Publié le 30 décembre 2018 à 9h15 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 20h43
Raconter La Tempête de Shakespeare en une heure de temps ! Voilà une gageure à laquelle s’est employée la metteuse en scène Irina Brook, dans un spectacle drôle, échevelé, coloré et qui malgré son aspect commedia dell’arte ne trahit nullement l’esprit de cette pièce fleuve. De mer et de vent devrait-on dire, où se distille un parfum de révolte, de vendetta, là où un navire s’est échoué avec à son bord le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi qu’Antonio, le frère parjure de Prospero, le duc de Milan. Dès le début de la pièce, telle que l’adapte ici Irina Brook un climat de rébellion est à son apogée sur l’île déserte, lieu d’exil depuis vingt ans du magicien Prospero. Les sujets de ce petit royaume sont au bord de la révolution, malgré les musiques italiennes pleines de gaieté et les tours de magie. La jeune Miranda s’ennuie à mourir et rêve d’amour. Caliban, monstre de l’île et esclave, ne supporte plus les tortures quotidiennes des gnomes malveillants envoyés par son maître. Ariel, esprit de l’air et serviteur dévoué, attend avec fébrilité la fin de son contrat. Tous rêvent de liberté. Et Prospero rêve de vengeance. Mais le pardon vient transformer tout ce petit monde. Sur un air de mandoline et une ambiance de film italien, on se retrouve finalement envahi par une émotion profonde. Des recettes il y en aura beaucoup, pas seulement dans des fioles de produits pétrifiant sur place ou faisant disparaître, mais dans les assiettes des protagonistes accueillis comme dans un restaurant. «Quand j’ai monté la pièce pour la première fois en 2010, Renato Giuliani, acteur passionné de potions magiques et de cuisine, s’est imposé comme Prospero», explique la metteuse en scène fille de Peter Brook. «J’ai cherché des parallèles avec notre réalité pour rendre l’histoire plus claire. Le royaume de Prospero est devenu un grand restaurant napolitain. J’imaginais une cuisine en bord de mer avec deux serveurs italiens en train de fumer des cigarettes sur la plage, Miranda en lunettes noires de starlette. C’est alors que je suis tombée sur de sublimes musiques de mandoline, du lounge italien des années cinquante… Des images de Fellini me passaient par la tête, ce qui était une évidence car l’Italie est très présente chez Shakespeare. Roméo et Juliette se passe à Vérone, La Tempête évoque Naples et Milan… ». Belle idée relayée par les acteurs de la bande des Éclaireurs tant choyée par Irina Brook. Kevin Ferdjani, dans les rôles de Ferdinand et Trinculo, Issam Kadichi, bondissant Caliban, Irene Reva, pétillante Miranda, Marjory Gesbert, en Ariel, rejoignent Renato Guiliani dans une sarabande de danse, de sons, de gaité, et de poésie. On se déguise, un coq fait entendre sa lourde voix, on chante Sole Mio, on y cuit des pâtes à l’huile, on y voit un dressing portant des habits de fête, on y nettoie des moules, on se fabrique des crèmes de beauté avec les plantes du jardin, on s’écrit des poèmes, et on y laisse passer les sonates de la vie. Le tout dans une sarabande de mots traduits de Shakespeare en compagnie des comédiens eux-mêmes. Une fête théâtrale d’une intelligence inouïe.
Jean-Rémi BARLAND