Le théorème du « Principe d’incertitude », comme le définit le physicien Werner Heisenberg (1927) précise l’impossibilité, en mécanique quantique, de calculer en même temps la direction et la vitesse d’une particule en mouvement. Partant de ce constat « Le principe d’incertitude » est devenu une pièce de théâtre signée Simon Stephens à qui l’on doit aussi le très troublant « Bluebird ».
Deux personnages s’y croisent, un peu par hasard (mais on verra que pas tout à fait) se cognent, s’adoptent, s’aiment, et se rejoignent autour d’un double projet découvert peu à peu. Elle, c’est Georgie Burns. Âgée de 42 ans, originaire du New Jersey. On découvrira, après un petit mensonge qu’elle travaille dans une école. Lui, c’est Alex Priest, 75 ans. Il vient d’Enniscorthy, dans le comté de Wexford situé en Irlande. Sa sœur est morte quand il était enfant, sa mère fut emportée par un cancer, sa petite amie Joanne Downey qui lui a promis le mariage a décidé d’en épouser un autre, et de tous ces événements, il ne s’en est jamais remis. Elle, recherche son fils âgé de 19 ans, parti au loin. D’un quai de gare londonien à un endroit avec vue le Hackensack River, Lincoln Park Jersey, à 11 heures du matin, la pièce déploie une foultitude de scènes très émouvantes, où l’on exprime par exemple (c’est Alex qui nous l’enseigne) qu’une personnalité « ce n’est que la somme des différentes choses qu’on fait. Et le chemin qui les relie entre elles. Ce n’est pas une chose fixe. Ça peut toujours changer. Ça ne veut rien dire. » On nous dira aussi (toujours une pensée d’Alex, fou des disques de Gene Vincent, d’œuvres classiques, et surtout de Bach, que « la musique n’existe pas dans les notes. Elle existe dans les espaces entre les notes». On verra qu’elle aime le riz au lait, qu’il adore le chocolat, et qu’il est boucher, et qu’il souhaite revendre son commerce qui périclite. En fait tout les oppose et une chose les réunit : la soif d’aimer et d’être aimé.
Jean-Pierre Darroussin, boucher ici comme dans « Le cœur des hommes »
On notera à ce sujet que Jean-Pierre Darroussin qui joue Alex exerce le même métier de charcutier-boucher que son personnage de Manu dans « Le coeur des hommes », le film de Manu Esposito. Il incarne aussi un homme en proie à la mélancolie et l’acteur est là encore exceptionnel de densité. La manière dont il se déplace, fait exister les silences, et pas seulement ceux de la musique, sert la gorge et le cœur. Le message d’Alex quant à la fin du monde qui naîtra à cause du réchauffement climatique tire aussi la pièce du côté de la défense de la planète et de ceux qui la peuplent. A ses côtés Élodie Frégé qui assure la tournée de la pièce en remplacement de Laura Smet qui l’a créée, est pétillante et tout à fait solaire. La mise en scène de Louis-Do de Lencquesaing qui ne surligne jamais les choses, qui n’est jamais redondante ni empreinte de paraphrase demeure comme les décors (ah comme il est beau cet arbre qui surgit au-milieu de la scène ! ), exemplaire de sobriété et de grandeur. Une pièce magnifique, qui parle en filigrane du vieillissement, deux interprètes bouleversants… Un grand moment de théâtre.
Jean-Rémi BARLAND
«Le principe d’incertitude » par Simon Stephens. Texte français de Dominique Hollier disponible chez « L’avant-scène théâtre », 80 pages, 13 €. A voir au Théâtre de l’Odéon de Marseille. 162, La Canebière – 13001 Marseille jusqu’au samedi 23 décembre à 20 heures. Sauf ce mercredi 20 décembre à 19 heures. Plus d’info et réservations sur odeon.marseille.fr