Ce n’est pas la première visite d’un duo composé du ministre de l’Intérieur et de la Justice. Presque tous les gouvernements ont sacrifié à ce rite pour rassurer et montrer les gros bras, sans vraiment de succès faute d’avoir pris la mesure du problème.
Prise de conscience
Certains y verront de la communication, d’autres une prise de conscience. Bruno Retailleau s’est volontairement voulu alarmiste. « Le narcotrafic et le crime organisé menacent le pays. C’est une menace existentielle contre nos institutions et notre démocratie. La « pieuvre », à travers notamment la corruption, menace les intérêts fondamentaux de notre nation ». Le ministre de l’Intérieur veut faire de la lutte contre la criminalité organisé une cause nationale comme le terrorisme. « Le narcobanditisme obéit à la même logique que le terrorisme : conquête de territoires et conquête des esprits de jeunes déstructurés. C’est un combat national qui prendra 10 voire 15 ans ».
Asymétrie
Pour le ministre on ne joue pas à égalité avec les narcotrafiquants. « Il y a une asymétrie entre des réseaux très pyramidaux, très structurés et de l’autre un état en silos, trop dispersé. On a une puissance financière colossale d’un côté et de l’autre une impuissance à briser des systèmes économiques. Ils ont des moyens techniques exceptionnels alors on doit se mettre à niveau ».
Des mesures
Face à cette situation le ministre de l’Intérieur propose une série de mesures. « Il faut que le délinquant qui trafique puisse être expulsé de son logement, il n’a plus rien à y faire y compris si c’est un logement social. Il faut que le commerçant qui blanchit voit la fermeture de son commerce et que le voyou qui roule en grosse cylindrée puisse justifier de ses revenus ». Puis Bruno Retailleau est revenu sur sa marotte l’aide sociale. « Il faut couper les aides sociales aux familles connues pour des antécédents. Est-ce que c’est pas choquant d’avoir une famille de 8 ou 9 personnes qui touche 15 000 € d’aides sociales ! ». Mais il prévoit aussi d’autres mesures notamment « un renforcement de l’investigation et une meilleure coordination des services comme cela se fait en matière de terrorisme ».
Plus de moyens pour la justice
Le ministre de la Justice, Didier Migaud avait mis sa démission dans la balance en découvrant la faiblesse de son budget. Visiblement il a été entendu. En visitant la prison des Beaumettes il s’est voulu rassurant notamment en matière d’effectifs. « Je veux renforcer la cellule de coordination au niveau national, créer un parquet national et renforcer les parquets à tous les niveaux ».
Fini, les prisons passoires ?
A l’occasion de cette visite le ministre de la Justice a bien sûr été interrogé sur les prisons passoires. Nombre de caïds continuent, grâce à des téléphones portables, à gérer leurs points de deals depuis leur cellule voire à commanditer des crimes comme ce fut le cas récemment à Marseille. Un jeune de 14 ans a été interpellé par la police, après avoir tué un chauffeur de VTC, grâce au coup de fil d’un caïd depuis sa cellule. Il pilotait l’adolescent par téléphone pour commettre son méfait et comme il n’avait pas respecté le contrat et tué le chauffeur qui ne voulait pas l’attendre après son méfait, il a donné son identité et son adresse à la police. « C’est n’est pas entendable, inacceptable qu’on puisse commanditer des meurtres depuis la prison, s’indigne Didier Migaud. Ce n’est pas entendable pour les citoyens et les hommes politiques que nous sommes. Donc il faut les isoler comme les terroristes et radicalisés dans des cellules spécifiques et installer des systèmes de brouillage. Nous allons essayer de doubler le nombre de ces cellules.»
Familles de victimes
Avant d’annoncer leur plan de lutte, les ministres ont rencontré les familles des victimes. Une heure d’entretien où elles ont eu l’impression d’être écoutées. « Ils étaient intéressés par notre vécu et par les solutions qu’on pouvait apporter, indique Laetitia Linon, membre du collectif des familles de victimes. Ils ont aussi annoncé le recrutement de 25 enquêteurs c’est essentiel ». Un bémol malgré tout, les ministres ont surtout parlé de répression, très peu de prévention. «On a mis en avant que dans les cités des enfants ont grandi au cœur de scènes de guerre et qu’ils renferment un traumatisme, insiste Karima Meziene de l’association Alehan. Ce sont souvent ces enfants qui commettent des crimes à 14 ans et il faut pouvoir les traiter en amont. Avoir une politique d’accompagnement »
Reportage Joël BARCY