Publié le 11 novembre 2021 à 18h48 - Dernière mise à jour le 2 novembre 2022 à 18h11
Yves-Marie Le Guilvinec… Ce nom résonne aujourd’hui à nos oreilles comme un reproche. Qui connaît encore ce nom ? Quelle place accorde-t-on à Yves-Marie Le Guilvinec dans les anthologies de poésie ou de chansons françaises ? Aucune.
Yves-Marie Le Guilvinec, disparu en mer à trente ans est un fantôme pour la littérature et la chanson : il n’existe pas. Mais, comme dit Rimbaud : «Il n’y a pas de hasards ou il n’y a que des hasards». C’est dans un vide-grenier à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) que François Morel, feuilletant de vieilles revues rongées par les embruns, découvrit une brochure de 1894 «La Cancalaise» dans laquelle douze chansons d’Yves-Marie Le Guilvinec étaient reproduites, illustrées par l’auteur. Ce fut comme la main du naufragé qui se tend vers son sauveteur.
François Morel acheta la revue et fit le serment d’arracher Yves-Marie Le Guilvinec à l’oubli océanique où il était tombé. Avec l’aide de Gérard Mordillat et d’Antoine Sahler, il entreprit de restaurer les textes, de les remettre en musique et surtout de les faire entendre à nouveau. Désormais Yves-Marie Le Guilvinec, ce serait François Morel. Il retrouverait un corps, une voix, une vie… C’est ainsi que l’écrivain Gérard Mordillat présente «Tous les marins sont des chanteurs», son projet littéraire et musical co-pensé avec François Morel et son complice musicien Antoine Sahler. Projet qui a donné naissance à un livre, un album de chansons et un spectacle qu’il nous a été donné de voir au Théâtre de l’Odéon à Marseille.
Sous la forme d’une conférence
C’est sous la forme d’une conférence avec au pupitre Romain Lemire que le parcours incroyable de ce marin-poète inconnu né en 1870 et mort le 10 novembre 1900 a été présenté. Sur scène François Morel, au chant, Antoine Sahler, (clavier, percussion, trompette, accordéon), Amos Math, (guitare, violoncelle, percussions), et Muriel Gastebois aux percussions, on y parle beaucoup de bateaux en mer, de grand large, de la préservation des océans qui ne sont pas des poubelles -un moment très citoyen fort émouvant- et, si on nous parle énormément de poissons disons que nos compères ont l’art de nous faire avaler… des couleuvres. Ce que l’on retiendra absolument abasourdis et au final hilares, c’est que le dénommé Le Guilvinec, présenta son «Avec le thon» où il écrivit : «avec le thon, oui tout est bon», qui nous dit-on inspira Léo Ferré pour sa chanson «Avec le temps». On sera surpris de savoir que ce même Guilvinec contribua indirectement à la promotion des pâtés de jambon de la marque Hénaff…
De titre en titre, (quatorze sur l’album, autant sur scène) François Morel, soutenu par ses collègues revisite avec entrain les textes soi-disant exhumés du passé, pour des interprétations irrésistibles. Le voir endosser les habits bretons de la mère d’Yves-Marie est un instant burlesque proche des Marx Brothers. Et c’est avec «Tous les marins sont des chanteurs» qu’il fait chanter toute la salle et que notre humoriste termine ce spectacle déjanté où apparaissent documents d’époque renseignements divers sur l’affaire Dreyfus, notre personnage et sur son entourage, avec au passage des photos de sa famille mais aussi de… Houellebecq et d’Ormesson. Comme quoi l’aspect soi-disant historique de la conférence-récital n’a rien à envier à l’imagination débridée de ses concepteurs…. Le Guilvinec existe donc puisque Mordillat, Morel, Sahler et consort l’ont croisé dans leur tête. Et ce, pour notre plus grand bonheur.
Jean-Rémi BARLAND
«Tous les marins sont des chanteurs » par François Morel, Antoine Sahler, et Gérard Mordillat, Livre chez Calmann-Lévy, 94 pages, 12,50 €. CD Litle Big Music ; Spectacle à l’Odéon le 11 novembre à 20h.