Publié le 7 novembre 2019 à 18h20 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h24
Écrite entre 1938 et 1939 par Bertold Brecht durant son exil au Danemark «La vie de Galilée» est une œuvre majeure du répertoire contemporain. C’est à l’époque de son écriture que les journaux ont annoncé la nouvelle de la fission de l’atome d’uranium par le physicien Otto Hahn et ses collaborateurs. C’est à partir de cette version «danoise» que Brecht établit une version anglaise, et, ce, avec la collaboration de Charles Laughton qui joua la pièce aux États-Unis. Puis une version berlinoise fut créée et un premier texte français parut en 1955. Quelques temps après une autre traduction signée Eloi Recoing vit le jour. Remarquable de limpidité et de profondeur, et publiée aux éditions de l’Arche, elle donna naissance à la représentation de la pièce à la Comédie-Française dont la première eut lieu le 24 mars 1990 dans une mise en scène très élaborée d’Antoine Vitez. C’est Roland Bertin qui incarna le rôle titre, avec, à ses côtés, François Beaulieu, Marcel Bozonnet, Jacques Sereys, Valérie Dréville, Michel Favory ou encore Redjep Mitrovitsa. Changement de décors, mais pas d’état d’esprit, avec le travail remarquable de Claudia Stavisky qui à partir du texte français d’Eloi Recoing signe un spectacle puissant, dont les ramifications contemporaines, notamment celles concernant les dérèglements écologiques menaçant notre planète. Ayant confié le rôle de Galilée à Philippe Torreton, la metteuse en scène insiste sur le combat d’un homme pour la connaissance, la vérité, le droit de savoir. Ouvertement socratique son regard sur le texte est un manifeste pour la révolte contre les obscurantismes. Pour cela un décor dépouillé, avec au centre une table de travail, et des costumes plutôt modernes dans lesquels se déplacent des personnages opposant au dogme la force de la raison. Galilée affirmant que la terre tourne autour du soleil, (l’Inquisition a brûlé Giordano Bruno pour avoir défendu les thèses de Copernic en la matière), eut alors une idée de génie : braquer sa lunette astronomique vers les étoiles, apportant la preuve irréfutable de la rotation des planètes autour du soleil. Vision à courte vue contre lunettes de la vérité scientifique, «La vie de Galilée» est un régal d’intelligence dialectique. Philippe Torreton, grand habitué de Brecht (il avait joué Arturo Ui), possède un souffle, une force et une présence d’exception. A lui seul il porte sur ses épaules le projet, mais comme il n’est pas seul sur scène à être impressionnant, ce Galilée-là est proche de la perfection. Alexandre Carrière, Guy-Pierre Couleau, (metteur en scène de «La conférence des oiseaux»-, Michel Hermon -inoubliable interprète de Léo Ferré-, Benjamin Jungers -formidable dans «L’autre» de Zeller, et grande voix de livres audio, d’œuvres signées Olsen, Riggs ou Gavalda-, Marie Torreton, -fille de Philippe, qui a joué dans «Le jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet » de Koltès-, Maxime Coggio -fils de Roger Coggio et Fanny Cottençon-, Nanou Garcia -«Chanteclerc» d’Edmond Rostand-, pour ne citer qu’eux sont au diapason de ce qui demeure un formidable travail d’équipe. Se déroulant en partie dans le cabinet de travail du scientifique italien, l’action se trouve placée comme dans une intensité noire, comme si la metteuse en scène signalait par là la présence occulte du pouvoir sombre espionnant ses faits et gestes. Cela renforce la douleur du propos de Brecht, et appuie l’aspect crépusculaire de l’ensemble. Un grand moment de théâtre (très long plus de 2h30) qui ne manque ni de panache ni de portée politique.
Jean-Rémi BARLAND
«La vie de Galilée» de Bertold Brecht. Traduction d’Eloi Recoing aux Éditions de l’Arche. A La Criée ce soir encore à 20h. Réservations au 04 96 17 80 32 – Plus d’info
theatre-lacriee.com