Marseille : une soirée de solidarité avec la Tunisie à la Villa Méditerranée révèle la vitalité de cette jeune démocratie

Publié le 12 avril 2015 à  23h17 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h49

La Villa Méditerranée, à Marseille, vient d’accueillir une soirée de solidarité avec la Tunisie après le tragique attentat qui s’est produit au musée du Bardo de Tunis, le 18 mars dernier. Une manifestation qui permis de mettre en avant la vitalité de cette jeune démocratie qui, en moins de trois ans a été capable d’organiser trois élections législatives et présidentielles libres et transparentes. Une démocratie confrontée à des enjeux sociaux, économiques et politiques lourds mais, qui affiche une volonté farouche de trouver une issue par le haut comme en témoigne les nombreuses interventions qui ont ponctué cette soirée.

Ouverture de la soirée de solidarité avec la Tunisie par Jean-Claude Tourret, directeur de l'Avitem/ Villa Méditerranée  (Photo Philippe Maillé)
Ouverture de la soirée de solidarité avec la Tunisie par Jean-Claude Tourret, directeur de l’Avitem/ Villa Méditerranée (Photo Philippe Maillé)

Une soirée qui aura notamment proposé un temps institutionnel après l’accueil de Jean-Claude Tourret, directeur de l’Avitem/ Villa Méditerranée, avec les interventions de Kamel Jendoubi, ministre tunisien chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, Michel Vauzelle, président de la Région et Aziza Mrairhi, conservatrice au musée du Bardo. Lors du premier temps, il s’agira de démystifier la révolution tunisienne et de distinguer l’événement et le processus de cette transition démocratique. Des politologues, journalistes et experts du contexte tunisien tenteront de dresser un état des lieux et apporteront leurs analyses sur ces quatre dernières années. Une manifestation qui a également été l’occasion de donner des clés de compréhension de la transition démocratique en Tunisie avec les interventions de Youssef Sedik, philosophe, Ghazi Ghrairi, professeur universitaire, Farah Hached, présidente du Labo démocratique et Sana Sbouai, rédactrice en chef d’Inkyfada. «Nous n’avons pas oublié la solidarité de la Tunisie quand nous -même avons été frappés par le terrorisme», avance Jean-Claude Tourret. «Nous avons, poursuit-il, laissé le temps de l’émotion au peuple tunisien, un peuple qui a massivement rejeté le terrorisme comme en témoigne la grande marche du 29 mars à Tunis. Une manifestation qui a été aussi un temps officiel. Vient maintenant le temps de la réflexion sur comment affronter ensemble ces événements, se tourner vers l’avenir».

«Ils ont touché à trois symboles : la richesse de notre civilisation, notre sens de l’hospitalité et la jeune démocratie tunisienne»

Kamel Jendoubi, ministre tunisien chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile (Photo Philippe Maillé)
Kamel Jendoubi, ministre tunisien chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile (Photo Philippe Maillé)

Pour Kamel Jendoubi : «Les terroristes ont lâchement attaqué le Bardo, à quelques mètres du Parlement, ils ont touché à trois symboles : la richesse de notre civilisation, notre sens de l’hospitalité et la jeune démocratie tunisienne». Avant de lancer: « Au Panthéon de nos victimes il y a Charlie et, depuis mars, nous sommes « Le Bardo », toutes ses victimes, toutes leur nationalité». Mais le ministre se veut optimiste: «Nous resterons une terre d’hospitalité. L’impact des attentats a été négatif à très court terme sur l’économie mais, peu à peu, les activités ont repris, le Forum Mondial Social s’est tenu. Nos ressources humaines ont repris le dessus et le tourisme reprendra». Il prévient à ce propos : «Nous travaillons à mettre en place une réforme structurelle de ce secteur, alternatif à celui basé sur la guerre des prix». A ses yeux : «Il reste à renforcer notre démocratie dans un contexte de lutte contre le terrorisme». Il plaide dans ce cadre: « Pour un renforcement de la coopération sécuritaire avec les pays européens». Et de surtout rappeler la force, la longue histoire du désir démocratique dans ce pays avec les manifestations du 9 avril 1938 à Tunis. Les manifestants, en nombre, dont pour la première fois les femmes, sont descendus dans la rue pour réclamer un parlement pour la Tunisie. L’occupant français riposta par des tirs. Le ministre d’insister: «La Constitution de 2014 est la réalisation du rêve de 1938». Alors, la fidélité à ses idéaux, aux martyrs de 1938, de 2010, 2011, impose «de répondre aux soucis de la jeunesse, de renforcer les droits des femmes et, pourquoi pas, l’amélioration de la Constitution». Puis, Il indique que, dans le contexte actuel, entre ceux qui veulent le retour à l’ancien régime et les djihadistes «il faut défendre la sécurité en sauvant l’État ». Pour lui : «La finalité de la politique c’est le social. Il faut défendre l’État social, démocratique. La société a besoin de l’État et celui-ci doit défendre la société».

«Celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’espoir or, nous, nous avons beaucoup d’espoir»

Aziza Mrairhi, conservatrice au musée du Bardo (Photo Philippe Maillé)
Aziza Mrairhi, conservatrice au musée du Bardo (Photo Philippe Maillé)

Aziza Mrairhi, rend hommage aux 22 victimes du Bardo, «La meilleure façon de les célébrer est de faire vivre le Musée, de faire partager les valeurs d’ouverture et d’humanisme qu’il célèbre. De plus, nous laisserons des traces visibles de l’attentat pour ne pas oublier». Elle ajoute à ce propos que le Bardo incarne la mémoire de du pays et, avance-t-elle: «Celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’espoir or, nous, nous avons beaucoup d’espoir ».
Mais comment a-ton pu en arriver là ? Place est donnée à une table ronde qui prouvera la richesse, la vivacité du débat démocratique en Tunisie.
Le philosophe Youssef Sedik considère qu’il existe, depuis plusieurs années «une germination de la question fondamentaliste». Lorsque Ennahdha arrive au pouvoir, «on sent que l’espace public est dominé par les fondamentalistes, avec des barbus, des gens qui courent à la prière ce que nous n’avions jamais vu». D’autant moins vu que, pour lui : «L’Islam est congénitalement laïc. L’espace public n’appartient à personne. Je peux avoir un voisin juif ou chrétien, je ne peux pas lui imposer ce qu’il peut considérer comme une agression dans un espace qui nous est commun». Pour le philosophe, le terrorisme doit être combattu sur le long terme et cela passe par l’éducation, et notamment l’enseignement de l’Islam «car, pas enseignée, la religion devient un credo, il faut donc enseigner l’Islam en même temps que les deux autres religions monothéistes : le judaïsme et le catholicisme». Et de rappeler qu’il a travaillé sur l’aspect lumineux de l’Islam. Il rappelle que pour cette religion, au-dessus du croyant, au-dessus du musulman «il y a l’Homme qui n’est pas qualifié et qui est anobli par Dieu ».

«Je ne pense pas que le terrorisme soit nécessairement lié à l’Islam»

Farah Hached, présidente du Labo démocratique, enseignante et juriste (Photo Philippe Maillé)
Farah Hached, présidente du Labo démocratique, enseignante et juriste (Photo Philippe Maillé)

Farah Hached, présidente du Labo démocratique, enseignante et juriste de réagir: «Je ne pense pas que le terrorisme soit nécessairement lié à l’Islam. C’est une façon d’exprimer une certaine frustration». «On peut être fondamentaliste, précise-t-elle, sans être terroriste, sans choisir d’être criminel». Et d’insister : «Notre révolution a été aussi faite pour la liberté du culte». Youssef Sedik d’expliquer: «Je ne veux pas stigmatiser. Je veux simplement dire qu’il faut apprendre que l’espace public appartient à tous et que ce n’est pas l’espace de la prière. L’espace public est horizontal tandis que celui du religieux et vertical et transversal. Le fondamentaliste qui prie chez lui ne me gêne pas». Farah Hached reprend : «Face au terrorisme on assiste à des réformes partout dans le monde, la menace étant globale. A côté de ce défi global nous avons le nôtre, celui de la transition. Nous devons construire une réponse qui lutte contre les menaces en respectant les droits humains. Et puis il y a la révolution technologique. En Tunisie nous devons nous mettre aux standards tout en réfléchissant aux impacts négatifs. Il nous faut trouver le bon équilibre entre enraciner les droits humains et le droit à la sécurité qui est d’ailleurs également un droit de l’Homme. Trouver l’équilibre est un défi difficile».

«La constitution est le fruit d’un processus qui est incontestablement consensuel, civique, civil et démocratique»

Ghazi Ghrairi est secrétaire général de l'Académie Internationale du Droit Constitutionnel et ancien porte-parole de la Haute Instance pour la Protection des Objectifs de la Révolution (Photo Philippe Maillé)
Ghazi Ghrairi est secrétaire général de l’Académie Internationale du Droit Constitutionnel et ancien porte-parole de la Haute Instance pour la Protection des Objectifs de la Révolution (Photo Philippe Maillé)

Ghazi Ghrairi est secrétaire général de l’Académie Internationale du Droit Constitutionnel et ancien porte-parole de la Haute Instance pour la Protection des Objectifs de la Révolution. Il considère: « La constitution est le fruit d’un processus qui est incontestablement consensuel, civique, civil et démocratique. Peu importe les articles que comporte cette constitution, le fait que le résultat des élections de 2011 ait donné une carte politique qui laissait attendre une certaine constitution. Et, nous arrivons en 2014, avec une constitution consensuelle, qui pose les fondements stricts d’une démocratie mais surtout qui garantie les droits fondamentaux ce qu’aucune constitution de pays arabes ne garantit.» Il pense notamment à «la liberté de conscience». Décrivant: «Une constitution qui consolide l’égalité Homme/Femme d’une manière indiscutable et indiscuté, qui instaure la parité dans toutes les instances élues du Pays». Pour lui ce n’est pas «le côté juridique» qui l’intéresse. «C’est l’avènement d’un texte politique, d’un contrat social qui fonde le vivre en commun».

Sana Sbouai, journaliste franco-tunisienne, rédactrice en chef et cofondatrice de la version francophone du magazine en ligne inkyfada.com (Photo Philippe Maillé)
Sana Sbouai, journaliste franco-tunisienne, rédactrice en chef et cofondatrice de la version francophone du magazine en ligne inkyfada.com (Photo Philippe Maillé)

Sana Sbouai, journaliste franco-tunisienne, rédactrice en chef et cofondatrice de la version francophone du magazine en ligne inkyfada.com, lancé en juin 2014, aborde la question du travail des journalistes. « Nous sommes dans un moment difficile. Comment fait-on son travail lorsque l’on est confronté à un mouvement terroriste ? Comment fait-on lorsqu’un pouvoir, à propos de présumés terroristes, parle de créatures qu’il faut aller chercher dans ses terriers ? On déshumanise des gens. Et que devons nous dire lorsque nous n’avons qu’une source d’information : le pouvoir. Que peut-on faire lorsque l’on voit refleurir les idées reçues, la diffamation, sous couvert d’excuses sécuritaires? ». Et d’ajouter: «Oui, nous sommes libres de travailler, mais avec des contraintes. Sachant que nous sommes conscients que c’est la véracité de l’information qui permet aux citoyens d’être actifs».
Une personne dans le public s’interroge sur la façon dont on doit traiter les terroristes «Est-ce que l’on parle des droits de l’Homme des terroristes ou des droits de l’Homme des Tunisiens».

«La dignité passe avant tout»

Ghazi Ghrairi de répondre : «Que voulaient dire les Tunisiens lorsqu’ils ont chassé un régime dictatorial ? Que la dignité passe avant tout. Or, la dignité ne distingue pas entre celui qui a commis un méfait et celui qui n’en a pas commis. La gloire et la noblesse d’une démocratie d’une guerre contre le terrorisme, c’est de le traiter en respectant la dignité des êtres humains. La personne qui a tué et qui est arrêté a droit à un procès équitable, à être incarcéré dans des conditions humaines mais aussi celui de se voir appliquer les sanctions les plus sévères. Ce n’est pas de la dignité de l’assassin dont il s’agit mais de la dignité de toutes sociétés que de traiter ses assassins en respectant le Droit».

Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes côte d'azur (Photo Philippe Maillé)
Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes côte d’azur (Photo Philippe Maillé)

Au préalable Michel Vauzelle, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur avait rappelé la communauté de destin que représente la Méditerranée, dénoncé l’attentat horrible du Bardo. Crimes commis, comme en France, par des personnes «qui défigurent une religion pour laquelle nous avons tant de respect, l’Islam, grande religion de Paix et de Fraternité». Et de conclure : «Il fallait, dans notre région, rendre hommage à la Tunisie qui est au cœur de la Méditerranée mais aussi de notre cœur».
Michel CAIRE

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