Marseille. Théâtre Toursky: « Tout le monde savait »… Sylvie Testud incarne, avec une bouleversante sincérité, Valérie Bacot, une mère de famille martyrisée par son mari durant plus de vingt ans et qui a fini par le tuer

C’est un spectacle radical, sidérant qui laisse sans voix. Qui bouleverse et secoue, et qui n’est malgré son sujet jamais voyeuriste ni complaisant. Un moment de théâtre comme une bulle de résilience où Sylvie Testud apparaît sous les traits d’une femme, dont on apprend au début de la pièce qu’elle est incarcérée. Cette femme c’est Valérie Barcot  et c’est sa vraie histoire qu’elle a publiée chez Fayard sous le titre de « Tout le monde savait» qu’on nous présente ici dans un monologue d’une heure où elle se glisse dans la peau de tous les protagonistes du drame, et surtout bien évidemment dans celle de la narratrice.

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Sylvie Testud inoubliable et déchirante (Photo Lisa Lesourd)

Le résumé de la pièce est d’une limpidité exemplaire : « Accusée du meurtre de son mari, Valérie Bacot incarne à elle seule un combat. Celui d’une femme pour se sortir de l’emprise de son bourreau, celui d’une mère pour protéger ses enfants, celui d’une victime que l’on a placée sur le banc des accusé·e·s. Personne ne viendra à son aide. Ni ses proches, ni les gendarmes, ni la famille de « L’autre », ni même ses voisins ou ses voisines. C’est l’histoire d’une résilience incroyable, celle d’une femme devenue figure iconique de la lutte contre les violences conjugales, qui, condamnée à la prison, a fini par être libérée par la cour.» 

Mise en scène d’Anne Bouvier

La metteuse en scène Anne Bouvier a souhaité prolonger sa parole: « Faire entendre son parcours, comme une catharsis, pour ne pas oublier.»« L’histoire de Valérie Bacot m’a bouleversée » confie-t-elle. « À la lecture de son livre, j’étais effarée, j’avais le souffle coupé. Quel courage, quelle abnégation, quelle résilience … Le théâtre est mon moyen d’expression, c’est par lui que je donne à voir mes émotions, mes colères, mes rêves et mes combats. Alors si je peux, à mon humble façon, prolonger cette parole, cette nécessité de faire entendre le parcours de Valérie, comme une catharsis, pour ne pas oublier, et peut être donner la force à d’autres femmes, de se sauver en sortant du silence, et bien j’aurai le sentiment d’avoir fait ma part du chemin.»

Une actrice, et pas des moindres, Sylvie Testud, donnera corps et voix à cette histoire, du point de vue de Valérie,  explique Anne Bouvier : «Afin de donner sa vision de la réalité : une vision modelée par les mécanismes de l’emprise. Nous voyagerons dans son monde intérieur. Sa réalité dépasse la fiction et pourtant je suis convaincue que la fiction peut redonner du sens à la réalité. « Lui »: « Le monstre », ne doit pas pour moi être incarné. Chaque spectateur doit s’en faire sa propre image au gré de la reconstitution presque clinique du parcours de Valérie. Il ne s’agira en aucun d’être voyeuriste. Je souhaite faire un spectacle usant de symboles, d’objets, de sensations, de sons, d’images. Convoquer et provoquer l’imaginaire. »

La forêt sera au centre de la scénographie : lieu de l’inconscient, de l’enfance, des peurs, des traumatismes. La cuisine dont la table et la chaise seront suspendues, symbolisant ainsi l’attente de Valérie, coincée entre deux mondes, s’accrochant aux chaînes qui l’étouffent et l’empêchant de s’accomplir dans une réalité ancrée. Enfin des panneaux sur lesquels elle pourra inscrire les noms de ceux qui « savaient », à la craie. Tout un univers sonore sera créé : la voix de « Lui », des respirations, des pas, la vaisselle, le vent dans les arbres, le silence qui se fait bruit… La metteuse en scène de conclure : « Je défends un théâtre poétique, centré sur l’humain. Je pense que la vie de Valérie a besoin et mérite beaucoup de poésie. »

Sur le plateau une balançoire et un banc suspendu. Une valise et des tableaux sur lesquels la femme martyr inscrit des noms comme « gendarmes », « maman « , « papa » « l’autre » et qui soulignent un à un sa solitude.  « Tout le monde savait » mais personne n’a rien dit et c’est aussi de cela qu’il s’agit : de la parole des femmes violées qui, dans un passé récent n’étaient pas entendues à hauteur du crime qu’elles ont subi. Dans un réalisme terrifiant, on passe de la salle de séjour à la chambre à coucher où Valérie est abusée, puis violée durant des années par cet homme qui, compagnon de sa mère, était censé la protéger alors qu’elle n’est qu’une enfant. Emprisonné puis relâché quelques années après, il récidivera et fera à Valérie des enfants dont une fille sur qui il aura les mêmes vues de désirs pervers. C’est surtout pour protéger ses enfants que cette femme blessée, déchirée, en miettes, abattra le mari violeur.

Sylvie Testud…solaire

Sylvie Testud qui a reçu pour « Tout le monde savait » le Molière 2023 du « Seule sur scène » est déchirante et inoubliable. Elle ne joue pas elle incarne. Elle est stupéfiante et d’une justesse confondante. Le public marseillais du Toursky ne s’y est pas trompé, qui, accompagna la comédienne dans un silence absolu, avec au final des applaudissements émus. Un spectacle digne et droit. On n’était pas loin du chef-d’oeuvre.

Jean-Rémi BARLAND

 

 

 

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