Publié le 15 février 2020 à 10h13 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 9h47
C’est une pièce sur l’absence. Une pièce sur la littérature, la Révolution, l’amour, l’engagement violent. C’est l’histoire d’une rencontre entre Charlie Bauer et Renée, une jeune professeur de français éprise de liberté et qui n’a pas sa langue dans la poche. Aussi échangeront-ils beaucoup de lettres toutes imaginées par l’auteur, (c’est une pièce essentiellement d’expression épistolaire), mais pour cause, puisque Charlie Bauer passera plus de vingt ans en prison, pour vol en bande organisée, dérobant aux riches ce qu’il redistribue aux pauvres. Communiste issu des quartiers populaires de Marseille, Charlie Bauer passa des années en quartier de haute sécurité, s’évadera, sera rattrapé, et enfermé à nouveau. Alain Guyard dans ce qui est une hagiographie intitulée «Charlie Bauer est amoureux» rend son héros romantico-violent plus présent que jamais. Renée sa femme accompagne ici sa mémoire et son combat (elle est pour sa part toujours vivante), avec des interventions sémantiques d’une grande finesse qui condamnent la radicalité du combat armé. Préfigurant ce cri déchirant d’une femme qui exprime l’idée qu’elle sera seule et toujours seule et encore seule de part l’incarcération de son époux demeure sans doute la partie de la pièce la plus émouvante de l’œuvre. Éloge de l’art de la fugue puisque malheureusement il n’est pas de science de la révolte, «Charlie Bauer» décrit également le parcours d’un détenu qui se battra pour obtenir des diplômes universitaires en prison (doctorat d’anthropologie), et s’habillera de conscience dialectique pour appréhender la réalité du monde. Sur scène Hervé Fassy, en Charlie Bauer, et Laurence Preve dans la peau de Renée, nous touchent pour la fluidité de leur jeu et la complémentarité de leur interprétation. Une mise en scène elliptique de Dominique Fataccioli, qui ne surligne pas les propos des protagonistes avec un ensemble de lumières et d’ombres, «Charlie Bauer est amoureux» donnée au Toursky dans une salle archicomble, est une réussite un peu trop hagiographique, complaisante par moments, mais très honnête. Et qui, sincère, invente quand il s’agit de recréer le monde que Charlie Bauer rêvait de changer et qu’il n’a pu que subir et se voir englouti par sa rationalité.
Jean-Rémi BARLAND
« Charlie Bauer est amoureux», par Alain Guyard. Éditions Camino Verde 46 pages, 10 €