Marseille. Colloque au Centre Fleg : «Non l’antisémitisme n’est pas résiduel» 

Le centre Fleg, en partenariat avec le Fonds Social Juif Unifié (FSJU) vient d’organiser un colloque autour de deux tables-rondes sur le thème « Antisémitisme : passé-présent-futur » avec des interventions de Jonas Pardo, Carol Iancu, Nicolas Lebourg, Tal Bruttmann et Michel Wieviorka. Un débat animé par Eva Soto, journaliste à Radio J.

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Colloque au Centre Fleg sur le thème « Antisémitisme : passé-présent-futur  » ©R.A

 

Lionel Stora, du FSJU tient à souligner que ce colloque était prévu de longue date : « On ne pensait jamais connaître à nouveau un massacre. Le 7 octobre nous a prouvé que nous avions tort. Nous pensions que l’antisémitisme ne frapperait plus à notre porte… on se trompait. Alors, ce colloque, prévu de longue date, arrive à point tant nous avons besoin de réfléchir, de mettre nos actions en perspective.» Évelyne Sitruk, présidente du Centre Fleg Marseille ajoute : « Ce colloque sur l’antisémitisme a pour objet d’apporter des éléments de compréhension historique, sociétaux sur l’antisémitisme alors que, depuis le 7 octobre, les actes antisémites dépassent ceux d’une année entière. Il importe de comprendre les mutations que l’antisémitisme connaît au fil du temps et des pays. Pourquoi un conflit régional produit des réactions planétaires quand d’autres sont ignorés. Pourquoi les viols, les violences faites aux femmes le 7 octobre ne sont pas pris en compte par les féministes  ».

l’historien Carol Iancu, raconte : « J’avais 8 ans en Roumanie, je donne à mon meilleur ami un morceau de Matza, le pain de Pessa’h. Il refuse en me disant qu’il y a du sang dedans car certains chrétiens croient que les Juifs mettent du sang de chrétien dans ce pain.» Et de donner sa définition de l’antisémitisme : « C’est de l’antijudaïsme plus que du racisme ». L’antijudaïsme qui, selon lui « a des raisons religieuses et sociales ». Puis d’évoquer la judéophobie « qui est la haine de l’autre en tant qu’étranger ».  Carol Iancu explique encore: « Les Juifs ne sont pas persécuter partout et par tous les temps. Ils le sont dans deux types de civilisation : la chrétienté et l’islam. Même si en Asie un antijudaïsme a existé avant la naissance de Jésus car il y a une incompréhension du monothéisme. Dans la chrétienté le mythe du déicide apparaît au IVe siècle. Outre le fait de dédouaner Ponce Pilate, cette notion de déicide est absurde car comment tuer Dieu ? Et c’est dans l’Espagne médiévale que naît le concept de pureté du sang et, avec lui, le racisme ».

«Tous les antisémites ne pratiquent pas le même antisémitisme»

Tal Bruttmann, historien, spécialiste de la Shoah, poursuit, concernant la religion : « Martin Luther explique que le Juif, même converti, reste Juif et il faut s’en débarrasser ». Carol Iancu reprend : « Nous assistons actuellement à un retour du religieux. L’Église a renoncé à certaines choses, le protestantisme aussi, les musulmans devraient faire ce même travail ». Et il souhaite également que l’Église orthodoxe fasse de même.

Au-delà du religieux il prévient : « Tous les antisémites ne pratiquent pas le même antisémitisme. Le régime de Vichy a été authentiquement antisémite dès 1940. Mais, si on enlève l’antisémitisme à Vichy le régime reste cohérent alors que si on l’enlève au nazisme il ne reste rien. Cela, même si la destruction des Juifs n’est devenue la question centrale pour eux qu’en 1941 ».  Il insiste : « Il n’y a pas que les nazis qui tuent les Juifs.  Le 7 octobre, le massacre du Hamas n’a rien à voir avec le nazisme ». S’il comprend la stupéfaction qui a fait suite au 7 octobre, il précise : « On a cru après 1945 que la Shoah avait discrédité l’antisémitisme. C’est faux. En 1945 le monde occidental décide que l’antisémitisme c’est mal mais Staline déclenche une politique antisémite dès 1944.  Et, dès 1945  la politique antisémite est qualifiée d’antisionisme dans le bloc de l’Est. On parle de cosmopolitisme déraciné… les mêmes termes utilisés par l’extrême droite des années 30 ». Alors il revient sur cet antisémitisme de gauche « que l’on n’a pas vu en France grâce à des personnes telles que Jaurès». Et Tal Bruttmann déclare: «Non, l’antisémitisme n’est pas résiduel ».

«On crée des camps pour les étrangers indésirables »

Nicolas Lebourg, historien, spécialiste de l’extrême droite retrace l’évolution de l’extrême droite en France, partant du général Boulanger « qui refusait les antisémites » à Henry Coston, journaliste d’extrême droite, collaborateur qui avait pris pour symbole de son journal la francisque avec ses deux lames, « une pour la tête des Juifs l’autre pour celle des communistes ». Dans cette France de la fin des années trente on revient sur les décrets du Front Populaire : «On crée des camps pour les étrangers indésirables… Ils accueilleront 305 000 républicains espagnols après 1939 avant de devenir un lieu d’internement pour les Juifs ». Pour Nicolas Lebourg: «L’antisémitisme ne voyage pas seul mais avec la xénophobie et l’offre d’autorité ».

Michel Wieviorka, sociologue, souligne la haine des Juifs au cœur de Daech, d’Al Qaïda. Il ne cache pas l’antisémitisme de gauche mais, ajoute-t-il: «Les plus beaux combats contre l’antisémitisme viennent de gauche».  «L’antisémitisme s’est joué dans certains secteurs du monde communiste avec, parfois, un négationnisme soft.  A Auschwitz on ne pouvait pas savoir, en visitant le pavillon bulgare que des Juifs avaient été massacré là ». Il met en exergue la dérive de la gauche  en rappelant : « En 1972 après l’assassinat par des Palestiniens d’athlètes Israéliens lors des Jeux de Munich Alain Geismar dissout « la gauche prolétarienne » en expliquant qu’il ne peut être question d’aller dans le même sens que des gens qui ont tué des Juifs collectif Golem.

« Une certaine lecture de l’Islam crée de l’intolérance et de la haine »

Jonas Pardo , collectif Golem, considère qu’une des pistes pour comprendre l’antisémitisme de gauche réside dans l’antisémitisme soviétique : « Pourtant les Juifs sont très présents dans la révolution russe. Ils luttent ainsi contre le régime tsariste et sa politique très véhémente contre les Juifs. Lénine arrive au pouvoir et prend des positions fortes contre l’antisémitisme mais arrive Staline qui met en place une politique antisémite accompagnée d’assassinats. En 1939 c’est le pacte germano-soviétique et, dès 1949 il lance une campagne contre le cosmopolitisme déraciné et le sionisme.» L’idée se développe, selon laquelle «les juifs sont les ennemis intrinsèques du communisme et de tous les mouvements de libération», explique Jonas Pardo qui  ajoute que dans ce contexte: « Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il y a un antisémitisme islamique. Mais ce n’est pas l’Islam qui est en cause mais une certaine lecture de l’Islam qui crée de l’intolérance et de la haine ».

Un révélateur de réalité

Lors de la seconde table ronde lors de laquelle il sera notamment question du futur. Tal Bruttmann précise en premier lieu: «L’antisémitisme n’a pas augmenté après le 7 octobre, il est simplement plus visible. C’est un révélateur de réalité ». Il note d’ailleurs : « Lorsque Emmanuel Macron a été élu pour la première fois président de la République ce n’est pas le fait d’être énarque qui a été mis en avant mais celui d’avoir travaillé à la Banque Rothschild. Or, il y a passé bien moins de temps que Georges Pompidou ou Henri Emmanuelli sans que cela ne soit évoqué à leur époque ». Il voit là « un marqueur de l’antisémitisme tant chez les identitaires que LFI ». Il précise : « Marine Le Pen, si on analyse ses propos, ils s’adressent à son électorat. Elle ne dit pas un mot qui pourrait être condamnable mais lorsqu’elle parle de la finance internationale c’est compréhensible pour son électorat ». Il en vient au NPA : « Lorsqu’il célèbre le Hamas, il est en totale rupture avec son histoire». Le NPA étant à la fois sur des positions de classes très strictes et d’autres part comprenait de très nombreux militants d’origine juives. Aujourd’hui, poursuit Tal Bruttmann: « Son antisémitisme s’exprime lorsqu’il parle de la légitime résistance du peuple palestinien en évoquant le 7 octobre. On le célèbre parce qu’il a tué 1 200 Juifs. Il y a une libération de la parole. Pour certains tuer des Juifs est un juste combat ». Alors pour lui : « Nous sommes à un moment très particulier. Il faut se prévenir de toute excitation, au contraire il faut réfléchir, ne pas produire de discours contre productifs sachant que 15% des Français se revendiquent de l’antisémitisme ce qui veut dire que l’immense majorité est contre ». Il considère d’autre part : « La Shoah a vraiment été découverte dans les années 70-80. Cela a été la sidération mais, depuis, elle est devenue de l’histoire, c’est relatif. L’antisémitisme se transforme aussi avec l’ignorance et l’extrême droite cesse d’être perçue comme une menace par les Juifs ».

Être mobilisé dans la continuité et le changement

Le sociologie Michel Wieviorka considère : «Il y a eu une radicalisation après le 7 octobre. Chacun met en avant ses arguments et le dialogue n’est pas possible. Et quand on refuse la radicalisation on est vite déchiré ». Il poursuit : « L’État est impeccable sur l’antisémitisme. Il y a certes 1 500 actes antisémites dans notre pays mais la quasi-totalité sont anonymes ». Nicolas Lebourg évoque un antisémitisme au long court, avec « un taux stable de 20 à 30% de personnes antisémites et une extrême droite  qui a bien compris que sa normalisation passe par l’abandon de propos antisémites ». Pour Jonas Pardo : « L’antisémitisme se transforme et il faut regarder la désagrégation des idéologies. Maintenant, à la gauche de la gauche, il faudrait soutenir les opprimés quels qu’ils soient. Le soutien au Hamas s’inscrit dans ce mouvement. Et les Juifs sont victimes de violence non en tant que Juif mais en tant qu’ambassadeur réel ou supposé d’Israël ». Quid de demain ? Pour Michel Wieviorka : «Difficile de se projeter dans l’avenir. Les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle, la globalisation, la circulation de l’information…Tout cela fait qu’il est difficile d’imaginer que l’antisémitisme puisse décliner rapidement. Nous devons être mobilisés dans la continuité et le changement ».

Michel CAIRE

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