Publié le 19 novembre 2019 à 12h13 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h26
Organisée par le général de corps d’Armée Benoît Houssay, la 2e « Conférence du Gouverneur » s’est tenue ce jeudi 14 novembre au Palais des Arts du Parc Chanot à Marseille. Grand témoin de cette édition Hervé Ladsous qui a occupé tout au long de sa carrière diverses fonctions diplomatiques. Nommé ambassadeur de France en 2011, secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix de 2011 à 2017, l’ancien « chef des Casques bleus » est intervenu sur le thème : « Les Nations Unies et la France face aux défis sécuritaires d’Afrique et du Moyen-Orient».
En Afrique ou au Moyen-Orient (République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Mali, Soudan …), les missions de l’ONU évoluent constamment afin de faire face aux crises et à leurs mutations (menace terroriste, augmentation des acteurs non-étatiques…). Des environnements hostiles qui font du maintien de la paix l’une des missions opérationnelles les plus complexes de l’ONU. Hervé Ladsous revient sur les missions de la Paix des Nations Unies, rappelle que dans un premier temps, elles consistaient à avoir des officiers qui, avec des jumelles, surveillaient. Et leur mission s’arrêtait là. Puis, dévoile-t-il, «s’est posée la question de la protection des civils et d’une implication plus active de l’ONU». Après les drames du Rwanda et de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine : «La proposition de Bernard Kouchner sur le devoir d’ingérence».
«Nous n’avons pas su faire preuve de sens critique avec le comité de transition»
Et d’en venir alors au Moyen-Orient «où la situation est catastrophique» évoquant notamment la situation en Syrie, en Libye et au Yémen: «Nous sommes intervenus en Libye pour éviter des massacres tragiques, avec l’aval des Nations Unies. Les bombardements ont permis de protéger des milliers de civils. Mais nous avons commis des erreurs. Nous n’avions pas suffisamment étudié l’histoire de ce pays qui n’a jamais été un État unitaire, pourtant les Italiens nous en avaient fait la remarque. Ensuite nous n’avons pas su faire preuve de sens critique avec le comité de transition et, très vite, avec les interventions d’acteurs extérieurs, nous en sommes arrivés à la situation actuelle et il faut bien constater qu’il y a peu de solutions en vue». Une intervention en Libye qui a eu un impact sur la Syrie: «S’appuyant sur l’exemple libyen la Russie, au Conseil de Sécurité, a avancé que la nécessité de protection des civils n’était qu’un alibi pour changer le régime et a voté contre une intervention». Et, aujourd’hui: «Le régime de Bachar Al Assad est en place alors que ses responsabilités sont lourdes». Il considère à ce propos: «Il faudra bien prendre position sur la question Kurde et elle ne peut être de les laisser tuer. Les Kurdes ont joué un rôle de premier plan dans la défense de nos intérêts contre Daech. On ne peut laisser faire…». Il considère: «Les frontières actuelles du Moyen-Orient résultent des accords Sykes-Picot. Cela crée des divisions qui pourraient être revendiquées comme objet de discussions» Et d’en venir au Yémen: «qui connaît une rivalité stratégique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, situation qui entraîne une crise humanitaire considérable avec des personnes qui meurent de faim». Un constat donc qu’il qualifie de «loin d’être satisfaisant et le reproche doit être adressé au Conseil de Sécurité».
«De multiple fauteurs de troubles non institutionnels»
Hervé Ladsous en vient à l’Afrique: «La situation y est différente car il y a des choses que l’on peut et que l’on sait faire». Et d’évoquer la Sierra Léone, le Liberia ou encore la Côte d’Ivoire où, après des crises dans les années 90 la paix est revenue. Le diplomate note pourtant que rien n’est simple: «On a de multiples fauteurs de troubles non institutionnels: des groupes ethniques, religieux mais aussi des trafiquants d’êtres humains- qu’il s’agisse d’otages ou des candidats à la migration vers l’Europe- ou des trafiquants de substances illicites». Et de pointer la dimension islamique au Mali: «Lorsque la France est intervenue au Nord Mali il s’en fallait de peu que le régime de Bamako ne s’effondre. Et un effondrement complet du Mali dans l’orbite islamique aurait eu un impact sur les pays voisins et, plus largement, sur la Méditerranée». Pourquoi en était-on arrivé là? «Parce que le gouvernement malien ne s’est jamais intéressé à ce qui se passait dans le Nord qui est ainsi tombé en déshérence ce qui a permis à Al Qaïda de s’y installer. Une organisation qui essaie d’exploiter toutes les faiblesses comme le montre ses attaques au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou encore au Niger». Et, en Centrafrique, «nous sommes passés très près d’un génocide épouvantable entre chrétiens et musulmans. L’intervention de la France et des Nations Unies a été cruciale et il était très important d’avoir plusieurs pays européens parmi les intervenants». Son propos sans langue de bois se poursuit avec le Soudan: «La crise à commencé avec le Darfour, le premier conflit dépendant du réchauffement climatique conduisant à une diminution de l’eau ce qui a conduit à des affrontements entre agriculteurs et éleveurs». «Puis les Évangélistes américains sont arrivés au Sud Soudan, région connaissant des combats depuis des décennies. Ils ont créé la notion de bons chrétiens pourchassés par les musulmans. Eh bien non, ce n’est pas aussi simple. Et tout le monde été là pour célébrer la création du nouvel État du Sud Soudan, riche de son pétrole et de ses terres agricoles. Depuis ce pays a connu une succession de massacres, de partages et pas un sou du pétrole n’est venu aux populations». Alors, pour Hervé Ladsous, dans ce monde qui va mal «en perte de repères, il importe que la France continue à jouer son rôle et soit d’avantage écoutée». Une conférence grave qui invite à suivre avec attention les actualités internationales et notamment africaines. La prochaine conférence aura lieu le 14 mars sur un sujet tout aussi brûlant «Méditerranée enjeux et perspectives».
Michel CAIRE