Publié le 30 janvier 2023 à 11h19 - Dernière mise à jour le 8 juin 2023 à 15h15
Il aura fallu 80 ans pour une reconnaissance nationale de la responsabilité de la France dans les rafles du Vieux-Port et de l’Opéra, en 1943 à Marseille. Reconnaissance traduite par la présence, ce dimanche 29 janvier, du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin et de Patricia Miralles, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire.
Un public nombreux se pressait sur le Parvis de l’Hôtel de ville de Marseille avant de rejoindre l’Opéra pour le 80e anniversaire des rafles des Vieux quartiers de Marseille et de l’Opéra. Rafles parmi les plus massives de la Seconde guerre mondiale. Une cérémonie qui, pour la première fois, s’est déroulée en présence de représentants du gouvernement. Deux ministres, Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur et des Outre-mer et de Patricia Miralles, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire. Présence d’autant plus importante que c’est avec le concours des autorités françaises collaborationnistes que les Allemands organisent cette opération Sultan lors de laquelle ils évacuent de force 20 000 personnes de leur logement, plus de 6 000 personnes sont arrêtées, 1 642 déportés dont plus de la moitié sont juifs.
«Deux français me demandent où est mon père»
La cérémonie débute par des lectures de témoignages, dont celui de Denise Toros Marter et celui d’Antoine Mignemi. Tous deux se souviennent. Denis Toros-Marter se souvient de ces hommes qui viennent chez elle, elle avait juste 16 ans: «Deux Français me demandent où est mon père. Je rétorque: « Pourquoi ? » Ils me disent que cela ne me regarde pas. Je lance: « je suis sa fille ». Leur réponse fuse: « Alors prépare tes affaires »». Le voyage vers l’horreur commence: les Baumettes, Drancy, Auschwitz. «Dés notre arrivée au camp ma grand-mère et ma maman sont dirigées vers les chambres à gaz. Mon père les suivra 4 mois plus tard». Elle lance alors : «Tout ce que vous avez pu voir n’est rien, ce que nous avons vécu est pire. Les nazis voulaient nous faire perdre toute dignité avant de nous tuer». Et d’évoquer l’arrivée des Russes: «Ils seraient entrés dans le camp deux jours plus tard je serais morte». Elle interroge: «Pourquoi mon frère André et moi avons-nous survécu ?». Elle répondra aujourd’hui à cette question: «Pour témoigner, alerter la jeunesse des risques que représentent des orientations extrémistes. Pour que nos enfants s’enrichissent de nos différences».
La Chorale du collège de la Major interprètera «Nuit et brouillard» de Jean Ferrat et «Comme toi» de Jean-Jacques Goldman.
«Je revois la peur de mes parents»
Antoine Mignemi avait cinq ans lorsqu’il est expulsé avec ses parents, ses voisins, du quartier Saint-Jean «par des policiers français et des nazis». Cela «parce que Hitler avait décidé de la destruction de ces Vieux quartiers, ce quartier de mon enfance, peuplé de nombreux migrants, italiens majoritairement. Je revois la peur de mes parents. La gare d’Arenc, la peur, les cris, les larmes. 12 000 Marseillais entassés dans des wagons à bestiaux vers Fréjus. Je garde toujours un souvenir effrayant de ces moments, de la semaine passée à Fréjus, de notre retour à Marseille pour découvrir qu’il ne restait rien de notre quartier».
En effet en quelques jours 15 000 immeubles sont détruits, 60 rues disparaissent. Quatorze hectares de ruines bordent le Vieux Port. Antoine Mignemi signale enfin qu’il a fallu attendre 2019 pour qu’avec plusieurs victimes, l’avocat Pascal Luongo, au terme d’une enquête, le dossier soit porté en justice et que la rafle et la destruction du quartier Saint-Jean soient reconnues en tant que crime contre l’humanité par la justice française. Robert Mignemi demande maintenant, pour ces victimes, une compensation et qu’une place porte le nom de «Place du 24 janvier 1943». «Il est vrai que ces histoires sont, jusqu’ici, absentes des programmes scolaires», comme le notera Benoît Payan, le maire de Marseille.
«Inconnu à cette adresse»
«Inconnu à cette adresse, c’est aujourd’hui une notion postal anodine mais, à Marseille, en 1943, cela avait une toute autre signification. Ils furent des milliers à ne plus avoir d’adresse, de dignité…», avance Gérald Darmanin qui indique: «Je suis venu à la demande d’Emmanuel Macron dire qu’il y a 80 ans à Marseille, 20 000 femmes, hommes et enfants, en majorité juifs, ont été arrêtés lors des rafles de janvier 1943, avant la destruction des Vieux-Quartiers». Il martèle: «Oui, il y a 80 ans Marseille a été marquée dans sa chair, dans son âme au terme de trois journées d’horreur ». Le ministre évoque : «La honte de la collaboration et la fierté de la résistance». Il parle de la déportation, de ses vies prises :«Mais la vie a repris à Marseille, la folie totalitaire a échoué».
Il dénonce, lors de son intervention, l’attentat que vient de connaître Israël : «Le jour même de la commémoration de la Shoah». Met en exergue le fait qu’en France le nombre de faits antisémites a baissé «mais il ne faut pas baisser les bras une seule insulte serait déjà de trop..».
«La guerre est une maladie»
«La guerre n’est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus». C’est par ces mots de Saint-Exupéry que Benoît Payan commence son propos; ajoute: «Oui la guerre est une maladie, le mal le plus profond, le plus injuste, un mal qui détruit tout, un mal qui a touché Marseille en plein cœur». Il insiste sur le fait que Marseille «solidaire et cosmopolite, une ville monde» représentait tout ce que les nazis détestaient. Il aborde les rafles de l’Opéra: «Avec le sourire, SS et policiers français se donnant la main ont arrêté, déporté, des enfants des femmes, des hommes, des vieillards parce que Juifs». Alors, pour lui, pendant ces jours terribles: «La France a failli, a livré ses enfants aux bourreaux . C’était il y a 80 ans, c’était hier et nous ne devons pas oublier». Et il assène: «Il aura fallu 80 ans pour qu’un maire et un ministre reconnaissent ensemble cette opération qui porte un nom: crime contre l’Humanité». Il insiste sur l’importance de la mémoire «quand la haine, la division, la violence ressurgissent. Quand le pays que nous aimons devient un prétexte au repli, au rejet, quand nos frères, nos sœurs, à Marseille ou ailleurs, voient resurgir le vent glacé du nationalisme, nous n’avons qu’un seul devoir, celui des rester fermes et forts». Il ajoute : «Pire encore l’antisémitisme a tué à Jérusalem».
Sur le parvis de l’Opéra, 2 rue Molière, l’hommage aux juifs raflés dans le quartier de l’Opéra est ponctué de prises de parole, de dépôt d’une gerbe et du dévoilement de la première stèle du parcours mémoriel.
Le prix Mizrahi
Albert Barbouth, de l’Association Fonds Mémoire d’Auschwitz ( AFMA) insiste sur l’importance du devoir de mémoire «pour construire un mur contre la haine». Denise Toros Marter fait de même en lisant le testament des rescapés d’Auschwitz. Benjamin Stora, du Fonds social Juif (FSJU) unifié exprime sa satisfaction de voir une première stèle inaugurée, Place de l’Opéra pour rappeler les heures tragiques que connut ce quartier. Il signale également le prix Mizrahi initié par le FSJU Marseille-Provence et remis, en partenariat avec la ville de Marseille, depuis 2021. «Il récompense le travail d’un étudiant sur la transmission mémorielle.»
Michel Cohen Tenoudji, Président du Consistoire Israélite de Marseille déclare: «Les nazis et la France de la honte ont mis en œuvre la solution finale. Nous n’oublierons jamais car oublier c’est faire mourir une deuxième fois». Fabienne Bendayan, la présidente du Crif Marseille-Provence, rend hommage à la mobilisation qui s’est opérée à l’occasion de cette cérémonie de commémoration des 80 des Rafles de Marseille., met en exergue la reconnaissance nationale de ces rafles jusque là oubliées avec la présence de Gérald Darmanin. Elle retrace le parcours des personnes vers la camps de la mort mais,«leur supplice a commencé ici». Elle invite à la vigilance car «les idéologies de haine n’ont pas sombré. L’antisémitisme falsifie l’histoire, se réfugie dans l’anonymat des réseaux sociaux, se mue en antisionisme».
Les juifs de France dans la Shoah
Puis, s’est déroulée l’inauguration de l’exposition «Les juifs de France dans la Shoah» dans le hall de l’Opéra. Cette exposition, adaptation de celle réalisée sous la direction de Serge Klarsfeld en 1992, «Le Temps des Rafles», est coproduite par le Mémorial de la Shoah et l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre.
A 16 heures s’est tenu le début de la représentation de clôture de la journée des commémorations, dans la grande salle de l’Opéra, avec la présentation d’un film documentaire de témoignages, co-produit par l’AFMA et le Mémorial de la Shoah. Un temps musical exclusif d’une quarantaine de minutes, proposé par le Conservatoire de Musique de Marseille, a clôturé cette journée.
Michel CAIRE
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Commémorations des rafles des Vieux quartiers et de l’Opéra: expositions
Du dimanche 29 janvier au mardi 28 février
«anamnèse(s)»
Exposition consacrée à l’évacuation forcée des Vieux-Quartiers. À travers les récits des victimes, dont les existences ont été bouleversées, ou de leurs descendants, qui ont vécu avec les silences et les traumatismes de leurs aïeux, la mémoire ressurgit.
Grilles de la place Bargemon – Quai du Port – 13002 Marseille
Du dimanche 29 janvier au mardi 28 février
exposition commémorative
19 modules présentés dans l’espace public retraçant l’histoire des Rafles du Vieux-Port et de l’Opéra, de l’évacuation et la destruction des Vieux-Quartiers de Marseille.
De l’Hôtel de Ville à l’Ombrière
Du lundi 30 janvier au mardi 28 février
Les Juifs de France dans la Shoah
Cette exposition nationale, adaptation de celle réalisée sous la direction de Serge Klarsfeld en 1992, «Le Temps des Rafles », est réalisée par le Mémorial de la Shoah en association avec l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. L’exposition a été inaugurée le 29 janvier au foyer de l’Opéra.
Espace Muséal Bargemon – Quai du Port – 13002 Marseille – Entrée libre
Du mardi 31 janvier au mardi 28 février
«Quand la sardine a virgules se souvient»
Exposition photos, sélection bibliographique et vidéo, rappelant les événements tragiques de janvier 1943 à Marseille.
Alcazar – Espace régional – 58, cours Belsunce – 13001 Marseille )]