Le Pavillon M, à Marseille, s’élève, le temps de l’année Capitale à côté de l’Hôtel de ville. Ici, on peut tout savoir sur la multitude de manifestations, admirer des expositions, prendre part à des débats animés avec beaucoup d’humanité: ceux de Cyril Brunet qui, riche de son vécu, fort de son travail, et, surtout, de son goût des autres, sait parfaitement faire ressortir des facettes méconnues de ses invités, qu’ils soient très célèbres, ou moins. Sans recherche de sensationnel, mais plutôt, tel un accoucheur d’âme.
Il faut dire que Cyril Brunet, la quarantaine naissante, a déjà eu, ou plutôt vit plusieurs vies. Enfant de Port-Saint-Louis, il a fait l’école hôtelière, écrit à Richard Bohringer, ce dernier acceptant de le rencontrer, nettoyé des toilettes pour se payer ses études, fait du cinéma, était animateur social, a rejoint l’équipe de la candidature de MP2013…
« La cuisine est une histoire de famille »
« La cuisine est une histoire de famille, c’est la raison qui me conduit au lycée hôtelier de Bonneveine. Au bout de cinq ans, je rejoins la SNCM d’abord comme garçon puis comme cuisinier. Et, lors de ma dernière année à l’école hôtelière j’avais écrit à Richard Bohringer pour lui dire à quel point j’étais sensible à son discours. Il m’invite sur un plateau, je découvre le monde du cinéma, une passion naît. Je suis quelques cours, échoue à l’entrée au conservatoire car j’ai déjà la voix cassée. Mais j’obtiens un tout petit rôle dans une série de l’été avec Mireille Darc et Pierre Vaneck. Je rencontre ensuite Serge Moati sur un autre tournage. Il me pousse à reprendre mes études, à apprendre le cinéma. Et c’est ainsi que je me trouve à la Faculté de Lettres d’Aix-en-Provence ».
Là, il va faire quelques émissions pour Radio Gazelle. « Je rencontre des gens du cinéma, Noiret, Marina Vlady, Jugnot. Je confesse que je lis peu, je fais autrement ma culture, par le biais de rencontres ».
Il propose d’interviewer des gens qu’il apprécie. Ils ont pour nom Jean-Claude Carrière, William Sheller, Philippe Léotard, ou encore Antoine Tudal auquel on doit Les chevaliers du ciel et qui n’était autre que le beau-fils de Nicolas de Staël. « Puis je rencontre un jeune homme, Djamel, un ancien toxicomane qui sort des Baumettes. Nous décidons avec Jérome Ivars de réaliser un documentaire pas sur, mais avec Djamel. Richard Bohringer vient nous aider. Il parlera pour la première et seule fois de son parcours de toxicomane. Le film marche. Moi, je suis toujours étudiant et je suis agent d’entretien à la Ville de Marseille pour me payer mes études. Ainsi, il peut m’arriver de rencontrer une star le dimanche et de faire les WC le mercredi, ce qui a une valeur curative certaine pour éviter de prendre la grosse tête, garder les idées bien en place.»
Toujours avec Jérôme Ivars et Stéphane Cherrier, un deuxième film T’as pas d’ami , voit le jour : « Nous partons à Minsk. En utilisant le prétexte de faire un film sur Chagall. En fait il s’agit pour nous de parler de la dictature du président Loukachenko. Nous nous faisons repérer et nous devons nous échapper. Le film arrivera en France grâce à la valise diplomatique ».
« L’interview d’artistes, une autre façon d’apprendre »
Retour à Marseille : « Je fais toujours les chiottes. Nous sommes en 2000. C’est alors que Garo Hovsepian, à qui je dois beaucoup, me propose de devenir directeur adjoint du Centre d’Animation de Frais Vallon. Avec Jean-Noël Ragueb, le directeur du centre, qui avait depuis longtemps commencé à mener une véritable action culturelle, j’essaie d’apporter des choses aux jeunes. Par ailleurs, je joue un petit rôle dans Taxi 3. Cela est tout sauf insignifiant car je passe différemment à Frais Vallon. Je joue au cinéma, j’explique que c’est parce que je suis allé à l’école. J’aime IAM, j’aime aussi Mozart. Expliquant cela nous arrivons à travailler les Fables de la Fontaine avec les enfants. Dans cette logique, nous serons invités au beach-soccer, on fera un titre de rap mais nous irons aussi voir de la danse contemporaine. Nous rencontrerons Jamel Debouzze et irons visiter le Corbusier. Je reste ainsi cinq ans. On bâtit le collectif « CITOY.et moi ». Dans le même temps, je prépare mon mémoire universitaire qui porte sur l’interview d’artistes, une autre façon d’apprendre ».
Une nouvelle rencontre va compter dans la vie de Cyril Brunet. « Philippe Campos veut me voir, il est responsable du projet Marseille-Provence 2013, projet alors peu connu. Il me dit avoir vu mon parcours : cuisinier, homme de ménage, acteur, animateur. Il me dit que c’est atypique avant de me proposer de rejoindre l’équipe qui se met en place. J’accepte volontiers ».
« Réussir c’est faire des choses en étant gentil avec les gens »
C’est alors qu’arrive à Marseille Bernard Latarjet : « Au départ je ne sais pas qui c’est. Je connais mieux le territoire que lui, j’entends lui faciliter les choses, un vrai plaisir. Il a la belle idée de me faire confiance lorsque je lui propose de mener la campagne pour l’obtention du titre de capitale européenne là où on ne nous attend pas. Ainsi, nous interviendrons dans un atelier participatif à la prison pour femmes, aux Baumettes, à la Maison de Gardanne. Mes 25 propositions sont retenues. Et je me souviendrai toujours d’une de ses réparties qui a sans doute compté dans le résultat final : Lorsque le jury lui a demandé ce que l’Europe pouvait apporter à Marseille il a rétorqué qu’il fallait se demander ce que Marseille pouvait apporter à l’Europe. Et, finalement Marseille-Provence obtient le label de capitale européenne de la culture. C’est là le terme de la première étape d’une aventure dans laquelle nous mettons beaucoup de nous. Et une nouvelle rencontre importante pour moi, avec Bernard Latarjet, un homme exigeant qui m’a fait grandir. Lorsqu’il te fait confiance tu te sens obligé de t’en montrer digne et je dois dire que je le considère comme un de mes repères ».
Ainsi Cyril Brunet trouve sa place « dans un monde qui n’était pas le mien à la base. Et mes diverses expériences me nourrissent, construisent mon action : offrir l’exigence culturelle à tous, c’est à dire ce que je faisais déjà à Frais-Vallon, c’est à dire ce que je vis tous les jours, chaque rencontre me nourrit. Et je suis aussi heureux de recevoir Soprano que le professeur Mencherini. En fait ce que j’aime c’est l’humain, c’est la rencontre. Je travaille longuement avec une belle équipe pour préparer mon interview quotidienne et j’aime cela, entrer dans un univers dont il m’arrive de tout ignorer ».
Et le samedi matin, un café, un croissant et il aime partir avec des personnes, tirées au sort, en colo, à la découverte d’un site tenu secret.
L’homme n’a certainement pas fini de se surprendre, nous surprendre avec une philosophie de vie qui mérite que l’on s’y arrête : « Réussir c’est faire des choses en étant gentil avec les gens ».
Michel CAIRE
Pavillon M