Comme il l’avait fait pour Omar Porras en lui offrant le texte « Ma Colombine », où seul en scène ce dernier évoquait son étonnant parcours d’homme libre, Fabrice Melquiot signe avec « La truelle » une expression de soi tournée cette fois-ci vers l’acteur François Nadin avec qui il partage les mêmes racines italiennes et théâtrales, et le fait d’habiter comme lui en Suisse.
![Destimed la truelle avec francois nadin photo de martin dutasta](https://www.destimed.fr/wp-content/uploads/2025/02/la-truelle-avec-francois-nadin-photo-de-martin-dutasta-.jpg)
« Nous sommes des enfants d’immigrants, fils de parents qui, un jour, ont quitté leur maison et pris la route », raconte Fabrice Melquiot avant d’ajouter : « J’ai voulu bâtir un seul en scène aussi libre dans son écriture et dans sa forme que le journal intime de Nanni Moretti, on prendrait une Vespa, on roulerait dans nos mémoires individuelles et collectives, comme dans nos fantasmes de toute puissance et dans l’Histoire du vingtième siècle, pour témoigner d’une des réalités majeures des sociétés d’aujourd’hui ». Et cette réalité c’est la mafia racontée en détails, photos des victimes à l’appui, et portraits des tueurs dont certains usages nous précise-t-on sont dictés par la cupidité, la frustration, la misère intellectuelle et la sauvagerie. Fabrice Melquiot expliquant, pour décrire la mafia: «On vole, on extorque, on exploite, on détourne, on humilie, on assassine, et on se convainc que Dieu pardonne tout. »
« Faire du théâtre, c’est partir en courant »
Sur la scène un tableau noir, une carte murale montrant l’Italie, la Corse et la Sardaigne, deux tables où l’on voit des bouteilles, des pots servant à faire la cuisine, deux lampes, et des ustensiles de toutes sortes. On assistera à la confection par François Nadin d’une recette de ses racines, et telle l’évocation du Rosebud de Welles, de la madeleine de Proust, on plongera au cœur de souvenirs d’enfance de l’acteur et de l’auteur renvoyant chacun des spectateurs à sa propre histoire. Les Sept Péchés capitaux et les Quatre Dernières Étapes humaines, de Jérôme Bosch, l’analyse de l’amplitude shakespearienne du monde, le rappel fragmenté des œuvres de Sciascia et de Pasolini dont on suggère qu’il aurait pu être tué par la mafia, servent d’étapes en forme de fil rouge à une vaste réflexion très émouvante sur les racines et les enjeux du théâtre. « Faire du théâtre c’est partir en courant , lance François Nadin. « Un homme c’est d’abord la somme de ses secrets. Ce qui reste de l’enfance, c’est d’abord une énorme flaque de goudron dans laquelle on n’en finit pas de tremper ses plumes. J’étais l’enfant du bateau ivre et de l’étoile polaire », nous confie-t-on tandis que François Nadin mis en scène par Fabrice Melquiot interprète une chanson bouleversante sur le sens de la vie. Bribes de journaux, morceaux d’airs italiens traditionnels, précisions quant au sens du titre de la pièce, parole éclatée sur la mémoire qui comme le disait Paul Ricoeur «est récit et inversement» l’acteur interprète tous les rôles avec une sobriété à l’opposé de la touffeur des informations distillées par le texte. C’est d’une justesse absolue et sans failles. Un très grand moment de théâtre magnifiquement écrit.
Jean-Rémi BARLAND
« La truelle » Au Théâtre des Bernardines – 17, bd Garibaldi – 13001 Marseille. Jusqu’au 8 février à 20h. Réservations sur lestheatres.net