de la nostalgie dans Le dernier ours.»
L’écologie portée par Mathilde Groselle, cherche, en effet, à préserver la beauté du monde. Cette dernière se niche dans l’expérience charnelle. Loin de toute idéalisation, la nature est d’abord traitée sous ses plus nobles aspérités. Les personnages du livre connaissent le froid, les blessures et l’humidité paralysante de la glaise. Les montagnes sont immenses, les arbres tordus, les bois âpres et mystérieux. Tout est combat et amour. La splendeur des choses, en vérité, ne se dévoile que par l’héroïsme des sens.
«Je pratique une littérature du vivant, poursuit ainsi la jeune artiste. «Je compare l’acte d’écriture avec la sculpture. Le début est brut, puis je polis, je change, je réalise un travail d’orfèvrerie, je mets des petites pierres précieuses par ci par là. Je travaille aussi à l’inspiration. C’est instinctif. Je ressens les énergies. Voilà ce qui me pousse à écrire».
Les énergies traversent comme un souffle le texte de Mathilde. Elles pénètrent les objets et donnent sens aux plus infimes détails. La nouvelle intitulée « La céleste », s’ouvre, par exemple, sur une scène de contemplation. Les vestiges d’un temps caduc semblent reprendre vie. La patine usée des meubles – les lits, les lampes, les grandes armoires – vibre et se dévoile à qui sait convertir son regard.
«Lorsqu’un être cher décède», explique Mathilde, «j’ai l’impression que tout un pan de l’histoire s’ évapore. D’ailleurs je trouve que chez les personnes âgées, tout est beau. Leurs maisons sont vivantes. Tout est animé. Il y a une présence. Je suis fascinée par la génération de mes grands-parents. Ils ont construit leurs maisons, ils ont économisé, ils y restent, ils s’implantent. Une partie de leurs âmes est là».
Si les âmes flottent et perçoivent, depuis leurs refuges, les errements d’une société à bout de souffle, c’est que, pour Mathilde, nous assistons à une crise sans précédent de la transmission. La figure du Père, en particulier, a été chassée de nos imaginaires. Trop longtemps accusée d’être aliénante, voire autoritaire, son effondrement a mutilé notre rapport à l’Autre. Finalement, c’est la parole du Père, qui, de nos jours, manque à l’Homme moderne pour accéder à la sphère de la liberté. Telle est la signification de l’autorité. Un passage de témoin trans-générationnel capable de nous rendre meilleur.
L’épuisement des ressources environnementales, vécue classiquement à la manière d’un matricide, se double sous la plume de Mathilde Groselle, d’un véritable parricide. Le dernier ours mourant, ou encore, le fidèle animal d’un personnage du livre, nommé ironiquement Charles de Gaulle, seraient-ils l’image d’un Occident malade et en quête de « Re-père » ?
La jeune artiste, en tout cas, pose les bases d’une réflexion à la fois poétique et sensible. Son écriture brillante, maniant avec tendresse plusieurs styles, est un bonheur sans mélange. Elle entraînera le lecteur vers des continents insoupçonnés, de ceux, qui tapis aux confins de notre inconscient, ne demandent qu’à ressurgir.
Raphaël RUBIO
Le dernier ours de Mathilde Groselle. Éditions Lazare et Capucine. 16 euros