Publié le 27 juin 2019 à 22h01 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 11h59
Parmi toutes les particularités de Dominique Bluzet, le patron du Gymnase de Marseille, du GTP, des Bernardines, et du Jeu de Paume d’Aix, il y en a une peu connue ou pas connue du tout: Dominique Bluzet s’est fait tatouer près de la clavicule « la fée Clochette »…. Et cela il l’a raconté un jour au dramaturge Fabrice Melquiot qui s’est tout de suite emparé de l’information (c’est bien connu les écrivains caftent toujours quand on leur fait des confidences susceptibles de nourrir leur imagination), pour la glisser dans sa pièce « J’ai pris mon père sur mes épaules » qui vient d’être donnée au Gymnase de Marseille. Là même où l’on put voir « Marcia Hesse » et « Centaures, quand nous étions enfants… » deux chefs d’œuvre de ce grand prosateur français. Pour une scène drôle d’ailleurs où Vincent Garanger dans le rôle de Grinch montre le tatouage dont nous avons parlé à Philippe Torreton (impressionnant et poignant dans la peau de Roch). Anecdote amusante au demeurant, tous les acteurs de la pièce ont voulu que Dominique Bluzet montre « sa fée Clochette », à l’ensemble de la troupe. D’autres moments drôles on en trouva dans la pièce de Melquiot qui demeure néanmoins bouleversante de bout en bout. Près de trois heures d’un spectacle hors normes, qui mêlant d’innombrables thèmes (la paternité, la fraternité, le don de soi, les liens des différentes communautés dans les banlieues, la maladie, la mort, les attentats du Bataclan, le destin hors normes du footballeur de l’AS Saint-Etienne Rachid Mekhloufi, qui porta le maillot de l’équipe de France, et qui essaya de promouvoir pacifiquement depuis la Tunisie la création d’un état indépendant algérien), secoue le spectateur, le fait réfléchir, l’emmène dans un périple qui n’est autre que la version moderne de L’Enéide de Virgile. Enée incarné par le Marseillais Maurin Ollès (exceptionnel acteur déjà vu dans « Au plus fort de l’orage » donné dans le cadre du Festival d’art lyrique d’Aix puis au Bois de l’Aune d’Aix dans « L’Amérique » de Serge Kribus mis en scène par l’Aixois Paul Pascot), emmène son père Roch atteint d’un cancer faire son dernier voyage. En auto-stop. Direction le Portugal. Avec arrêts sur douleurs, souvenirs d’enfance, et soirée d’adieux lors d’une fête mémorable en direction de tout l’entourage. Le duo que Maurin Ollès forme avec Philippe Torreton est un grand moment artistique. Ces deux excellents à faire respirer les mots, mais également les silences entre les non-dits. C’est beau, c’est grand, c’est noble, et on le doit au jeu, à l’écriture et au regard rempli de résilience qu’Arnaud Meunier pose sur les personnages. Subtile, à plusieurs niveaux d’analyse, sa mise en scène qui ayant installé un décor à étages, introduit son regard stylo à l’intérieur des différents appartements jouxtant celui de Roch-Enée. La présence de Rachida Brakni, évidemment divine, et des autres comédiens, renforce la puissance évocatrice du récit. Ce mélodrame épique qui se déroule dans une cité d’aujourd’hui abandonnée par les dieux, cette descente aux enfers sans ticket de retour, portent la griffe de Fabrice Melquiot (texte de la pièce disponible à L’Arche), auteur s’intéressant aux histoires de familles et de racines. Pour preuve « Ma Colombine » ce monologue que l’on pourra voir en Avignon tout le mois de juillet.
Chant d’amour à la Colombie interprété par Omar Porras
Ma Colombine dont le texte est publié à l’Avant-scène Théâtre est un solo écrit par Fabrice Melquiot pour Omar Porras inspiré de l’histoire de ce dernier, de la Colombie qu’il garde enfouie en lui, de bribes de vie cueillies depuis l’enfance… Omar Porras, qui est ici la source d’inspiration de l’auteur, est également metteur en scène et poly-interprète de cette création. Fabrice Melquiot directeur du Théâtre Am Stram Gram à Genève entre en conversation régulière avec Omar Porras dont l’ancrage sur le territoire suisse romand est déjà ancien. Puis a eu lieu un voyage en Colombie en 2017, sur les hauteurs de la Cordillère des Andes et jusqu’aux paradis engouffrés dans la guerre… Une merveille, où en clown poétique en rêveur impénitent Omar Porras raconte en filigrane son propre destin. Celui d’un dramaturge aux influences pluriculturelles, qui s’est imposé dans le monde entier comme un artiste du corps, et dont les personnages qu’il met en scène sont en général masqués.
Philippe Torreton à La Criée dans « La vie de Galilée » de Brecht.
Après le Gymnase de Marseille donc où il s’imposa ces dernières années dans « Le limier » avec Weber, « J’ai pris mon père sur mes épaules« , et « La résistible ascension d’Arturo Ui« , dans la mise en scène de Dominique Pitoiset, (c’était du 7 au 11 février 2017), Philippe Torreton retrouvera un texte de Brecht. « La vie de Galilée » plus précisément du 5 au 7 novembre à La Criée dans une traduction d’Eloi Recoing et une mise en scène de Claudia Stavisky. (Texte disponible à L’Arche). L’auteur y raconte le vertige d’un monde qui voit subitement son ordre voler en éclats. Claudia Stavisky, la directrice des Célestins de Lyon signe ici un grand spectacle de troupe, à la poésie sensuelle, organique, qui résonne comme un hymne à la vie. Et l’histoire… me direz-vous. Elle est flamboyante: Cela aurait dû être un jour comme les autres, mais ce jour-là, dans les premières années du XVIIe, Galilée (1564-1642) braque une lunette astronomique vers le ciel et confirme l’hypothèse avancée avant lui par Copernic : la Terre n’est pas au centre de l’univers. Cette affirmation fait exploser l’ordre qui prévalait depuis des siècles. Le ciel se retrouve soudainement vide. Mais où est donc passé Dieu ? Délogé des sphères célestes… ? Dans La Vie de Galilée, Bertolt Brecht éclaire le vertige d’une humanité qui doit, du jour au lendemain, changer de repères. Et pour le rôle du célèbre savant, Claudia Stavisky a choisi Philippe Torreton. Entouré d’une dizaine d’interprètes (qui incarnent plus de quarante personnages), le grand comédien s’élance avec éclat et appétit dans cette fable entre raison et imagination. Un grand moment et un choc culturel et théâtral.
Jean-Rémi BARLAND
« J’ai pris mon père sur mes épaules » de Fabrice Melquiot. (Ed. de l’Arche, 153 pages, 15 €) « Ma Colombine » de Fabrice Melquiot (texte disponible à L’Avant-scène Théâtre N° 1460, 78 pages, 14 €), du 5 au 28 juillet à 11h40 au 11 • Gilgamesh Belleville • 11, boulevard Raspail 84 000 Avignon • 04 90 89 82 63 • contact@11avignon.com – « La vie de Galilée » de Brecht avec Philippe Torreton. Mise en scène de Claudia Stavisky. A La Criée du 5 au 7 novembre. (Texte disponible à l’Arche 140 pages, 11 €)