Maria et Domenico Carpignano, inquiets, avaient supplié leur fille de quitter son appartement trois semaines avant le drame. Simona les avait rassurés « les experts disent que tout va bien, qu’il n’y a pas de danger ». Le 5 novembre 2018 l’immeuble s’effondrait, causant la mort de 8 personnes.
Des parents dignes
Les parents de Simona ont quitté leur région des Pouilles en Italie pour assister au procès. Ils vont rester les 6 semaines à Marseille. Tous les jours, ils mettent leur casque audio pour suivre la traduction des débats. Ce vendredi, ils sont à la barre pour retracer la vie de leur fille, décédée à l’âge de 30 ans. Depuis six ans ils n’ont pas manifesté leur colère. Sont restés dignes lors de toutes les commémorations rue d’Aubagne. Ils le sont aussi devant le tribunal. « C’est éprouvant, c’est épuisant même, de rester dignes depuis tout ce temps, confie Céline Lendo, leur avocate. Cela force le respect, ils font preuve de résilience. Aujourd’hui ils font des efforts supplémentaires pour rendre hommage à leur fille et pour avoir des réponses. On attend tous que des responsabilités soient tirées de ces événements-là ».
Le port d’une danseuse
Une photo de Simona est projetée dans l’enceinte du tribunal. Elle porte une robe à fleurs, ses cheveux, relevés en chignon, sont gominés. Son cou semble infini, elle a le port d’une danseuse, elle est souriante. Domenico résume sa fille avec deux mots italiens « « testada » et « sorriso ». Testada car elle était têtue, mais dans le bon sens du terme, et sorriso car elle avait toujours le sourire. On a continué de l’appeler « sourire » à Marseille . Simona prenait toujours en compte les autres, elle était très sociable. En quelques semaines tout le monde la connaissait rue d’Aubagne ».
« Un choc »
Lorsqu’ils ont vu dans quel quartier avait emménagé Simona, ses parents se sont inquiétés. « Nous avons été choqués, l’immeuble et le quartier ne correspondaient pas à la vision que nous avions d’un logement, même si l’intérieur était assez joli. L’entrée de l’immeuble était horrible, on aurait dit des toilettes publiques. La porte fermait mal. Il n’y avait pas de lumière dans l’escalier », retrace le père de Simona. « On lui a dit de déménager en février 2018 puis début octobre quand on est venus. Elle nous a répondu que cet immeuble avait connu la Révolution française… mais qu’elle partirait dès sa thèse terminée ». Malgré tout, à la mi-octobre Simona s’inquiète « des fissures qui apparaissent, des craquements, du mur gonflé dans l’entrée au rez-de-chaussée et de sa porte qui reste souvent coincée ». Elle alerte la propriétaire et le syndic, demande aussi à la voisine du dessus, au 4è étage, « de ne pas prendre de douche car l’eau coule par l’ampoule du plafond et c’est dangereux».
« Tu n’es pas une experte maman ! »
Le 18 octobre un arrêté de péril grave et imminent est pris pour le N°65 et les locataires sont évacués. Des travaux de soutènement sont effectués dans la journée et tout le monde est autorisé à regagner son logement vers 23 heures. Les parents de Simona s’inquiètent, lui demandent de quitter les lieux aussitôt. « On lui a fait un virement, ses grands-parents ont participé pour que l’affect joue à plein et qu’elle nous entende », confie sa mère Maria Carpignano. Mais si Simona est alertée par ses parents à 1500 km de distance, elle est pleinement rassurée par les travaux réalisés et les avis des experts. « Maman tu n’es pas une experte en bâtiment, les experts nous ont dit qu’on pouvait rester dans les lieux, qu’il n’y avait pas de danger, tu n’es pas une experte, ne m’angoisse pas s’il te plaît ». Pour Me Céline Lendo : « C’est ça qui est dur et la culpabilité elle ne doit pas être du côté des victimes ou de leurs proches parce qu’ils n’ont pas pris les mesures qu’ils auraient pu prendre. Non, la culpabilité elle est de l’autre côté de la barre, du côté de la défense. La question est de savoir pourquoi est-ce qu’il y avait encore des gens le jour de l’écroulement ? ».
« Ma fille a été trahie »
Maria Carpignano conclura son intervention à la barre par ses propos empreints d’une immense tristesse « Simona a été trahie dans les valeurs qu’elle défendait : la dignité et sa conviction qu’avec de la volonté et de la considération on peut aider les plus démunis. C’était quelqu’un de profondément sociable et altruiste ».
Le 5 novembre à 8h20 Simona envoie son texto quotidien à sa mère « tout est OK ». A 9h07 l’immeuble s’écroulait.
Des alertes multiples
Les proches des victimes ont tous le même sentiment : l’effondrement était évitable. Tous les locataires ont fait part à leurs proches de leurs inquiétudes. Léo Lavieille, le fils de Fabien, occupant du 4e étage côté rue évoque les appels de son père à sa grand-mère. « Il lui parlait de la porte bloquée de l’intérieur ou impossible à l’ouvrir quand il rentrait. De l’immeuble qui s’était déformé. Il payait son loyer comme tous les autres sans problème. Mes parents étaient artistes et j’ai perdu toute mon histoire dans cet effondrement ».
« Une 9e victime »
Paul Blanc évoque sa sœur Marie-Emmanuelle, locataire du 5e étage. Il parle d’une femme «très attentionnée envers les autres et qui s’est battue avec Simona pour que le syndic entende les problèmes que rencontraient les occupants ». Le tribunal diffuse alors les textos et les courriels envoyés. A une voisine, 5 jours avant le drame, elle demande: « Est-ce que tu serais là pour donner un coup de pied dans la porte, je n’arrive pas à sortir. J’ai l’impression d’être dans un piège ». A 2h40 le 5 novembre elle appelle les marins pompiers pour faire part de son inquiétude, « elle entend d’importants craquements dans l’immeuble ». Sa voix est posée, son interlocuteur se veut rassurant « un immeuble ça ne s’écroule pas comme ça ». Marie-Emmanuelle raccroche rassurée.
Paul Blanc estime qu’il y a eu 9 victimes dans l’effondrement de la rue d’Aubagne. Sa mère, qui a eu l’information du décès de sa fille par les médias en fin de matinée a fait un accident vasculo-cérébral vers 13heures. Elle est décédée dans la nuit.
Reportage Joël BARCY