Publié le 1 décembre 2021 à 11h16 - Dernière mise à jour le 3 novembre 2022 à 8h57
Tout d’abord le froid qui s’insinue partout et que la narratrice présente en mots feutrés alors qu’elle vient de demander à son mari Julien de dormir seule. C’est Jeanne Le Perthuis des Vauds qui raconte. A la suite d’un mariage malheureux elle sombre dans la souffrance et les désillusions. Sa voix porte l’image du pessimisme de Maupassant quant à la société de son époque. Roman paru en 1883 «Une vie» est un long texte brûlant, désespéré, et jamais désespérant, Un récit à ranger du côté de «Un cœur simple » le chef d’oeuvre de Flaubert.
Belle idée que d’avoir confié à Clémentine Célarié, le soin de porter la parole de l’auteur sur scène, lui proposant pour le bonheur du public, d’incarner Jeanne qui expose tous les faits à la première personne. Mise en scène par Arnaud Denis, la comédienne se déplace dans un monde bigarré, empreint de pluies et de tempêtes comme on en trouve chez Chateaubriand. Magnifiques décors dépouillés, jeu de lumières qui sert à donner corps aux personnages secondaires, costumes comme on en trouve dans le Barry Lindon de Stanley Kubrick, la mise en scène d’Arnaud Denis ne surligne jamais les choses, dessinant la vie tout entière de Jeanne : l’adultère, le mariage, la famille l’argent, la quête de l’amour sincère, le statut social de la femme. Avec au final cette phrase qui clôt d’ailleurs le roman : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon si mauvais qu’on croit. » Dans un théâtre du Toursky de Marseille très ému par sa prestation et où Richard Martin le patron du lieu a redit son admiration et sa sincère affection fraternelle, Clémentine Célarié a incarné Jeanne avec élégance et éclat pour en faire au final, une femme moderne symbole de tous les combats de ses consœurs pour la liberté.
« Cher Guy, je t’aime depuis que j’ai seize ans »
«Une histoire peut, même lorsqu’on devient adulte, changer notre vie, la caresser d’un baume de tendresse magique, d’un réconfort surprenant. Comme si leur créateur entendait nos âmes, et venait les prendre dans ses bras, dans ses mots. Maupassant a cet effet sur moi », confie Clémentine Célarié dans son livre coup de poing et coup au cœur, qu’elle publie chez Albin Michel sous le titre «Les mots défendus». Elle explique: « Il y a quelques années, pendant un chagrin d’amour il (Maupassant) m’a consolée. J’ai relu ses « Contes de la Bécasse » et je me sentais moins seule. Je me sentais comprise par les sentiments exacerbés, de ses personnages dans lesquels je me reconnaissais, que je retrouvais, grâce à ses mots. J’ai lu d’autres de ses contes, tous plus extraordinaires les uns que les autres. Lui, Guy de Maupassant». Lui à qui elle s’adresse en termes plus que chaleureux, lui confiant : «Cher Guy, je t’aime depuis que j’ai seize ans. Je t’ai découvert dans la bouche et dans le corps d’un acteur qui disait tes « Contes de la Bécasse » sur scène.» Magnifique confession et bouleversante aussi puisqu’on découvre dans le livre que l’actrice qui jouait «Une vie» a (ce sont ses mots), « décroché le pompon» en novembre 2019 . Tout à coup ça lui est tombé dessus : « cancer du colon ». « J’ai son anagramme « cancre » dit Clémentine Célarié. Je me suis chopé un cancre. Les cancres c’est comme les voyous. Je me suis chopé un voyou. Y en a de très beaux. Sauf que celui-là il avait une sale gueule, fallait que je lui fasse la peau. »
« Écrire pour ne pas mourir »
Le combat commença et Clémentine Célarié l’a gagné. La voilà guérie. Le récit de ce chemin de croix la comédienne l’a publié comme une sorte de «écrire pour ne pas mourir». «Le cancer, dit-elle, ne vous rend pas boitillant, vomissant ou pestiféré. Le cancer n’est pas une tare. Il n’est pas forcément fatal, mortel. Ce n’est pas une condamnation. Il peut ne pas être douloureux. C’est la chimio qui peut vous faire vaciller éventuellement, vous fragiliser». «Traverser un cancer, poursuit-elle, c’est monter l’Everest de la la vie. C’est célébrer cette ascension, millimètre par millimètre, puis sauter dans le vide, puis marcher pieds nus dans le blizzard, sur un chemin de lave jonchée de morceaux de verre, passer dans une broyeuse, puis être happé dans un tunnel, sans fin, puis sentir le noir abyssal, puis le rien, à transformer en quelque chose, entrevoir la mort, et tenter de l’apprivoiser,. Revenir, rechuter, croire. Puis sortir de ce parcours fou éventuellement, sur ses deux jambes.» Outre le fait que l’on voit ici combien Clémentine Célarié possède un réel talent d’écrivain, on saluera sa confession sans pathos, et la manière dont elle ne raconte pas son cancer à proprement parler, mais témoigne dans des pages pleines de pudeur pour donner du courage à ceux qui vivent pareille expérience. Avec au passage des remerciements appuyés à son producteur Jérôme, devenu son ami, son frère, son ange gardien. « Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi bon, et profondément généreux et vrai » dit-elle avant que plus loin célébrer la présence de ses enfants qui ont « la magie de bousculer la moindre de mes paresses, de tuer tout germe de doute, par leur énergie, leurs encouragements sans relâche, leur bienveillance infinie et leur confiance absolue. Mes enfants sont mes premiers guérisseurs. Les druides de tous mes maux. Ils pansent mes plaies chaque jour sans le savoir. Même si nous n’en parlons pas ». Clémentine Célarié, lumineuse de bonté n’oublie pas d’évoquer Lauren qui malade en fin de vie, est nourrie avec un tuyau, «parle avec une machine qui capte ses yeux » et qui loin d’avoir peur « brandit son courage chaque jour qui se lève» sans que le monde soit là pour le voir. Une amie qui la rassure et qu’elle remercie pour lui avoir appris à regarder la vie de toutes sortes de façons, et qui lui apprend l’importance de l’instant présent.
« Cher Titan, bonjour. Ces mots sont pour toi »
«Le théâtre me fait vivre et tenir. Me donner de cette façon sur scène est indispensable, me donner, c’est me nourrir. c’est un drogue», lance Clémentine Célarié en début de livre. Des premiers chapitres où elle célèbre la présence indispensable de son public qu’elle voit comme un Titan, et qu’elle salue en lui disant affectueusement qu’elle se sent plus comprise par lui que par bien de ses connaissances. « Cher Titan, bonjour. Ces mots sont pour toi », lui murmure-t-elle dans le creux de l’oreille. Actrice pleine d’empathie, courageuse et humble, scrutatrice des âmes comme des jardins, des bords de mer et du mystère « qui n’est pas une posture, une volonté » mais qui demeure « la trace de nos profondeurs », Clémentine Célarié frappe les esprits dès qu’elle apparaît sur scène. On s’en était rendu compte lors de son interprétation dans «Les grandes occasions» de Bernard Slade avec Jean Reno et une mise en scène de Bernard Murat. Et qui nous avait bouleversés sur une mise en scène de Christophe Lidon, dans «La serva amorosa » de Goldoni vue au Gymnase de Marseille en novembre 2010 où elle partageait la scène avec l’immense et regretté Robert Hirsch. Ici elle irradie et donne envie d’aimer tous ses semblables. Maupassant applaudirait et à son jeu dans la pièce et au message de paix de son livre.
Jean-Rémi BARLAND
«Les mots défendus» par Clémentine Célarié paru aux Éditions Albin Michel – 171 pages – 17,90 €
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