Dans le très riche programme du So good festival on a retenu trois interventions fortes sur les enjeux environnementaux : celles de Rob Hopkins, Patricia Ricard et Pierre Boissery.
Pari réussi pour le So Good Festival : réunir 6 500 personnes à la Friche la Belle de Mai pour un jour et une nuit de rires, de rencontres, de créativité, d’engagements, de fête et de musique autour des deux grands thèmes du Festival : l’éducation et la préservation des écosystèmes marins porté par les voix d’artistes, d’activistes et d’humoristes engagés. Le So good Festival incarne une nouvelle forme d’action collective et d’expérience au service de la transformation positive de la société. Jeunes, entreprises, associations… un événement qui s’est adressé à tous les acteurs du changement.
En matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de la biodiversité marine on notera tout particulièrement les interventions de Rob Hopkins, co-fondateur de Transition Network et de Transition Town Totnes. Il est également l’auteur de plusieurs livres tels que « Le Manuel de Transition » et plus récemment « Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? ». Ainsi que celles de Patricia Ricard, présidente de l’Institut Océanographique Paul Ricard depuis 2005 et engagée depuis plus de 30 ans pour la protection de l’environnement. Elle s’attache aujourd’hui à mettre en lumière le rôle essentiel de l’Océan dans notre réponse aux changements climatiques et à sensibiliser et mobiliser les populations et les décideurs politiques, et de Pierre Boissery, expert « eaux côtières et littoral méditerranéen » au sein de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée et Corse. Son activité professionnelle couvre l’animation générale de la politique de l’agence de l’eau sur la Méditerranée.
« On a besoin de s’opposer mais cela ne suffit pas »
Rob Hopkins invite à se projeter en 2030 : « Tout est construit pour le vélo sachant qu’un euro dépensé pour le vélo représente 38 euros d’économie en santé publique. Les grandes banques ont fait faillite, de plus en plus d’entreprises sont nationalisées, la consommation de viande a chuté de 80%… ». Puis d’évoquer un certain nombre de réalisations parmi lesquelles l’utilisation du bois pour construire des immeubles en lieu et place du ciment. Et de préciser : « Tout ceci n’est pas le fruit de mon imagination. Toutes ces expériences existent déjà à Grenoble, Madrid, Fribourg, Bologne ». S’il raconte cela, indique-t-il: « C’est parce que l’on a besoin de s’opposer mais cela ne suffit pas. Il faut aussi imaginer. Ce que l’on imagine pas ne verra pas le jour. D’ailleurs la municipalité de Bologne a créé le bureau civique de l’imagination.» Et lorsque, face à l’urgence, ne faudrait-il pas instaurer une dictature écologique ? Sa réponse fuse : « C’est une très mauvaise idée, comme toutes les dictatures. Si on prend mal les choses on va créer un monde zéro carbone qui sera invivable or, ce que nous voulons c’est créer un monde désirable ».
«Il faut donner du temps aux scientifiques »
Patricia Ricard évoque l’Institut Océanographique Paul Ricard installé sur l’ïle des Embiez : « C’est une Villa Médicis pour les chercheurs car il faut donner du temps aux scientifiques. Vous imaginez que ces derniers passent la plus grande partie de leur temps à chercher des financements. Quel gâchis!». Puis de revenir sur la genèse de ce projet : « En 1963 Paul Ricard et le docteur en biologie humaine Alain Bombard luttent contre les rejets de boues rouges en Méditerranée. Ils n’ont pas gagné mais ils ne se démobilisent pas et, en 1966, ils créent l’Institut océanographique Paul Ricard dans le but de faire connaître et protéger la mer ».
Ainsi, depuis plus de 50 ans, une équipe de scientifiques et chercheurs œuvre à la protection de la Méditerranée, mène des travaux sur la biologie marine et intervient sur des domaines tels que la préservation de la biodiversité, la restauration écologique, les suivis écologiques, l’aquaculture, l’étude d’espèces protégées ou menacées…Parmi les travaux conduits par l’Institut Patricia Ricard met en avant ceux concernant «le biomimétisme qui consiste à s’inspirer des propriétés essentielles (par exemple des formes, compositions, processus, interactions) d’un ou plusieurs systèmes biologiques, pour mettre au point des procédés et des organisations permettant un développement durable des sociétés. Par exemple aucun organisme marin n’a d’hélice au derrière. Hélice qui produise du bruit, qui entraîne des collisions. Et bien des start-up travaillent sur les mobilités ondulatoires. Il faut miser sur l’innovation». «Nous sommes également, poursuit-elle, sur la restauration écologique. Nous avons ainsi restauré l’herbier sous-marin du Brusc. Et il ne faut jamais oublier que le temps de la nature n’est pas celui de l’Homme : un mètre de posidonie c’est un siècle ».
«Il faut arrêter de dire que tout va mal»
Consciente des enjeux, des défis à relever Patricia Ricard tient dans le même temps à préciser: « Il faut arrêter de dire que tout va mal. Quand j’étais petite il n’y avait pas de stations d’épuration et quand j’allais à la mer je revenais avec du goudron aux pieds alors prenons en compte ce qui va un peu mieux, disons-nous que ce n’est pas foutu et continuons d’agir ». Pour cela elle en appelle à l’union : «Il faut des entreprises qui financent, des scientifiques, des ONG, la société, les collectivités territoriales… ».
« Si on veut agir correctement il faut connaître »
Pierre Boissery s’inscrit dans les propos de Patricia Ricard : « Il y a 40 ans Cousteau disait que dans 10 ans la Méditerranée serait morte. Scoop, elle est toujours vivante car on a bossé et mobilisé des moyens financiers et cela se traduit en nurseries artificielles, en hectares de posidonie sauvés… Alors, OK, il y a encore des problèmes mais si on travaille on aura des résultats ». Il précise immédiatement : «Si on veut agir correctement il faut connaître. Dans ce cadre nous avons développé des outils avec l’Université de Montpellier pour comprendre l’ADN sous-marin qui nous permettra de proposer des actions plus cohérentes aux politiques.» C’est Patricia Ricard qui conclura cette rencontre : «On nous apprend à être poli avec les personnes, il faudrait apprendre à l’être avec la nature et arrêtons de fabriquer des épuisettes pour les enfants. Tuer n’est pas jouer».
Michel CAIRE