Publié le 30 septembre 2023 à 22h20 - Dernière mise à jour le 2 janvier 2024 à 10h15
Lors d’une semaine au cours de laquelle Marseille a été la capitale de la Méditerranée avec les Rencontres Méditerranéennes et la venue du Pape, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur a organisé l’acte VI de Méditerranée du futur, le 22 septembre dernier. Retour sur cet événement d’importance qui a mis au centre de ses travaux la question de l’eau et soutenu l’idée de la création d’une macrorégion méditerranéenne. (Partie I).
Comme un symbole, c’est au sein de l’auditorium de la Grotte Cosquer symbole de fragilité de notre civilisation, avec le risque que représente la montée des eaux, qu’ont été mis en avant tous les enjeux de l’eau. De nombreux experts, témoins et élus pour l’acte VI de Méditerranée du futur. Un échange qui faisait suite à plusieurs rencontres bilatérales. 36 délégations venues de l’ensemble du pourtour méditerranéen ont échangé pour penser l’adaptation au changement climatique par le prisme de l’eau.
Une réunion qui s’est déroulée pour la première fois en présence d’un commissaire européen, Margaritis Schinas, vice-président de la commission européenne. Deux tables étaient à l’ordre du jour. Elle ont permis de mettre en exergue l’intérêt de créer une macrorégion méditerranéenne et de mettre en avant des solutions pour la gestion de l’eau dans le bassin méditerranéen. Rappelons qu’une macrorégion est une zone géographique composée d’États membres et de pays tiers qui souhaitent coopérer pour faire face à des défis communs d’ordre environnementaux, économiques et sociétaux. L’Union européenne compte à ce jour quatre macrorégions pour les régions alpine, du Danube, de la mer Baltique et de la mer Adriatique et de la mer Ionienne. Macrorégion d’autant plus importante aux yeux de Renaud Muselier, président de la région Sud initiatrice de Méditerranée du Futur, qu’«avec la guerre à nos portes, l’Europe du Nord s’occupe beaucoup de l’Est mais il faut que l’Europe du Sud s’occupe du Sud et nous avons beaucoup d’enjeux devant nous». S’il se félicite de voir que le Parlement européen a voté, par 264 voix contre 14 en faveur de l’idée d’une macrorégion méditerranéenne, il prévient : « Ne créons pas une usine à gaz, fabriquons quelque chose qui ne soit pas trop complexe (…) avec les régions Occitanie, Catalogne, Calabre, Toscane et Corse». Corse, représentée par Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse et vice-présidente du Groupe Alliance Européenne au CdR qui demande « d’accorder une attention particulière aux îles dans la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie macro régionale en Méditerranée et faire en sorte qu’elles soient pleinement incluses dans le système de gouvernance.»
« Régler le problème des fuites »
Renaud Muselier qui a une pensée « pour les femmes et les hommes qui souffrent beaucoup » en évoquant les Marocains, les Syriens, les Ukrainiens, les Arméniens : «Tous connaissent les chemins de l’exode, du deuil et de la peur. Tous connaissent le sens du combat, la valeur de l’action collective ». Il demande alors une minute de silence «en mémoire des morts- d’où qu’ils viennent- en Méditerranée, en soutien aux vivants ». Puis d’en venir au thème de cette sixième édition : « Nous sommes tous touchés par le réchauffement climatique, par le phénomène de stress hydrique, et l’eau nous paraissait le thème le plus adapté pour trouver des solutions collectives, des réponses simples et pragmatiques ». Il rappelle qu’une partie de la région a toujours manqué d’eau et cela jusqu’au début du XXe siècle « comme l’a écrit Pagnol dans « Manon des sources » ». L’eau, pourtant, a été portée par l’Homme : «Les Romains l’ont conduite avec les aqueducs, puis nos anciens ont construit des barrages mais cela n’empêche pas qu’il faut trouver de nouvelles solutions afin d’éviter les conflits d’usage». Pour cela, poursuit le président de Région : « Il faudra investir massivement dans les infrastructures, en premier lieu régler le problème des fuites. Il faut réparer, être sobre et solidaire ». Puis il faut, selon Renaud Muselier, retraiter les eaux usées : « Les Espagnols arrivent à en retraiter 30%, Israël 90% et nous… 2%. Il faut vite arriver à en traiter 10% ». Puis d’évoquer aussi «le goutte à goutte, la désalinisation… ».
« Une Méditerranée qui ne peut pas être un cimetière à ciel ouvert »
Carole Delga, présidente de la région Occitanie, présidente de régions de France insiste, sur la nécessité, en matière d’eau, « de favoriser les solutions naturelles comme les zones humides mais aussi la réalimentation des nappes par des canaux comme nous l’expérimentons au plan national, dans notre région Occitanie ». Elle plaide également «en faveur d’une mutualisation sur la recherche et l’innovation parce que nous sommes toutes et tous convaincus que le progrès est indispensable ». Pour elle : « Nous avons aussi besoin de réponses communes à apporter aux crises migratoires. (…) Nous devons avoir une Méditerranée vivante, une Méditerranée qui ne peut pas être un cimetière à ciel ouvert.» Elle se prononce en faveur de l’accueil des migrants, dans le cadre des lois de la République «et nous devons être en coopération avec ces pays qui sont touchés par le réchauffement climatique ou par la guerre parce que la Méditerranée est une terre de fraternité contrairement aux idées de l’extrême-droite ». Elle met enfin en exergue l’importance de créer les liaisons LGV Toulouse-Bordeaux, Montpellier-Perpignan et Marseille-Nice parce que «à travers ces trois lignes c’est la diffusion de la relation sur toute l’Europe du Sud qui se construit, une meilleure connexion avec la péninsule ibérique, l’Italie et, au-delà les autres rives de la Méditerranée. Et cela est indispensable ».
« La Méditerranée nous dit que l’Europe est aussi africaine et que l’Afrique est aussi européenne »
Younous Omarjee, député européen, président de la commission du développement régional souligne que la tempête qui a tragiquement touché la Libye a aussi touché la rive Nord de la Méditerranée : «Cela nous rappelle que les frontières ne sont pas des murs et que la géographie nous impose une unité politique, humaine ». Face à des catastrophes qui sont appelées à se répéter il propose la création «d’une organisation commune de sécurité civile ». S’il voit dans la Méditerranée « une singularité dans laquelle on se reconnaît comme méditerranéen », il n’en ignore pas moins «les risques de fractures qui séparent les mondes». Face à cela « tout doit être fait pour travailler à un meilleur dialogue entre les civilisations et forger une unité car c’est dans le Bassin méditerranéen que se construit le futur de l’Europe et bien plus encore : c’est ici que se joue la paix dans le monde ». Pour lui : « La Méditerranée nous dit que l’Europe est aussi africaine et que l’Afrique est aussi européenne. Et pas un peuple en Europe ne porte la trace de cette construction culturelle partagée issue de l’Afrique, du Proche Orient et de l’Europe». Concernant les migrants, il appelle au sang-froid, s’appuie sur les propos que le Pape a tenu devant le Parlement européen : « Il était visionnaire, mettant en garde contre les murs qui se dressent en Méditerranée » et d’inviter, a contrario, à «faire vivre les valeurs européennes de solidarité ».
« Voir les pays industrialisés respecter leurs engagements »
Pour Nabil Mohammed Ahmed, ministre djiboutien de l’enseignement supérieur et de la recherche : « Il faut changer les modes de production, de vie. Il faut fédérer toutes les énergies face au changement climatique ; mettre en place des stratégies et coordonner les actions en matière de préservation de l’eau.» Il revient sur le Premier Sommet Africain qui s’est déroulé récemment : «Les chefs d’État ont, à l’unanimité, souligné l’importance de voir les pays industrialisés respecter leurs engagements ; qu’une taxe carbone internationale soit mise en place; que les droits de tirage spéciaux par le FMI soient également mis en place ». Précisons que le droit de tirage, plutôt qu’une monnaie, est une créance sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI. Il importe aussi, reprend le ministre djiboutien «que l’Afrique puisse multiplier par 6 sa capacité de production d’énergie renouvelable». Dans ce cadre, il indique que «Djibouti vient de lancer son premier parc éolien et entend, en 2025, ne plus utiliser que de l’énergie renouvelable».
« Les architectes d’un futur solide »
Margaritas Schinas, vice-président de la Commission Européenne intervient à son tour sur les changements nécessaires pour faire face au réchauffement : «Nous devons unir nos efforts sur les rives de la Méditerranée et trouver des solutions durables ». Il ajoute : « L’Europe est pleinement engagée à travailler avec ses partenaires méditerranéens pour renforcer la résilience climatique et nous croyons également que cette transition verte des pays méditerranéens est non seulement une nécessité mais aussi une opportunité de développement, la création d’un nouveau modèle économique de croissance, de création d’emplois ». D’en venir aux migrations : «Le changement climatique, la dégradation de l’environnement font partie des causes profondes de la migration irrégulière à laquelle nous voulons répondre notamment dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile. Nous cherchons un accord européen, après des années d’échec, pour construire une politique holistique, avec une dimension extérieure très forte qui nous permettrait de construire une politique de partenariat avec les pays d’origine. Une politique gagnant-gagnant qui permettrait aux pays d’origine d’offrir de meilleures conditions de vie à leur population afin qu’elles puissent rester et ne pas se mettre entre les mains de passeurs ». Il affirme : « Nous sommes très proche d’un accord européen qui nous permettrait de ne plus être les pompiers de service lors de crises mais les architectes d’un futur solide ».
« La région méditerranéenne peut perdre dans les années à venir 20% supplémentaires de ses ressources en eau »
Pour Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, « ce rendez-vous de la Méditerranée du Futur prend de plus en plus d’ampleur ». Puis de rendre hommage à la politique méditerranéenne de la France : «Elle ne cesse d’être dynamique, active et se construit dans un esprit de coopération avec le pourtour méditerranéen et l’Union Européenne.» Concernant la crise de l’eau, il évoque son Pays, l’Égypte : « Les ressources en eau ne satisfont que 30 à 40% de la population. Nous faisons partie des pays qui sont obligés d’importer de l’eau. Et le défi du changement climatique est là. La région méditerranéenne peut perdre dans les années à venir 20% supplémentaires de ses ressources en eau et ce sujet touche bien sûr la rive Sud mais aussi la rive Nord de la Méditerranée. Dans ce contexte l’Union pour la Méditerranée lance un fonds « partenariat de l’économie bleue » qui devrait mobiliser 1,3 milliard d’euros.» Il tient ensuite à rappeler que l’Union pour la Méditerranée va fêter son 15e anniversaire «c’est un cadre important qui a rassemblé sur des logiques de coopération mais ce cadre devrait être doté des moyens nécessaires pour avoir un véritable impact dans les 15 ans à venir ». Une Union pour la Méditerranée qui ne s’oppose en rien à la macrorégion, une réflexion qu’il salue.
« Besoin de coopérer et d’insuffler de la force dans toutes nos organisations méditerranéennes »
Karim Amellal, ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée revient sur la pertinence de Méditerranée du futur «Dans un contexte compliqué, déchiré, les villes et les régions continuent à travailler ensemble sur des sujets très concrets et nous avons donc besoin de ces rencontres ». Il poursuit : «Sur des sujets globaux nous avons besoin de mettre tous les acteurs autour de la table, de travailler ensemble : société civile, chefs d’entreprises, universités, chercheurs, des collectivités… C’est pourquoi l’idée de la macrorégion méditerranéenne paraît être un sujet qui mérite que l’on s’y penche. Cela fait sans doute partie des outils dont la Méditerranée a besoin pour répondre aux question de l’eau et du changement climatique ». Il précise : «Puis il faut les États, il faut qu’ils parviennent par-delà beaucoup de difficultés à travailler ensemble sur ces questions de l’eau, du climat, de la préservation de la biodiversité.» Il souligne à ce propos l’importance de la Conférence des Nations unies pour les océans, qui se tiendra à Nice en juin 2025 sous l’égide du président de la République. Organisée avec le Costa Rica et les Nations unies, elle aura pour objectif de rehausser le niveau d’ambition collective pour la protection des océans et aura vocation à poursuivre la dynamique positive engagée avec l’adoption d’un cadre international pour la biodiversité à la COP15 de Kunming-Montréal en décembre 2022 et l’accord récemment trouvé à l’ONU pour la protection de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales, dit « BBNJ ». Il ajoute, revenant à la Méditerranée : «Nous avons besoin de coopérer et d’insuffler de la force dans toutes nos organisations méditerranéennes».
Michel CAIRE