Publié le 26 novembre 2021 à 11h17 - Dernière mise à jour le 3 novembre 2022 à 8h55
«Une grande pièce est la combinaison parfaite entre fond et forme. J’aime la profondeur des sujets traités avec une absence de didactisme», Loïc Mobihan a une idée très précise des rôles qu’il endosse avec toujours le même enthousiasme. Et il dévoile sa passion pour le théâtre, la danse, l’opéra…
«Bon, vous avez attrapé la cochonnerie que je voulais pas que vous ayez. C’est une infection de cytomégalovirus. C’est ça qui provoque vos fièvres. J’ai pas encore les résultats du fond d’œil mais je peux vous annoncer qu’il va falloir vous hospitaliser rapidement pour une batterie d’examens plus conséquents. Biopsie, fibroscopie, coloscopie, avec anesthésie générale. Puis je voudrais qu’on vous regarde aussi les poumons. Votre puissance respiratoire. Ça sera violent mais rapide. Deux ou trois jours. Et puis selon les résultats on avisera. Je peux vous hospitaliser aujourd’hui. On doit pas traîner. Je vous donne une semaine. Pas plus. Après l’hospitalisation je risque de devoir vous passer à deux perfusions par jour pendant au moins deux semaines. (..) Je sais que vous en doutez mais malgré tout vous tenez le choc. La perte de poids n’est pas alarmante. Vos T4 sont très bas, mais votre corps est résistant. C’est un allié».
En une scène où il incarne un jeune médecin, sans doute un interne annonçant au personnage de Jacques joué par Pierre Deladonchamps qu’il a le sida, Loïc Mobihan impose son charisme d’acteur. Un sacré comédien d’ailleurs qui en moins de trois minutes rend sa présence face à la caméra inoubliable. David et Stéphane Foenkinos s’en sont également rendu compte eux qui lui ont confié dans leur film « Jalouse » (avec une Karine Viard tellurique), le rôle de Hugo, un élève de terminale. Ajoutons que toujours devant la caméra Loïc Mobihan est apparu dans les courts métrages suivants : « Le nouveau prince » réalisé par Benjamin Vu en en 2015, « En famille» de Jérôme Waquet (2016), et «Emmanuel» du même Benjamin Vu construit en 2020. S’il excelle à l’image, Loïc Mobihan né en 1993 a la passion des planches.
Un spectacle de marionnettes au Jardin du Luxembourg à l’âge de 4 ans
C’est à l’âge de quatre ans que pour lui tout a commencé. «Mon père m’avait emmené voir un spectacle de marionnettes au jardin du Luxembourg. J’ai été fasciné au point de dire partout que je voulais devenir marionnettiste. Je faisais des marionnettes tout le temps. Puis mes parents m’ont fait découvrir le théâtre. C’était pour aller voir au Palais Royal une adaptation des dix petits nègres d’Agatha Christie avec Roger Dumas, et Yves Gasc. Le fait d’assister à cette pièce dans ce lieu magique bardé de rouge, m’a donné l’idée de faire de la mise en scène. Plus tard j’ai rencontré Michel Fau qui m’a dit que pour cela il convenait de faire une formation d’acteur. Un metteur en scène qui ne sait pas ce que c’est que jouer possède moins de force dans son travail.» Loïc Mobihan qui a suivi des cours au Lycée Lamartine option théâtre à Paris, s’inscrit au Studio théâtre d’Asnières. Michel Fau toujours lui, l’engagea dans la pièce de Montherlant «Demain il fera jour» qu’il mit en scène et joua avec Léa Drucker. Incarnant le fils de Michel Fau, avec une justesse confondante, Loïc Mobihan endosse le rôle de cet adolescent tourmenté, involontaire objet des rancœurs et des désirs inassouvis de ses parents.
Avec Xavier Gallais comme professeur au CNSAD
Dans le même temps Loïc prépare le concours du Conservatoire et est reçu au CNSAD il a eu en troisième année Xavier Gallais, comme professeur. Ce même Xavier Gallais qu’il vient de retrouver sur la scène de La Criée dans le «Tartuffe» que Macha Makeïeff a mis en scène avec une inventivité folle. «C’est un enseignant exceptionnel d’humanité dont j’ai aimé le goût de la démesure», confie-t-il tandis qu’il se souvient qu’en 2016-2017 il avait déjà croisé Poquelin dans «Le silence de Molière» de Giovanni Macchia -mis en scène de Marc Paquien et joué au Théâtre de la Tempête et en tournée.
Ce metteur en scène Loïc Mobihan avait déjà travaillé avec lui sur «Les voisins» de Michel Vinaver. «Cette pièce que j’aime beaucoup parle d’une classe moyenne, de gens modestes, et qui poétise le quotidien, en donnant de l’intérêt au banal.» Incarnant Damis, le fils d’Orgon, dans le «Tartuffe» il donne à son personnage débarrassé de la fadeur dont on l’affuble ordinairement, une densité dramatique aussi inattendue que réjouissante. Il est comme ses camarades tantôt puissant félin, tantôt romantique fragile, et force l’adhésion à chaque minute de sa présence sur scène.
Précisons que Loïc Mobihan connaît parfaitement cette pièce puisqu’il l’a déjà jouée sous la direction de Peter Stein, où il était Valère, aux côtés de Pierre Arditi (Tartuffe), Jacques Weber (Orgon), et Félicien Juttner (Damis) qui jouera prochainement Lindoro à La Criée dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz. «Valère, explique Loïc Mobihan, est encore un peu immature dans son rapport à l’amour, ce qui ne lui permet pas d’entendre la douleur de Mariane. Son sentiment d’être délaissé pour Tartuffe prend le pas et provoque un malentendu absurde, où derrière le sarcasme et l’ironie, se dévoile la fragilité et sa candeur.» Au dernier acte, ajoute-t-il: «C’est grâce à Valère qu’Orgon est allé le dénoncer au roi. Dans un élan généreux et sincère, le jeune homme propose au maître de maison d’accompagner sa fuite».
Loïc Mobihan a une idée très précise des rôles qu’il endosse avec toujours le même enthousiasme. «Une grande pièce est la combinaison parfaite entre fond et forme. J’aime la profondeur des sujets traités avec une absence de didactisme.». Quant à définir un grand metteur en scène, le comédien cite Barrault, Planchon, Georgio Strehler, Terzieff, Macha Makeïeff «magicienne du théâtre» et Peter Stein qui lui a aussi proposé de jouer Tchekhov dans une réunion de trois courtes pièces, à savoir Le chant du cygne, Les méfaits du tabac, et La demande en mariage . «Le corps a dans cette pièce une grande importance et de le célébrer comme Stein nous l’a demandé, c’est une manière de revenir sans cesse au présent de la représentation».
Passionné de danse et d’opéra
Ayant beaucoup travaillé sur le rapport qu’un comédien entretient avec le texte, comme ce fut le cas avec les mots de Novarina, ou La place royale de Corneille dans la mise en scène de Claudia Stavisky, Loïc Mobihan a pu avec Peter Stein travailler sur le corps autant que sur l’esprit. Citant Claudel : «Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance», Loïc Mobihan avoue être fou de danse, au point d’en avoir fait dès ses débuts à l’école d’Asnières. «J’ai compris ce que c’était de prendre conscience de son corps, après avoir vu de la danse à Chaillot, à Garnier, en regardant les ballets de Noureev. Le rapport au corps et à la voix je l’ai appréhendé avec mon amour de l’opéra». De Don Carlos de Verdi son opéra préféré aux grandes œuvres de Wagner, en passant par Eugène Onéguine ou encore le Dialogue des Carmélites de Poulenc dans la mise en scène de Olivier Py, avec au pupitre Jérémie Rohrer, chef en résidence au GTP d’Aix-en-Provence, Loïc Mobihan admire les plongées que l’on fait dans les mouvements du corps lorsqu’on chante un grand rôle.
Metteur en scène lui-même
Aussi n’est-on pas surpris de découvrir combien Loïc Mobihan qui rêve de monter des opéras, s’est essayé avec succès à la mise en scène de théâtre. Avec la pièce «Léonce et Léna» de Georg Büchner où on trouve de jeunes comédiens entourés de Jean-Pierre Muel et Marc Susini. «Dans un royaume imaginaire, le prince Léonce se morfond. Convaincu que l’ennui est à l’origine toutes les actions humaines, il ne parvient pas à se prendre au sérieux. Apparaît Valério, un vagabond dont l’oisiveté s’assume de façon libre et décomplexée. Alors qu’on annonce le mariage imminent du jeune prince avec la princesse Léna, qu’il n’a jamais vu, les deux acolytes s’enfuient pour rejoindre l’Italie. En pleine nature, Léonce rencontre une jeune inconnue qui n’est autre que la princesse qu’il devait épouser. Ils tombent amoureux, ignorant tout de leurs identités. Rentrés au palais, ils se présentent sous des masques à leur propre cérémonie. Le mariage est proclamé, Léonce accède au trône et proclame l’avènement d’une société où le travail est absent et la nature, omniprésente.» Cette pièce ambitieuse qui date de 1836 et qui est une critique du romantisme Loïc Mobihan en souligne la qualité des questions qu’elle pose comme le fait de savoir si l’on est maître de son destin, et comment s’organisent les liens entre l’homme et la nature. Aimant profondément comme Macha Makeïeff les comédiens et les gens, fourmillant de projets, Loïc Mobihan est un artiste toujours en mouvement, qui a su mettre avec éclat beaucoup d’oeuvre dans sa vie et de vie dans son œuvre.
Jean-Rémi BARLAND
Dernière représentation de « Tartuffe » au théâtre de la Criée de Marseille, ce vendredi 26 novembre à 2 0heures – Plus d’info et réservations : theatre-lacriee.com