Publié le 29 novembre 2019 à 21h47 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h27
Dans la nuit de jeudi à vendredi, j’ai regardé la lune à travers le trou de la serrure avant de partir chasser le Snark dans la nuit… Une clochette à la main. Effets secondaires d’un spectacle musical ? Retour en enfance ? Ou rêve, tout simplement ? Les trois ai-je confié à ma reine de cœur qui voulait me couper la tête ! La faute à Macha Makeïeff et à ses yeux fascinants d’intensité qui ont croisé un jour le regard de Lewis Caroll. Il faut toujours faire attention à ses fréquentations. Mais lorsqu’elles aboutissent à pareille création, il faut les laisser s’épanouir. Avec «Lewis versus Alice», l’auteure et metteure en scène directrice de La Criée ouvre grand les portes de l’imaginaire. De son imaginaire et de sa propre enfance car sans vécu aurait-il pu y avoir autant de perfection nichée au cœur de ce spectacle. Et si nous vivons là près de deux heures de pur bonheur, ce sont aussi deux heures de questionnement et de réflexion qui nous sont proposées. A commencer par ce dialogue un tantinet schizophrène entre le dandy poète du non sens, Lewis et le mathématicien rigoureux qu’est Charles. Les deux ne font qu’un et, par la magie du théâtre, se retrouvent face à face. C’est l’âme même de cet être qui est mise à nu devant nous. Charles meurt dès les premières minutes de la pièce, laissant le champ libre à Lewis, mais son fantôme et ses affres perdurent. En regard de ces questionnements, il y a Alice, l’enfant de moins en moins innocente alors que le temps s’écoule. Tantôt ingénue, elle pose un regard détaché et rêveur sur ce monde étrange qui l’entoure ; tantôt moins juvénile, elle appréhende avec effroi le monde des adultes auquel elle ne veut pas appartenir tout en ayant conscience qu’elle y arrive petit à petit. A l’image de Charles et Lewis, le dédoublement de personnalité est aussi perceptible chez Alice. En anglais et en français, Macha Makeïeff ouvre grand des portes qui questionnent mais qui laissent aussi sa part première et primordiale au rêve. Pourrait-on vivre sans rêve(s) ? Cet univers totalement surréaliste, la metteure en scène, qui signe aussi les costumes et les décors issus en droite ligne de son imaginaire, le fait vivre avec une grande rigueur, beaucoup de justesse et d’émotion. Il n’y a pas une once de trivialité dans ce travail mais beaucoup de poésie et de dynamisme. Et dans la mise en place idéale de cet univers fantasmé, Macha Makeïeff a la chance de travailler avec Jean Bellorini qui signe ici des lumières extraordinaires au sens propre du terme et Sébastien Trouvé auteur d’une bande son idéale. Puis il y a une troupe totalement, et génialement, investie dans cette production. Geoffrey Carey, Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Clément Griffault, Jan Peters, Geoffroy Rondeau et l’immensément talentueuse Rosemary Standley, servent à la perfection l’esprit et la lettre du spectacle. Avec une mention spéciale pour Clément Griffault qui assure sans faillir jeu scénique et jeu pianistique. Avec «Lewis versus Alice», une fois de plus, Macha Makeïeff nous promène sur ses chemins de vie et de rêves stimulant notre imaginaire et réveillant notre capacité à regarder le monde, et la lune, à travers le trou de la serrure…
Michel EGEA
Pratique. «Lewis versus Alice» jusqu’au 7 décembre au Théâtre National de La Criée. Réservations au 04 91 54 70 54 ou theatre-lacriee.com
Autour du spectacle
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