Marseille. Théâtre Toursky. Julia Leblanc-Lacoste dans la peau d’Arletty… a vraiment ‘une gueule d’atmosphère’

Publié le 28 novembre 2021 à  19h24 - Dernière mise à  jour le 3 novembre 2022 à  8h55

Deux femmes affranchies pour une même pièce : au premier plan Arletty. Destin hors normes, prête à défier les plus hautes autorités pour imposer sa vision du monde libre. En parallèle on trouve une femme d’aujourd’hui, comédienne interprétant Arletty, qui veut vivre pleinement son identité.

Julia Leblanc-Lacoste impressionnante Arletty ®Eric Trezza
Julia Leblanc-Lacoste impressionnante Arletty ®Eric Trezza

Écrite par Koffi Kwahulé, «Arletty…comme un œuf dansant au-milieu des galets» cette pièce féroce et tendre à la fois frappe par l’éclat poétique de son écriture et sa volonté avec une seule personne sur les planches de nous entraîner dans la reconstruction par la parole d’un monde bigarré peuplé de dizaines de protagonistes.

En plaçant en exergue de son texte cette phrase extraite du film «Les enfants du paradis» stipulant : «Il ne faut pas m’en vouloir si je ne suis pas…enfin…comme vous rêvez.. il faut me comprendre…Je suis simple, tellement simple… », l’auteur brosse le portrait d’une héroïne malgré elle pour qui il a non seulement de l’admiration, mais de l’empathie et de la compassion. «Je m’appelle Arletty, née Léonie Maria Julia Bathiat et je suis le baiser de la vierge et de la putain, une femme dangereuse donc.» Vilipendée pour son amour sacrilège pour Hans Jurgen Soehring, un officier de la Luftwaffe, l’un des hommes de confiance de Göring, qu’elle appelle tantôt «Mon fruit défendu», tantôt «Mon Péché» Arletty prévient et précise : «Mon coeur est Français mais mon cul est international». Enceinte de lui sur « Les enfants du paradis», elle avortera ce qui à l’époque consistera en un second défi à la morale ordinaire. «Tout a été si soudain, si brutal que j’en suffoque encore. Littéralement. De la tête jusqu’à mon sexe j’ai mal. A peine ses yeux posés sur moi je me sens domptée. De son incarcération à Drancy, puis de ses plusieurs semaines de détention à Fresnes avant que d’être placée pendant dix-huit mois en résidence surveillée, non pour faits de collaboration mais pour avoir couché avec ce que Jean Anouilh qualifie dans « La belle vie » de « grosses légumes » », Arletty dit tout. En opposant clairement l’ordre individuel à l’ordre nationale, la comédienne incarne l’esprit de liberté et de révolte.

L’écriture charnelle, obsédante et saccadée de Koffi Kwahulé auteur essayiste, comédien et metteur en scène né en 1956 en Côte d’Ivoire fait voyager le lecteur avec souplesse dans le pensées d’Arletty et des autres personnages tout en offrant une plongée dans l’histoire du cinéma. Sommes-nous d’ailleurs dans la loge de l’actrice qui incarne Arletty ou dans la propre surface de jeu de la vraie comédienne ?

Longtemps assistant de Patrice Chéreau, le metteur en scène Kristian Frédric ne surligne pas les choses mais sur des teintes en rouge joue des ambiguïtés volontaires du texte. Celles-ci redéfinissent en quelque sorte la schizophrénie propre au jeu de chaque interprète dans chaque pièce. Et de nous interroger sur la force de la pureté de l’amour qui face à l’adversité doit absolument nous obliger à faire évoluer nos jugements. Notons que Kristian Frédric, sorte d’architecte du spectacle aime bousculer les choses, faire bouger les lignes, renverser les tables. Aussi sommes-nous impatients de découvrir prochainement sa nouvelle création de la pièce de Koltès «Dans la solitude des champs de coton » où sur un décor et des costumes de Bilal (excusez du peu), il accompagnera sur scène Yvan Marane dans le rôle du dealer, et l’immense Xavier Gallais (l’inoubliable récent Tartuffe de Macha Makeïeff à la Criée) sous les traits du client.

Actrice sublime

Vidéo ajoutée, utilisation de la musique et d’une chanson-refrain, «Arletty… comme un œuf dansant au milieu des galets » (quel beau titre vraiment !) donnée dans un théâtre Toursky de Marseille tout entier acquis à sa cause, doit bien entendu la part de sa magie au texte et au travail précis de Kristian Frédric mais aussi à l’interprétation inoubliable et habitée de Julia Leblanc-Lacoste. Définissant Arletty comme «une punk, un diamant brut portant l’Amour en étendard» cette actrice qui formée au théâtre physique a traversé avec le même éclat l’écriture de Feydeau, Edward Bond, Mishima, Pasolini, Pinter, Fassbinder ou Wedekind ou le Heiner Muller de «Quartet» nous la rend nécessaire et humaine plus qu’humaine. Elle saute, elle danse, elle joue, elle chante, elle impressionne, séduit, avec une nette autorité et emplit l’espace avec une telle puissance poétique qu’on se dit qu’avec elle oui Arletty a vraiment «une gueule d’atmosphère»
Jean-Rémi BARLAND
La pièce qui part en tournée sera donnée dans le cadre du off d’Avignon en juillet 2022 au Petit Chien, théâtre.

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