« La situation cette année est pire que celle de l’année dernière qui était déjà mauvaise ». Dès les premiers mots d’Arnaud Bastide, le président de l’Observatoire Immobilier de Provence (OIP), le ton est donné, l’appel au sursaut est lancé pour éviter la catastrophe qui s’annonce.
Arnaud Bastide précise que ce n’est pas faute d’avoir alerté sur le contexte : « Nous avons depuis le début de la crise du logement, voilà presque 4 années, alerté sur les chiffres, expliqué la situation, réalisé un travail prospectif à moyen terme et enfin proposé des solutions ». Il appelle à un sursaut citoyen : « Les constructions ce n’est pas que de la gêne, du bruit, c’est du logement, un bien de première nécessité, c’est la vie ».
«Seuls 40% des ménages ont la capacité d’accéder au parc locatif privé avec un taux d’effort limité à 30% »
Thierry Moallic, directeur de l’Adil (Agence départementale d’information au logement) 13 insiste sur l’importance du locatif privé. Or, selon lui : « Ce secteur risque de fondre comme neige au soleil si on ne maintient pas le dispositif d’investissement locatif. Il a eu, certes, des effets négatifs mais on les connaît et on peut donc y remédier.» Il indique par ailleurs que les loyers ont augmenté de 8% sur Marseille en 8 ans pour l’ensemble des logements du parc privé et de 9,5% pour les loyers à la relocation. «Ces éléments viennent questionner la capacité des ménages modestes à se loger dans le privé. De nombreux ménages, qui pourraient prétendre accéder au parc social sont contraints de se reporter sur le parc privé en consacrant une partie importante de leurs revenus pour se loger. Sur l’ensemble du département, seuls 40% des ménages ont la capacité d’accéder au parc locatif privé avec un taux d’effort limité à 30% ».
L’encadrement des loyers à Marseille: un très mauvais signal pour les propriétaires
Nicolas Rastit, président Unis (les professionnels de l’immobilier) Marseille Provence Corse explique pour sa part : «Le loyer médian se situe à 12,16 euros/m² tous types confondus depuis un an, de mars 2023 à mars 2024. Un chiffre qui reste stable depuis 3 ans ». Il avoue : « Nous sommes très inquiets. Les locataires ne quittent plus leur appartement alors qu’une baisse très importante du stock est à notifier sur tout le département. Et, avec la chute vertigineuse des nouvelles constructions la pénurie de logements locatifs va se faire de plus en plus ressentir ». Dans ce contexte, explique-t-il : « L’encadrement des loyers à Marseille ne va rien changer pour les locataires mais c’est un très mauvais signal pour les propriétaires ».
«Le volume des vente est en baisse de 23% sur l’année 2023 »
Carole Bataillard, de la Chambre des Notaires des Bouches-du-Rhône acte à son tour que la situation est grave : «Le volume des ventes est en baisse de 23% sur l’année 2023. Les volumes des transactions des appartements dans l’existant est ainsi en baisse de 17% et celui des ventes d’appartements neufs en Vefa (Vente en état futur d’achèvement) de -49,5% (hors vente en bloc) ». Un volume de vente en baisse « qui n’empêche pas de voir les prix de vente augmenter, à l’exception des maisons neuves pour lesquelles on note une baisse de 6,3%. Nous sommes l’un des rares départements à connaître un tel phénomène ». Carole Bataillard précise: « Le marché se développe fortement sur le secteur d’Aix tandis qu’ils baissent sur la Côte Bleue alors que La Ciotat se maintient et que le secteur d’Arles est en forte croissance. Les acquéreurs sont majoritairement originaires du département, les acquéreurs extérieurs représentent seulement 7% ».
Au-delà, Carole Bataillard tient à mettre en exergue le fait que « le volume des transactions continue à diminuer pour les premiers mois de l’année 20024 et bon nombre de dossier n’ont pu aboutir faute de financement pour les acquéreurs. Il semblerait qu’avec la baisse des taux d’intérêts il y ait un sursaut dans les ventes portant sur l’ancien alors même que le marché dans le neuf est atone faute de produits ».
« Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu »
Philippe Maleval, pôle habitat FFB enfonce le clou : « Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu. Il y a deux ans maintenant que les vents contraires s’accumulent sur le secteur du logement neuf et qu’il était nécessaire d’agir. A force de tergiversations, d’inaction et de décisions à contre-courant la situation est aujourd’hui cataclysmique. Tous les territoires, des métropoles aux zones rurales et tous les types de logements, individuel comme collectif, social comme privé, sont entrés en crise profonde ».
Ainsi les ventes des maisons individuelles baissent de 39% au niveau national, de 36% dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. «Dans les Bouches-du-Rhône, les autorisations de construction de maisons affichent 38% entre 2022 et 2023», ajoute Philippe Maleval qui précise que : « l’urgence n’est pas de relancer l’offre. Elle est de relancer la demande à partir des dispositifs existants. Il faut également desserrer les verrous du crédit immobilier ; renoncer aux dispositions funestes de la loi de finances 2024 ; redonner du pouvoir d’achat immobilier en facilitant la transmission familiale.»
Grégoire Charpentier, association régionale HLM Paca et Corse s’inscrit dans le climat ambiant : «On assiste à une baisse chronique de l’offre nouvelle dans notre région et plus particulièrement dans les Bouches-du-Rhône. Nous savons désormais avec le recul que nos opérations immobilières se réalisent dans le temps long. Le taux de réalisation à 5 ans est d’environ 65%. Ainsi, le millésime 2023 devrait aboutir à la construction de seulement 1 000 logements HLM « ordinaires » c’est-à-dire pour le grand public au cours des 5 prochaines années. Notons qu’en ce début d’année 2024, le nombre de demandeurs de logement social dans les Bouches du Rhône est de 105 882, et il est en constante progression ».
Cyril Sauvat, président de la FBTP 13 rappelle que le BTP c’est 50 000 emplois dans la région. «Des salariés que nos entreprises vont garder tant qu’elles peuvent mais, si rien n’évolue, de nombreuses entreprises vont fermer et de nombreux salariés se retrouver au chômage.»
Arnaud Bastide conclut : « Comment sortir de cette impasse mortifère ? En s’engageant ! A nous, acteurs de l’immobilier de réinventer, d’alerter, de proposer des solutions à la fois nationales et locales pour relancer l’offre et la demande de logements. A nous citoyens de réclamer des logements adaptés à nos besoins, sources de bien-être et de qualité de vie. Aux collectivités locales d’accélérer, de concrétiser leurs engagements sur le terrain et de considérer le logement comme des vecteurs d’attractivité et de stabilité sociale. A l’État et au gouvernement de s’engager sans attendre en faveur d’une politique puissante du logement pour tous ».
Michel CAIRE