Marseille. Effondrements de la rue d’Aubagne : récit d’une catastrophe annoncée au tribunal

Les appels et les courriels des locataires du N°65, adressés aux propriétaires et syndic font froid dans le dos. Quelques jours, voire quelques heures avant le drame ils s’inquiètent de la grande instabilité de l’immeuble. Marie-Emmanuelle Blanc envoie un message au cabinet Liautard le 30 octobre. « Faites quelque chose, je suis coincée dans mon appartement. Je suis dans un piège ». Cinq  jours plus tard le piège se refermera sur elle. Elle fait partie des 8 morts.

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© Joël Barcy

 15 ans d’inertie

Quand le président du tribunal reprend les dates clés qui entourent les immeubles effondrés, tous des années 1660, on se dit que personne ne pouvait ignorer la situation critique des 2 immeubles qui se sont effondrés les numéros 63 et 65 . Pendant une quinzaine d’années quelques travaux ont suivi des arrêtés successifs de mise en péril ou de péril grave et imminent. Il y a eu un nombre conséquent de visites et expertises. (9 expertises judiciaires depuis 2005). Dans les jours voire les heures qui ont précédé le drame, les locataires du N°65, le seul immeuble encore occupé, ont alerté à de multiples reprises les propriétaires ou le syndic. Ils sont entendus voire écoutés mais les travaux effectués ne sont que de la « cosmétique » dira un expert. Ils ne résolvent pas les désordres massifs des immeubles.

« Ça devait arriver »

 Humidité quasi permanente dans les caves depuis 10 ans, fuites à répétition, enduit effrité, maçonnerie endommagée, gonflement des murs, portes qui ne s’ouvrent plus, querelle de responsabilités entre les propriétaires ou gérants des deux immeubles… C’est une longue litanie de défaillances qui a conduit au drame. « L’effondrement était programmé », confie le premier expert sur les lieux, Bernard Bart. On a mis la poussière sous le tapis pendant des années. Ça devait arriver, mais c’était évitable».

« Cette affaire est terrifiante »

Pour Me Philippe Vouland, avocat des parties civiles, cette affaire est terrifiante. C’est toujours facile de faire une analyse après mais là quand même, on avait tout sous les yeux, tout sous les yeux… alors c’est incompréhensible. C’est un point d’orgue des négligences dont cette ville est parfois capable. Et surtout on a autorisé les gens à revenir dans leur immeuble le 18 octobre. Quelques jours avant le drame.

Des appels à l’aide

Dès mars 2018, des occupants du 4e étage signalent que « leur porte est bloquée. Qu’ils sont enfermés dans leur appartement ». Puis en octobre 2018, les appels et courriels se multiplient en direction du cabinet Liautard. « Je suis enfermés dans mon appartement. Impossible d’ouvrir ma porte », s’inquiète à nouveau un occupant du 4e étage, Abdelghani Mouzid. Au-dessous Simona Carpignano alerte aussi le syndic: «Elle est inquiète pour sa sécurité. Elle n’arrive plus à fermer sa porte ». Le 17 octobre Marie-Emmanuelle Blanc, occupante du 1er étage, signale que «le mur est ventru et très inquiétant. Il menace de s’effondrer ». Le lendemain un expert est diligenté et évoque « un péril imminent ». Des travaux de consolidation avec des étais sont effectués et à 23 heures on autorise les locataires à regagner leur immeuble. Le 19 octobre, la ville interdit d’occuper le 1er étage et demande « d’étrésillonner les fenêtres côté cour ». Des mesures prises en générale pour étayer les montants des baies d’un bâtiment en ruine. Malgré toutes ses alertes personne ne s’inquiète de la sécurité des occupants. 3 semaines plus tard, le bâtiment s’effondre entraînant l’immeuble voisin du 63. Le 67 qui menaçait aussi de s’effondrer a été détruit par les marins-pompiers au lendemain du drame. Les 63 et 67 heureusement étaient inoccupés en raison de leur vétusté.

La faute à pas de chance ?

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Philippe Vouland, un avocat des parties civiles (Photo Joël Barcy)

Quand on égraine les arrêtés de mise en péril et les multiples interventions effectués sur les bâtiments on a l’impression que chacun a agi à un moment donné. « On a affaire qu’à des honnêtes gens relate Philippe Vouland, un avocat des parties civiles. Les propriétaires ne sont pas des multimilliardaires, les professionnels qui ont eu cette affaire ne sont pas des écervelés mais une succession de concours de circonstance et d’affaiblissement de la conscience à un moment, s’agissant quand même d’immeubles qui ont plus de 350 ans, font que la catastrophe est arrivée. La défense voudrait que ce soit la faute à pas de chance mais l’instruction et les parties civiles ont décidé que c’était un homicide involontaire. C’est tout le débat ».

Une vidéo tournée par un des locataires au 4e étage, Abdelghani Mouzi, peu avant le drame, est diffusée dans l’enceinte du tribunal. On découvre comment les portes, le plan travail sont déstabilisés et les murs fissurés dans son appartement. Il commente : « Ça va s’effondrer, il y a urgence, en quelques heures ça s’est aggravé ». Puis il descend et filme l’extérieur où des pierres commencent à tomber.  Durant deux jours le tribunal va entendre des experts pour essayer de comprendre le scénario de l’effondrement. Le procès doit durer 6 semaines.

Reportage Joël BARCY

 

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