Marseille. Michel Villeneuve géologue : «Pourquoi il ne faut pas réenfouir la Carrière antique de la Corderie»

Selon le géologue Michel Villeneuve, l’enfouissement de vestiges archéologiques est dans la plupart des cas utilisé pour protéger les roches constituant ces vestiges de l’effet corrosif des phénomènes météorologiques. Dans le cas de la carrière antique de la Corderie cela serait une erreur magistrale…

Le site archéologique de la Corderie ©Destimed/RP
Le site archéologique de la Corderie ©Destimed/RP

La roche de la carrière antique

La roche qui a servi à faire des sarcophages est un calcaire gréseux mal consolidé, donc friable. C’est la raison pour laquelle il se débite facilement. Le lien entre les grains siliceux se fait par un dépôt d’une pellicule calcitique entre ces grains. Ce liant calcaire n’est pas très compact si bien que l’eau peut circuler entre les grains et dissoudre la pellicule calcaire. Si cette pellicule calcaire est dissoute la roche se désagrège et les grains de quartz n’étant plus liés ensemble donneront du sable. C’est donc l’eau le principal ennemie de cette roche.

La constitution géologique de la carrière

La coupe géologique ci-après montre que  la roche utilisée dans la carrière correspond a un affleurement de quelques 7 mètres de puissance limitée à l’Est par une faille et reposant sur une formation argileuse imperméable. Donc l’eau météorique qui se déversera sur la carrière sera bloquée en profondeur au niveau de la couche d’argile.

 

Destimed Carriere
Figure 1 : coupe géologique schématique du site de la carrière de la Corderie, à Marseille

Sa conservation ancienne

La carrière a survécu à son enfouissement ancien, voire antique, car les eaux de pluies qui circulaient en profondeur au niveau des argiles s’écoulaient normalement vers le « Vieux-Port » sous la chaussée de la Corderie. Donc il n’y avait pas de réel obstacle à la circulation des eaux en profondeur.

Sa conservation future

Il n’en va pas de même dans la configuration actuelle. L’eau qui traverse les grès calcaires de la carrière et s’accumulent au niveau de la couche d’argile est bloquée par la construction des immeubles et du mur Nord de la carrière. Cette eau stagne et n’a d’autre solution que de percoler à travers les grès, ce qui favorise la dissolution de la pellicule de calcaire qui lie les grains entre eux. Cette eau qui devrait finalement s’évaporer en surface et n’agir qu’en période de pluie sera confinée dans les grès de la carrière par le film plastique qui est prévu entre la carrière et son remblai superficiel. Donc, cette eau météorique ne pourra pas atteindre la surface pour s’évaporer.  L’argument avancé, par les partisans de l’enfouissement, qui est de préserver la roche de méfaits du gel lequel peut faire éclater la roche, n’est pas non plus très convaincant. N’étant pas dans une région ou le gel est prédominant, ce risque est très limité.

Que faire pour sauver la carrière ?

Si le but du réenfouissement est de se débarrasser d’un problème encombrant, il faut enfouir la carrière dans les conditions prévues pour ne plus jamais l’exhumer. Si au contraire on veut réenfouir cette carrière  pour l’exhumer ensuite dans son état actuel et non sous forme de « bac à sable » il faut prendre des précautions. La première des ces précautions est de veiller à ce que l’eau n’entre pas dans la carrière ou qu’elle puisse s’évacuer rapidement. Pour cela il faut :

  • Placer un toit au dessus de la carrière avec un ou deux mètres d’espace au dessus de la carrière pour laisser circuler l’air entre la carrière et le toit afin de faciliter l’évaporation de cette eau.
  • Placer des drains au contact entre la carrière et la couche d’argile pour laisser circuler l’eau en profondeur.

Même si la carrière doit être réenfouie pour des considérations politiques ou économiques, il ne faut pas placer de film plastique étanche entre les roches de la carrière et la terre de remblaiement.

En conclusion

Si l’on veut sauver la roche qui constitue la carrière antique, il faut éviter qu’elle entre en contact prolongé avec son pire ennemie: l’eau.

 

Michel Villeneuve est Directeur honoraire au CNRS, coordinateur de la carte géologique « Aubagne-Marseille»(2019). Collaborateur du rapport de l’Inrap sur la carrière de la Corderie (2019)

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