Comment faire aimer l’école aux enfants pour limiter l’absentéisme et le décrochage scolaire ? L’association « Culture pour l’enfance » a un medium efficace : le théâtre. Deux classes de CM1 de l’école La Viste Bousquet ont bénéficié d’un apprentissage dans leur programme. A l’arrivée les élèves sont transformés. Confiance en eux, respect, volonté de se dépasser, les habitent.
« On a changé »
C’est le grand jour pour les 46 élèves de CM1 de l’école La Viste Bousquet, dans le 15e arrondissement de Marseille. Ils vont présenter à leurs parents, une pièce de Marivaux, sur une des scènes du Toursky. Un projet mené sur l’année avec plus de 50 heures au programme. Cette activité les a profondément changés collectivement et individuellement à l’image d’Aksil qui s’est sérieusement investi dans un long texte: « Au début je galérais et tout, je devais prendre mon texte avec moi sur scène et puis j’ai répété, répété chez moi et j’ai fini par tout apprendre par cœur ». Lilia a répété son spectacle devant ses parents : « Ils aimaient bien mes intentions, mes émotions, comment je parle du coup ça me donne envie de faire du théâtre pour de vrai ». Mélissa a vaincu sa timidité : «Grâce au théâtre j’arrive maintenant à parler aux gens sans bégayer ou avoir le stress et aussi ça me fait du bien de me sentir une autre personne, de ne pas être toujours moi ». Lina a surtout vu le renforcement du collectif, une solidarité naître dans le groupe: « En classe quand j’ai des difficultés, les autres m’aident alors qu’avant pas du tout ». Yassin a repris confiance en lui et cela se ressent à l’école: « Avant j’avais pas de très bonnes notes, maintenant grâce au théâtre j’arrive plus à me concentrer ».
Recadrer et tendre vers l’excellence
Au théâtre on est là pour jouer mais pas toujours pour s’amuser. Les enfants vont l’apprendre à leurs dépens. Les deux directeurs de la compagnie « La Souricière » sont là pour les initier mais aussi les recadrer sérieusement. Lors de la générale les acteurs en herbe n’étaient pas à hauteur, les critiques pleuvent comme à Gravelotte. Pas de good cop/bad cop, les deux « cognent » : « Il y a plusieurs choses qui ne vont pas », commence Vincent Franchi, co-directeur de la compagnie « La Souricière » à Toulon. « Le bruit dans les coulisses c’est inadmissible. En régie j’entendais plus les chuchotements que les personnes sur scène ». « Là ce que vous avez fait, c’est que vous avez saboter tout votre travail par de la déconcentration », insiste Mathieu Tanguy l’autre co-directeur. Vincent porte l’estocade « au niveau du jeu, du texte, vous allez à deux mille à l’heure, je n’ai rien compris. On dirait que vous voulez vous débarrasser de vos répliques… Là il va falloir nous montrer autre chose devant vos parents les amis ! ». Les élèves baissent la tête. Le coach est cash et il l’assume: « Cela fait partie de notre travail d’être exigeants, de donner des objectifs à atteindre pour tendre vers l’excellence. Ces enfants des quartiers Nord méritent aussi d’avoir des objectifs très élevés. Ce n’est pas parce ce qu’ils sont issus de ces quartiers qu’il faut baisser le niveau, au contraire il faut tendre vers l’excellence ». Le recadrage a payé, une heure après les enfants étaient au top sur scène devant les parents.
Exit l’absentéisme
Respect de soi, respect de l’autre, cette activité théâtre a beaucoup apporté aux 46 élèves. L’intérêt réside surtout dans la restitution de leur travail. « Les enfants présentent leur pièce aux parents et aux personnels académiques. C’est essentiel. Ils mesurent le travail accompli », estime Ombline D’Avezac coordinatrice du projet pour l’association « Culture pour l’enfance ». «On a de nombreux témoignages positifs d’enfants, certains veulent être acteurs, une petite fille me disait qu’elle ne savait pas qu’elle en serait capable. Une autre, en total décrochage scolaire, a adhéré au projet et s’est mise à apprendre les textes et revenir le lundi alors qu’elle ne venait plus. Elle a même appris les tirades des autres pour pouvoir leur souffler en cas de besoin et finalement elle est revenue sur le reste de la semaine ».
Une grande transformation
Celle qui mesure certainement le mieux l’évolution comportementale des enfants est l’institutrice. « J’ai noté une nette transformation des élèves qui étaient en perte de repères et de confiance en eux », constate Mathilde Humbert. « Au début c’était la panique quand ils ont vu le texte… mais en les guidant, ils se sont rendus compte qu’en travaillant sérieusement et régulièrement c’était possible et que c’était possible en s’amusant. On a senti une vraie transformation individuelle dans la prise de conscience et une transformation collective en ce sens qu’ils sont plus soudés ».
Cette transformation ne reste pas confinée à l’école. Les parents ont aussi noté une évolution à la maison, l’enfant exprime plus sa voix, s’impose plus par rapport à ses frères et sœurs. Plusieurs élèves ont déjà réclamé d’être dans la classe de Madame Humbert l’année prochaine. Signe que le bouche à oreille fonctionne et que le théâtre passionne.
Reportage Joël BARCY