Acteur incontournable du cinéma français, Pierre Richard revient au théâtre avec un nouveau seul en scène drôle, émouvant et touchant dans «Je suis là mais je ne suis pas là». Comptant ainsi mettre fin à «un demi-siècle de malentendus».
A l’image de Michel Sardou qui chante : « Je ne suis pas l’homme de mes chansons», Pierre Richard, (90 ans en août prochain, mais toujours bon pied bon œil) affirme qu’il n’est pas dans la vie le distrait de ses films. Il le clame haut et fort dans un livre coécrit avec Christophe Duthuron, intitulé non sans malice « Souvenirs d’un distrait » où il retrace en chapitres courts, soixante-ans de carrière. « Distrait, je ne le suis pas du tout », aime-t-il répéter. « C’est pourtant clair, pas du tout. Pas du tout, c’est pas du tout. Pourtant personne ne semble accorder le moindre crédit à mes dénégations», insiste-t-il. De s’en expliquer alors lors d’un spectacle intimiste, émouvant, et d’une poésie infinie, au titre évocateur donné dans toute la France, avec escale à Marseille dans un théâtre du Toursky archicomble l’ayant salué debout à l’issue de sa prestation.
Pour commencer une projection sur un écran d’extraits de films où les personnages incarnés par Pierre Richard sont victimes de mini-catastrophes visuelles désopilantes. Une piqûre de rappel en quelque sorte de longs métrages tels que « Le grand blond… » ou le magnifique «Le jouet » de Francis Veber avec Michel Bouquet et le jeune Fabrice Greco. Puis l’acteur apparaît et commence alors un voyage où l’on verra ce dernier ouvrir des portes, en refermer pas mal, et s’installer de temps en temps dans un large fauteuil rouge propice aux confidences. Ainsi Pierre Richard se raconte… Pas exactement en fait. Après avoir sur fond de musique du film «Les malheurs d’Alfred » noté la différence entre la chance et la malchance qui demeure selon lui ténue, Pierre Richard évoque quelques personnalités qu’il a croisées et pour qui il a beaucoup d’affection. Claude Nougaro, dont il était le voisin, qui après avoir répété ses chansons contre la cloison de la chambre de son appartement, (un boucan d’enfer) venait «sous son balcon » l’appeler pour boire un verre, et l’entraîner dehors. Jacques Higelin qui en 1962 voulait faire l’acteur dont le portrait donnera naissance à la projection à la télé chez la grand-mère de Pierre du film « Les misérables » dans lequel il a un rôle très court, (elle a convoqué tout le quartier chez elle) où elle s’apercevra avec stupéfaction indignée que les deux scènes de son petit-fils ont été coupées au montage.
Chargé dans les bars d’Aix-en-Provence d’empêcher Ionesco de boire
Ensuite, le metteur en scène, Antoine Bourseiller -«aussi enjoué qu’un moine trappiste qui aurait avalé de la sciure », dit-il- qui le fit débuter au théâtre en 1961 et qui confia à Pierre Richard la délicate et impossible mission d’empêcher le grand Ionesco de boire de l’alcool dans les bars d’Aix-en-Provence. Et ce, pour des raisons liées en partie au bruit fait lors de certaines répétitions. Hilarantes, les pérégrinations du grand dramaturge avec celui qui n’était alors qu’un jeune comédien en avenir donnent naissance à des scènes burlesques réjouissantes. Si l’on ajoute le contraste établi avec le portrait sévère de Danièle Delorme présente sur la production d’Antoine Bourseiller la drôlerie est totale. Puis il y a l’évocation de Georges Moustaki qui, nous dévoile-t-on: «s’est fait aimer des femmes, et a aimé en retour». Un portrait brossé avec affection, extraits de chansons à l’appui, essayant de placer en vain sa chanson « Ma liberté » à l’éphémère vedette Sandy Shaw passant alors à l’Olympia où l’on verra Pierre Richard accompagner l’artiste « à la gueule de juif errant et de pâtre grec » dans une envolée …à la flûte à bec. Une horreur musicale… pardonnée très vite par l’ami Georges d’une bonté absolue.
Éloge du superflu
Quelques anonymes défilent aussi dans ce panthéon affectif (dont un comptable peu écouté en raison du souci de sauver… une mouche) et au final Pierre Richard fera sur scène l’éloge du superflu. « Mon essentiel, raconte-t-il, c’est tout ce qui leur paraît superflu à eux, ceux qui me traitent de distrait. Le superflu, l’inutile, c’est ce qui fait de nous des êtres humains». Et il invite chacun à ne pas tourner le dos à « son » essentiel de rêve et de concorde. Sans leçons de morale ou propos péremptoires, Pierre Richard émeut et convainc le temps de cet irrésistible « Je suis là mais je ne suis pas là» qu’à défaut d’être un distrait, il est un poète des sentiments soucieux des autres.
Jean-Rémi BARLAND
« Pierre Richard. Mémoires d’un distrait ». Souvenirs coécrits avec Christophe Duthuron. Le cherche Midi éditeur. 167 pages, 16,90 €
