Publié le 4 juin 2013 à 4h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h39
Que dire au terme de la très complète visite du Mucem ? Voilà un établissement qui a l’impertinence d’être pertinent. En d’autre terme, un passage au Mucem pour découvrir la richesse, la complexité du monde méditerranéen qui, une nouvelle fois, est à la croisée des chemins, entre le bleu et le noir. Un musée qui n’ignore aucune des questions posées en Méditerranée, colonisation, religion, Jérusalem, la trois fois sainte… Un musée, enfin, qui a la pertinence d’être impertinent avec le bazar du genre. Un moment pour réfléchir, être dérangé, rêver. C’est aussi, et là n’est pas son moindre intérêt, un lieu ouvert sur la ville, qui offre des espaces de promenade, gratuits, avec des points de vue qui ne peuvent laisser insensible, un lieu qui proposera de très nombreuses manifestations, un lieu de vie où il est possible de se restaurer, se désaltérer.
« Le Mucem s’intéresse aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée dans leur dimension contemporaine »
Bruno Suzarelli, le président du Mucem explique que nous sommes là devant une institution culturelle « qui a une ambition plus large qu’un musée traditionnel, qui est pleinement un musée pour le XXIe siècle ». Il indique également : « Le Mucem s’intéresse aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée dans leur dimension contemporaine : il veut traiter des problématiques actuellement à l’œuvre de part et d’autre de la Méditerranée, mais qui le sont également dans l’Europe non méditerranéenne car celle-ci est éminemment concernée par ce qui se joue en Méditerranée ». Et pour cela, l’établissement croise les disciplines « et nous abordons sans complexes aussi bien les phénomènes contemporains que l’histoire des civilisations en utilisant tous les canaux possibles et en croisant toutes les approches. Il nous paraît légitime de traiter de sujets qui concernent l’antiquité, le moyen-âge, les temps modernes, le XIXe ou le XXIe siècle sans être un musée d’Histoire à proprement parler. Je pense à ce pingouin que Zeev Gourarier, directeur scientifique des collections du Mucem, installe à l’entrée de la galerie de la Méditerranée, comme un clin d’œil à la grotte Cosquer, pour rappeler le climat qui régnait en Méditerranée il y a 20 000 ans. Nous utilisons aussi des travaux de démographes et puis, nous avons recours à des artistes vivants pour accompagner nos projets car leur regard sont encore différents de ceux des scientifiques, historiens, sociologues… ». Le Mucem, poursuit-il « est enfin une cité culturelle où il se passera toujours quelque chose, un lieu de débats, de rencontres, très ancré dans son territoire et qui proposera une très riche programmation artistique ».
Zeev Gouranier présente la galerie méditerranée et son exposition semi-premanente : « Qu’est qu’une exposition permanente ? Une exposition qui a duré trop longtemps ». L’esprit est là. Dans cette galerie l’on découvre la Méditerranée. Dans une première pièce des objets, des temps, celui des chasseurs cueilleurs, puis des agriculteurs, celui des Dieux aussi. Évolution des techniques. Partie ardue, pari gagné grâce à une scénographie qui sait capter le public. C’est ensuite une plongée dans la Jérusalem trois fois sainte, objets historiques, images contemporaines racontent une histoire, des histoires au public. On notera une « Vierge à l’enfant », réalisée dans un contexte musulman, témoignant de la place attribuée par cette religion à Jésus. Image forte dans ces temps où des intégrismes se regardent, se nourrissent.
Ici point de murs mais des voiles qui séparent les espaces
Ici point de murs mais des voiles qui séparent les espaces. Après Jérusalem il est question de citoyenneté et de droits de l’Homme, de l’apport de la Méditerranée à la cité, la citoyenneté. Cocorico, la déclaration des droits de l’Homme est là… Mais aussi un autre apport de la Révolution : la guillotine. Ça calme…
Autre voile franchi et il est question de « Au-delà du monde connu ». « Il y avait les peurs de l’inconnu, peur de la mer, et puis, ce qui permet de la surmonter : le cabinet des convoitises. Et, pour réaliser, ces voyages, il fallait une mappemonde, réalisée par un juif, les mathématiques, arabes, et des techniques de construction des bateaux développées dans l’Europe chrétienne. Les trois civilisations collaborent pour la conquête du monde. Huit films d’animation concluent ce voyage, autant de petits bijoux, racontent les Sept merveilles du monde, et le huitième, la merveille pensée, voulue, par ces créateurs de talent ». Une salle comme une invitation à la fierté d’être méditerranéen.
« Le sommeil de la raison produit des monstres »
Thierry Fabre, commissaire général et Anissa Bouayed commissaire associée, invitent à la découverte de l’exposition temporaire, présenté jusqu’au 6 janvier 2014 : « Le noir et le bleu, un rêve méditerranéen ». Dès l’entrée, un tableau, « Le Bleu II de Miro », « l’idée de cette exposition et son titre sont nés de cette œuvre », explique Thierry Fabre. Le bleu, la lumière, c’est Goya, enfant des lumières, ayant foi dans la raison, le progrès et qui a voulu montrer l’envers du décor, les désastres de la guerre. C’est Goya qui prédit : « Le sommeil de la raison produit des monstres ».
Anissa Bouayed a trouvé les œuvres au musée de Castres « On trouve de véritables trésors dans les musées français ». Le bleu est là : « Il semble que ce soit dans cette obstination à rêver que chaque civilisation trouve sa direction ».
Thierry Fabre prévient : « Nous n’avons pas voulu une exposition historique mais une exposition inscrite dans le temps. Et nous avons chercher à aller de l’autre côté du miroir, à voir comment l’on pense la Méditerranée sur l’autre rive. Le rêve méditerranéen a, en effet, été longtemps un rêve unilatéral, celui d’artistes, de conquérants et de voyageurs venus d’une seule rive, européenne, qui s’accomplit à travers un projet de civilisation. Mais quels furent, dans le même temps, le ou les rêves de l’autre rive ? ».
Le premier temps nous propose un tour dans la Méditerranée du XVIIIe siècle. Anissa Bouayed met l’accent sur un tableau montrant des diplomates : « Certes, il y a eu des conflits en Méditerranée, mais il y a eu aussi des échanges, de la diplomatie ».
Deuxième temps, « Conquête et civilisation », on part de Napoléon pour en venir au rêve méditerranéen des Saint-Simoniens. « Ils sont illuminés mais ce sont aussi des scientifiques, des mathématiciens, ils sont les premiers à penser le canal de Suez ». Vient la conquête de l’Algérie, montrée dans sa brutalité à travers le regard plein d’intelligence, pétri d’humanisme, d’Abd el Kader.
Arrive le mythe de la Grèce blanche qui nourrira les totalitarismes. Jusqu’à l’abomination, en témoigne des extraits du film Les Dieux du Stade « et qui nous rappelle que l’esthétique a à voir avec la politique », note Thierry Fabre. Le quatrième moment est celui de la villégiature, d’une mer qui, enfin, ne fait plus peur. Le temps du cosmopolitisme décliné en trois villes : Beyrouth, Alexandrie et Istanbul.
« Arrive le temps du minotaure figure du tragique, alors que la guerre civile éclate en Espagne »
Le XIXe voit la Méditerranée comme un monde commun, « mais ce rêve est-il partagé lorsque l’on sait que le Sud est en grande partie colonisé ? ». C’est l’époque de Garcia Lorca, Manuel de Falla, de Masson, Picasso, Miro « mais arrive le temps du minotaure figure du tragique, alors que la guerre civile éclate en Espagne », avance Anissa Bouayed . L’heure arrive de la Méditerranée des années noires, à travers Beyrouth, Alger, Jérusalem, Sarajevo. L’Europe est en paix, on meurt en Méditerranée. « La mort Méditerranée », pour un artiste qui rappelle que plus de 3 000 personnes meurent chaque année en traversant la Méditerranée. Avant, espoir, une table, en forme de cette mer si dense en vie, avec des sièges, une mer où tous auraient leur place, dialogueraient « tant qu’on se parle on ne se tue pas », souligne Thierry Fabre, citant Pasolini.
Comment avoir un musée des civilisations, musée en Méditerranée, sans aborder la question de la Femme, plus largement celle du genre ? La question est abordée de front. Mais un écueil alors menace, stigmatiser la rive sud, écueil évité, tout le monde en prend pour son grade et cela est parfois extrêmement drôle comme la photo de Pilar Albarracin, en toréador, cocote-minute à la main.
« Notre idée a été de parler du contemporain à nos contemporains »
Denis Chevallier, le commissaire général, explique : « être un homme ou une femme en Méditerranée n’est pas la même chose en fonction des pays, mais il y a aussi des éléments que l’on retrouvent partout : l’honneur, la virginité, l’homophobie. Et notre idée a été de parler du contemporain à nos contemporains ».
Les sections se suivent, au nom évocateur : « Mon ventre m’appartient », « les chemins de l’égalité », « LGBT Vivre sa différence », « Mon prince viendra » et, enfin « chacun son genre ». « Sont ainsi questionnées les différentes façons dont les normes du genre qui touchent aux fondements mêmes du fonctionnement des sociétés, se confrontent aujourd’hui à une multiplicité de modèles diffusés à des échelles de plus en plus larges. Cette approche du genre et de la sexualité inscrite dans des sociétés méditerranéennes, en profondes mutations, sera pour le visiteur l’occasion de s’ouvrir à un questionnement sur le jeu des identités individuelles et des appartenances culturelles ».
On se retrouve sur le toit du Mucem, ici œuvre Gérald Passédat, puis direction le Fort Saint-Jean, qui présente des collections héritées du Musée national des Arts et des Traditions Populaires.
On sort la tête pleine de réponses, de questions, différent, avec une envie de retourner au Mucem. On quitte le travail de Riciotti au Mucem, celui de Roland Carta au Fort Saint-Jean, direction le Centre de conservation et de ressources réalisé par Corinne Vezzoni à la Belle-de-Mai.
Michel CAIRE
Projet gouvernemental porté par le ministère de la Culture et de la Communication, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), premier grand musée national consacré aux civilisations de Méditerranée pour le XXIe siècle, ouvre grand ses portes à Marseille le 7 juin 2013 ! À cette occasion, l’accès à l’ensemble des expositions inaugurales est gratuit et les horaires de visites étendus de 9h à 22h. Pour lancer la programmation artistique du Mucem, un grand concert gratuit et ouvert au grand public est également proposé sur l’esplanade du J4, le vendredi 7 juin à partir de 22h. Ce spectacle est une création conçue par le Khoury Project, avec de prestigieux invités, tels que la chanteuse andalouse Estrella Morente.