David Khalfa, co-directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et de Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès est l’initiateur est le co-auteur de « Israël-Palestine année zéro ». L’ouvrage offre un éclairage croisé sur les aspects militaires, diplomatiques, politiques et sociétaux de la tragédie en cours et décrypte ses répercussions sur la scène régionale et internationale.
David Khalfa dresse également un tableau des conditions qui permettraient de tracer un nouvel horizon diplomatique vers la paix. Quelles sont les dispositions à prendre pour une sortie de crise ? Quel avenir pour Israël, les Palestiniens et le Liban ? Quelle est l’implication de la Russie et de l’Iran ? Quel rôle pourrait jouer les puissances arabes du Levant et du Golfe après la guerre alors qu’elles sont d’ores et déjà parties prenantes du «new deal » régional envisagé par l’administration américaine ? Pour l’auteur point de solution hors de la création de deux États. C’est au lendemain de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et Gaza que David Khalfa a rencontré le public à Marseille, à l’invitation du Centre Fleg. La rencontre s’est tenue avant les dernières déclarations de Donald Trump.
« la pauvreté du débat en France »
David Khalfa avoue : « outre l’effroi du 7 octobre et ses conséquences ce qui me chagrine c’est la pauvreté du débat en France où il n’est pas possible d’être pro-israélien et pro-palestinien en même temps. Où on assiste à des généralisations abusives et à l’absence de la dimension historique et religieuse du conflit. L’écart existant entre la complexité du conflit et la simplification du débat est vertigineux. » Selon l’auteur : « Il faut sortir de la tendance à refuser le narratif de l’autre, sortir d’une logique où il faut prendre parti pour une partie contre l’autre. »
L’auteur signale que «l’écriture de ce livre, réunissant notamment Israéliens et Palestiniens, a été plus simple que prévu. Les uns et les autres n’ont pas hésité à participer à cette aventure. Preuve qu’alors que nous sommes tombés dans l’incapacité de dialoguer, eux sont d’accord pour le faire. Attention, on peut être pro-palestinien ou pro-israélien mais on peut être pour les deux sachant qu’il n’y a pas d’autres solutions que deux États.» Il aborde l’antisémitisme en insistant : « La question n’est pas de savoir si on soutient les Palestiniens ou les Israéliens. La question c’est la haine de l’autre. C’est l’antisémitisme dont ce conflit est le prétexte. Un antisémitisme vieux de 2000 ans et qui ne cesse d’évoluer. En Europe, aux États-Unis on reprend le slogan du Hamas : du Jourdain à la mer… qui est aussi celui de l’extrême droite israélienne. En France on a une extrême droite qui se prétend sioniste alors qu’elle n’est qu’anti arabe et à la gauche de la gauche une dérive qui est très claire chez Mélenchon. Et il n’y a pas eu de remise en question de ses propos et pas de rupture claire à gauche. Il y a un abcès à crever. Une solution pour cela résiderait dans le fait d’aller sur le terrain rencontrer des activistes Israéliens et Palestiniens. »
« Nous sommes face à deux sociétés traumatisées qui manquent l’une et l’autre d’empathie »
David Khalfa en vient au cessez-le-feu: « Ce n’est pas un accord de paix mais de cessez-le-feu en trois actes et l’accord peut capoter à tout moment. » Et cela d’autant plus que, poursuit-il: «Nous sommes face à deux sociétés traumatisées qui manquent l’une et l’autre d’empathie. » Alors pour David Khalfa : « Parler de paix est un peu abstrait pour les deux parties qui, avant tout, veulent faire leur deuil. Mais des changements majeurs sont apparus : le rapport des forces sur le terrain et l’arrivée d’une nouvelle administration à la Maison Blanche. »
L’auteur revient sur son livre, explique son titre : « Il est emprunté au film de Rossellini : « Allemagne année zéro » . Nous sommes devant la dévastation, la destruction, comme dans le film mais nous sommes aussi devant une perspective de reconstruction. C’est cette double réalité qui donne corps à l’ouvrage. » Avant de considérer : « Ce conflit est une tragédie, pas un drame car dans le drame un a tort et l’autre a raison. Là nous sommes dans une situation où deux peuples se trouvent sur un territoire à peine plus grand que la Bretagne. »
« Au XIXe siècle le sionisme est né à la gauche de la gauche »
David Khalfa souligne qu’au XIXe siècle le sionisme est né à la gauche de la gauche et que l’antisionisme était qualifié de « socialisme des imbéciles ». Il rappelle que les organisateurs d’Israël étaient des athées. « L’État Hébreu est un refuge et un cadre d’auto-détermination. C’est aussi un espace d’émancipation politique, culturelle ». Il en vient au 7 octobre. « C’est un moment de rupture historique dans les deux camps car il y avait eu des conflits mais pas de massacres de masse. Et le 7 octobre pose débat même chez les islamistes car, pour certains, il n’est pas possible de commettre des violences contre les civils, les femmes et les enfants. Face à cela le Hamas a nié l’existence de telles violences ou a essayé de les justifier en expliquant qu’il n’y avait pas de civils puisque tout le monde fait l’armée en Israël. » « Le Hamas pendant longtemps, poursuit-il, a hésité entre savoir si un État et le bien-être de la population étaient son objet premier ou s’il s’agissait de mener la lutte armée contre Israël. Le 7 octobre a tranché, le Hamas montre son vrai visage avec ce massacre de masse. Il a ripoliné son image et on est tombé dans le panneau. Ce mouvement a certes une dimension nationale mais pas seulement, il veut détruire Israël, réduire les Juifs au rang de minorité religieuse et créer la grande Palestine. » Alors, pour lui : « Le Hamas c’est l’extrême droite palestinienne il veut un seul État… comme l’extrême droite israélienne, qui a une alliance objective avec le Hamas, qui ont eu une volonté commune de saboter les accords d’Oslo. »
« Un massacre de masse a eu lieu qui explique ce qu’est le Hamas »
David Khalfa reprend : « Le 7 octobre un massacre de masse a eu lieu qui explique ce qu’est le Hamas. Massacre qui a eu lieu dans une société israélienne dont les fractures sont voulues par le premier ministre qui dérive vers l’illibéralisme autant pour échapper à la justice que par idéologie. Et le Hamas était parfaitement conscient de cette situation. » Il cite à ce propos Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, auteur de la préface de l’ouvrage qui dénonce, avec force, la coalition « fascisto-messianique » au pouvoir en Israël et Benjamin Netanayou qu’il qualifie de « génie du mal ». L’auteur rappelle d’autre part : « Jusque dans les années 80 le mouvement palestinien est majoritairement laïc puis le Hamas se crée et il est utilisé par les Israéliens pour affaiblir le Fatah… » Il met en exergue le texte de Ahmed Fouad Alkhatib qui vit aux États-Unis en 2005 pour une année dans le cadre d’un programme d’échange. Il écrit : « A Gaza j’étais antisémite. Mais peu de temps après mon arrivée aux Etats-Unis je me suis rendu compte que cette haine des Juifs était sans objet ». Son année se termine il doit retourner à Gaza mais une fois en Égypte il se trouve face à une frontière bloquée : « Grâce au soutien de mes amis dont un rescapé de la Shoah j’ai obtenu les fonds et pris les dispositions nécessaire pour retourner aux Etats-Unis. » Pour lui, une des raisons du 7 octobre réside dans la fébrilité du Hamas à la suite des manifestations qui ont rassemblé des milliers de Gazaouis en juillet et août 2023. De dénoncer l’horreur du 7 octobre avant de considérer : « Il n’était malheureusement pas surprenant que le Hamas choisisse un moyen aussi terrible pour tenter d’influer sur le cours des événements et sortir de l’impasse dans lequel il s’était enfermé. En choisissant la politique du pire le Hamas a pris en otage son propre peuple en lui faisant courir un risque mortel. »
David Khalfa poursuit : « Le 7 octobre a montré une volonté génocidaire du Hamas.» A propos d’Israël il juge : « Il y a des crimes de guerre, la justice israélienne enquêtera mais il n’y a pas génocide. Bien sûr il y a eu tentation de se venger, bien sûr l’armée compte des soldats d’extrême droite mais il n’y a pas d’ordres écrits et il faut savoir que la droite israélienne déteste le Mossad et le Shin Bet et que la gauche est majoritaire au sein de l’état-major. » Et de réaffirmer : « Il n’y a pas de solutions en dehors de deux États.»
Michel CAIRE
« Israël-Palestine année zéro » par David Khalfa- aux Éditions Le bord de l’eau – 324 pages- 16€
David Khalfa, co-Directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord & du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. Préface d’Elie Barnavi, Historien et diplomate israélien. Postface d’Éric Danon, diplomate, ex-Directeur adjoint des Affaires politiques et de Sécurité, ancien Ambassadeur de France en Israël.
Yasmina Asrarguis, chercheure spécialiste de la paix au Moyen-Orient.
Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’Institut français d’opinion publique.
Éva Illouz, sociologue franco-israélienne, théoricienne du féminisme contemporain.
Gaith Al-Omari, chercheur palestinien, ancien négociateur de paix et conseiller de l’OLP.
Ahmed Fouad Alkhatib, activiste palestinien de la paix, directeur de Unified assistance.
Ludivine Gili, Directrice de l’Observatoire des Amériques à la Fondation Jean Jaurès